Le Canadien deviendra, ce jeudi soir, la 32e et dernière équipe de la LNH à tenir sa soirée de la Fierté cette saison. Au cours des derniers mois, ces démonstrations de solidarité avec la communauté LGBTQ+ sont devenues une source de controverse pour plusieurs clubs.

Or, cela n’altère en rien la pertinence de ces évènements, estime Marie Houzeau, directrice générale de GRIS-Montréal, un organisme à but non lucratif dont la mission est de démystifier les orientations sexuelles et les identités de genre.

« C’est très important que des organisations qui sont vues comme des fleurons de notre société prennent position pour l’inclusion, explique-t-elle en entrevue avec La Presse. Ce sont des messages que l’on veut voir portés par des gens qui ont de la visibilité médiatique. »

« On sait très bien que les modèles publics, ça porte ses fruits », ajoute-t-elle. Il en va des athlètes comme des politiciens ou, à plus petite échelle, des professeurs ou directeurs d’école qui se portent à la défense de leurs élèves.

GRIS-Montréal a travaillé avec le Tricolore dans la conception de la programmation de cette année. Mme Houzeau s’attend à une soirée sans anicroche, encore qu’un revirement de dernière minute puisse toujours arriver.

L’épine dans le pied de plusieurs équipes, depuis le début de la présente saison, a été le port du chandail multicolore pendant la période d’échauffement d’avant-match. Ces maillots spécialement conçus pour l’évènement peuvent ensuite être vendus à l’encan afin de remettre des fonds à des œuvres caritatives.

Après qu’Ivan Provorov eut refusé de porter le chandail prévu par les Flyers de Philadelphie, en janvier dernier, les épisodes se sont multipliés.

PHOTO ERIC HARTLINE, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Ivan Provorov (9)

Ilya Lyubushkin (Buffalo), Andrei Kuzmenko (Vancouver), Ilya Samsonov (Toronto), James Reimer (San Jose) ainsi que les frères Eric et Marc Staal (Floride) ont tous imité Provorov. Certains ont invoqué des motifs religieux. D’autres, plus spécifiquement les joueurs d’origine russe, ont dit craindre pour leur sécurité.

Une loi promulguée en Russie prévoit en effet l’interdiction de toute « propagande » sur les « relations sexuelles non traditionnelles ». À l’évidence, des joueurs originaires de ce pays disent se sentir menacés. Cela étant, il n’est pas clair à quelles conséquences réelles s’exposent les personnes qui se prêteraient à cette « propagande », ni de quelle manière celle-ci est définie.

Les Rangers de New York, le Wild du Minnesota et les Blackhawks de Chicago, pour leur part, ont carrément décidé que personne ne porterait de chandail multicolore, et ce, alors que cet élément était prévu dans leurs célébrations.

Problématique

Pour Marie Houzeau, ce vent de dissension est problématique, car pour une organisation, sportive ou non, « c’est important de parler d’une seule voix ». Encore davantage lorsqu’on s’adresse à un jeune public.

Si on soustrait la partie la plus visible, donc les joueurs, les personnes qui sont les plus regardées par les partisans, on se prive d’un outil très important pour faire passer le message.

Marie Houzeau, directrice générale de GRIS-Montréal

Chez le Canadien, un chandail spécial doit être porté avant la rencontre, mais on signale ne pas encore avoir sondé les joueurs sur leurs intentions quant à la soirée de la Fierté. On n’était donc pas en mesure, mardi, de s’avancer sur la présence ou non de réfractaires au sein du groupe.

David Savard, lui, n’a pas laissé d’ambiguïté. Lors de la visite du Canadien à Buffalo, la semaine dernière, le défenseur a été interrogé à ce sujet. Quelques minutes plus tôt, les Sabres avaient annoncé qu’Ilya Lyubushkin ferait l’impasse sur la période d’échauffement de son club.

En son nom personnel, Savard a parlé de l’importance de « montrer que tout le monde est accepté ».

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

David Savard

« C’est une journée importante pour le hockey et pour montrer notre soutien à la communauté [LGBTQ+], a-t-il ajouté. Moi, j’appuie ce mouvement. C’est le fun qu’on fasse ça pour eux. »

À ce moment, la soirée de la Fierté du Tricolore n’avait pas encore fait l’objet de discussions entre les joueurs.

« Glissement »

Ce soutien dont parle Savard arrive encore davantage à point nommé, selon Marie Houzeau, de GRIS-Montréal, à la lumière du changement de ton à l’égard de la communauté LGBTQ+ observé au sud de la frontière. Et un peu au nord aussi.

Au cours des derniers mois, aux États-Unis, le discours public s’est durci, tout particulièrement contre les personnes trans. Dans une dépêche récente de l’agence Bloomberg, l’Union américaine des libertés civiles calculait qu’en 2023, au moins 385 lois anti-LGBTQ+ avaient été déposées dans différents États.

Cette tendance n’est pas confinée aux États-Unis, confirme Mme Houzeau, qui dit voir croître « une forme de polarisation » de notre côté de la frontière.

« On constate que de plus en plus d’enjeux sont maintenant vus comme une question d’opinion, s’inquiète-t-elle. Ce qui distinguait le Canada et le Québec, jusqu’à récemment, c’est que quand on parlait de la communauté LGBTQ+, on parlait de droits humains. On assiste toutefois à un glissement, qu’on sent dans la prise de parole de certains chroniqueurs. On remet en question l’existence même ou la légitimité de ces minorités. »