La vingtaine de personnes massées dans un coin anonyme de l’aréna n’avaient cure du fait que le Canadien venait de se faire rosser par la marque de 5-0 par les Sénateurs d’Ottawa.

Les applaudissements nourris qu’elles ont réservés à leur joueur favori ont conclu de belle manière les « étranges 24 heures » que venait de vivre Owen Beck. Les sourires étaient francs. Les accolades, longues et senties. Et c’était complètement mérité.

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PHOTO SIMON-OLIVIER LORANGE, LA PRESSE

Owen Beck a été accueilli chaleureusement par ses parents et amis après la rencontre.

Beck, 18 ans, s’est retrouvé dans une situation qui n’arrive pratiquement jamais. Celle d’un joueur rappelé d’urgence des rangs juniors pour accéder à la LNH sans véritable préavis ou préparation. Insistons sur la spécificité du moment : un premier match « en haut », dans l’écrasante majorité des cas, arrive soit au terme d’un long camp d’entraînement, soit après un passage dans la Ligue américaine.

Beck, lui, faisait ses petites affaires à Peterborough, où il s’acclimatait d’ailleurs à une nouvelle équipe, puisqu’il a été échangé aux Petes de l’endroit il y a à peine trois semaines. Une étrange conjonction des astres a provoqué son rappel inattendu. Passons en revue les circonstances qui se sont accumulées, tel que l’a expliqué le Canadien :

  • Le rappel tardif de vendredi rendait virtuellement impossible le recours à un joueur du Rocket de Laval, coincé à Cleveland.
  • Le CH voulait un coussin de sûreté de centre. Amochés à des degrés divers, Christian Dvorak, Nick Suzuki et Kirby Dach ont raté un ou plusieurs entraînements au cours des derniers jours. Beck est l’un des meilleurs pivots de la Ligue junior de l’Ontario au cercle de mises en jeu.
  • Un peu plus vieux et expérimenté, Joshua Roy semblait un choix plus naturel. Or, le Phœnix de Sherbrooke disputait trois matchs de vendredi à dimanche. En vertu des règles en vigueur, un joueur rappelé ne peut rater plus d’une rencontre chez les juniors.
  • Les Petes de Peterborough étaient en congé vendredi et samedi. Et le déplacement vers Ottawa se faisait aisément en voiture.

Les plus superstitieux diront qu’il était « dû ». Le test, néanmoins, était de taille. Beck avait certes connu un fort camp d’entraînement, ce qui lui avait d’ailleurs valu de signer son premier contrat professionnel, mais ledit camp s’est terminé il y a presque quatre mois.

Martin St-Louis a toutefois affirmé, en fin de soirée, à quel point il était « fier » du jeune homme. « Il a bien joué, il avait l’air à l’aise sur la glace, a détaillé l’entraîneur-chef. C’est un joueur de hockey. Il a un beau futur devant lui. »

On ne s’épanche pas chaque jour sur la feuille de route de St-Louis et sur son statut de membre du Temple de la renommée du hockey. Mais on se doute que c’est le genre de compliment qui doit résonner chez un athlète dont la carrière s’amorce à peine.

À l’aise

Très posé, Beck a parlé d’« étranges 24 heures » après la rencontre. En matinée, il avait raconté comment il avait annoncé la nouvelle à ses parents⁠1. Son père, on s’en doute, n’a pas rechigné à l’idée d’annuler le souper prévu avec son fils, puisqu’il a plutôt assisté à ses premiers coups de patin dans la LNH.

« C’était une expérience incroyable, a poursuivi le joueur de centre. Ce n’était pas le résultat qu’on voulait, mais je sais que d’autres matchs viendront et qu’on les gagnera. »

Utilisé avec parcimonie – il a joué un peu moins de 10 minutes –, Beck n’a pas semblé largué. St-Louis l’avait placé au centre de Christian Dvorak et Jesse Ylönen, deux joueurs responsables en défense. Leur trio, il est vrai, n’a pas provoqué une tonne de chances, mais Beck a connu quelques beaux flashs. On a reconnu la générosité d’une recrue lorsqu’il a tenté une passe (interceptée) à deux contre un au lieu de tirer. Et il a bloqué un tir de Nikita Zaitsev de haut de zone défensive à mi-chemin en troisième période.

Ce dévouement n’a pas échappé à ses coéquipiers.

« C’est un gars de caractère, qui ne lâchera jamais, a résumé David Savard. Il est intelligent et très bon dans les deux sens de la patinoire. Ça fait partie de sa game de bien jouer défensivement, et il l’a montré ce soir. »

Savard, qui en a vu d’autres, estime lui aussi que ça « augure bien pour son futur, pour sa carrière ».

Son avenir proche passera toutefois par Peterborough. Sans grande surprise, le Tricolore a confirmé en fin de soirée avoir cédé le jeune homme aux Petes, qui se préparent déjà aux séries éliminatoires.

La saison du Canadien n’est pas riche en occasions de réjouissances. Les belles histoires sont donc importantes.

En voilà une qui s’est terminée presque aussi vite qu’elle s’est amorcée. Mais quand on y pense, c’était probablement davantage un chapitre. Un premier pour Owen Beck. Mais certainement pas le dernier.

En hausse

Evgenii Dadonov

Profitant du fait que Kirby Dach continue de gagner en aisance au centre, Dadonov a connu un fort match, notamment en s’impliquant près du filet. Un peu plus de fini lui aurait valu deux buts.

En baisse

Arber Xhekaj

La rondelle qu’il a déviée dans son propre but a été la cerise sur un triste gâteau. Promu à la gauche de David Savard, il a peiné en couverture défensive, notamment face au trio de Claude Giroux et Alex DeBrincat.

Le chiffre du match

14 min 48 s

C’est le temps qui s’est écoulé en troisième période avant que le Canadien ne réussisse son premier tir sur le filet. Et ce, en dépit d’un retard de trois buts à combler.

Ils ont dit

J’ai aimé pas mal tout notre match, à part en troisième période quand on avait de la misère de frapper le filet. Il a fallu qu’on écoule une punition, puis on a obtenu un avantage numérique, mais on n’était pas capables de rentrer dans leur zone. Il nous manquait d’exécution. Mais les intentions étaient les bonnes.

Martin St-Louis

Ils menaient par trois buts, alors ils ne prenaient plus de risques. […] On a eu du temps dans leur zone, mais ils ont bloqué des lancers et on a manqué le but. Ça paraît un peu mal de ne pas avoir de lancers en troisième période.

Martin St-Louis

C’est décevant, mais on les retrouve mardi [à Montréal]. On va regarder vers l’avant.

David Savard

[Avec Christian Dvorak], on essayait d’alterner les mises en jeu des deux côtés. Il m’a aidé [sur cet aspect] et avec le système de jeu. Il s’est assuré que je me sente à mon aise.

Owen Beck

Il était peut-être un peu gêné, ce qui est normal, mais je ne dirais pas intimidé. Il arrive dans un nouveau vestiaire, au milieu de la saison… Mais il s’est bien intégré, il a parlé à tout le monde. Et il a bien fait ça sur la patinoire.

Rafaël Harvey-Pinard

Dans le détail

Plus feutré pour les plombiers

On ne commencera pas à scruter le travail du quatrième trio chaque soir. Or, après le match de rêve qu’ils avaient disputé contre les Red Wings de Detroit, Alex Belzile, Michael Pezzetta et Rafaël Harvey-Pinard ont connu un quart de travail autrement plus feutré. Des trois, seul Belzile a obtenu un tir au but. Pezzetta a certes asséné sept mises en échec, mais il a, à ce compte, plutôt trahi le fait qu’il n’a pas souvent touché à la rondelle. Le site de statistiques avancées Natural Stat Trick a estimé que, lorsqu’ils étaient réunis sur la glace à cinq contre cinq, ils n’ont généré aucune chance de marquer de qualité. Et c’est ce trio qui a été victime du cinquième but des Sénateurs, marqué tard en troisième période. Meilleure chance la prochaine fois !

Forsberg le tortionnaire

Avant la rencontre de samedi soir, Anton Forsberg présentait une fiche en carrière de 45-56-11. Le gardien de 30 ans rend de bons services aux Sénateurs, mais on se doute qu’on n’assistera jamais, la gorge nouée, au retrait de son maillot 31 dans les hauteurs du centre Canadian Tire. En fait, peut-être vivrions-nous ce moment surréel si le Suédois n’affrontait plus que le Canadien jusqu’à la fin de sa carrière. Depuis qu’il s’est retrouvé à Ottawa par le truchement du ballottage en mars 2021, Forsberg a remporté tous ses départs contre la Flanelle. Après son jeu blanc de samedi, il présente désormais une fiche de 5-0-0, une moyenne de buts alloués de 2,21 et un taux d’arrêts de,937 contre son adversaire préféré. Sachant que Cam Talbot est encore blessé, on peut parier un deux dollars en papier qu’il sera de retour devant le filet des Sens mardi à Montréal.

Greig saisit sa chance

Comme si les Sénateurs avaient encore besoin de jeunes attaquants talentueux… Ridly Greig, joueur de centre de 20 ans qui fait ces jours-ci ses premiers pas dans la LNH. Choix de premier tour des Sens en 2020, Greig connaissait une forte saison dans la Ligue américaine, avec 23 points en 28 matchs, ce qui a justifié son rappel. À son troisième match, samedi, il a ajouté une mention d’aide, sa deuxième déjà. Et il l’a fait avec panache, servant une passe magistrale à Giroux, justement, en avantage numérique. Le vétéran n’a eu qu’à pousser la rondelle dans une cage abandonnée. L’absence de Josh Norris pour le reste de la saison ouvre la porte à un passage à long terme de Greig à Ottawa. Avec Norris, Tim Stützle et Shane Pinto, il pourrait bien compléter, avant longtemps, la meilleure ligne de centre de la LNH.

1. Lisez « Owen Beck a volontiers change ses plans »