Après autant de coups de théâtre, le Canadien a décidé de l’épithète qui qualifierait désormais sa saison : expérimentale. Logique héritier du Grand Cirque ordinaire et de Carbone 14, le Tricolore a ainsi rappelé Owen Beck des rangs juniors, vendredi soir.

Le joueur de centre de 18 ans, sélectionné au deuxième tour (33e au total) du plus récent repêchage, rejoindra l’équipe à Ottawa à temps pour la rencontre de ce samedi soir contre les Sénateurs. Il fera de toute évidence ses débuts dans la LNH.

Rapatrier un joueur junior est une manœuvre extrêmement rare. Sauf erreur, le CH n’y a pas recouru depuis plus de 20 ans, soit depuis que le gardien Olivier Michaud avait troqué son uniforme des Cataractes de Shawinigan pour celui de la Flanelle en octobre 2001.

Beck joue pour les Petes de Peterborough dans la Ligue junior de l’Ontario. La ville de 75 000 habitants se trouve à un peu plus de trois heures de voiture d’Ottawa. Le détail est tout sauf anodin dans l’univers du Canadien de 2022-2023.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Owen Beck

Alors que les doigts de deux mains ne suffisent plus pour compter les joueurs montréalais blessés, le club-école du Rocket de Laval, dans la Ligue américaine, jouait vendredi soir à Cleveland. Les connexions aériennes entre cette ville de l’Ohio et la capitale canadienne étant complexes, il aurait été pratiquement impossible qu’un joueur rejoigne le Tricolore à temps ce samedi.

Même si l’organisation n’a pas encore fourni de détails sur le rappel de Beck, on peut présumer d’une série d’évènements déclencheurs préalables à cette décision singulière.

D’abord, et surtout, la santé des joueurs de centre. Nick Suzuki, Kirby Dach et Christian Dvorak ont fait le voyage vers Ottawa, mais les trois avaient fait l’impasse sur l’entraînement de vendredi matin. Rien ne laisse croire que Suzuki soit blessé, encore que les surprises ne soient plus rares ces jours-ci. Sans rater de match, Dach a sauté tous les entraînements réguliers de la dernière semaine, soit depuis qu’il a stoppé avec son genou un tir frappé décoché sans raison par Radko Gudas des Panthers de la Floride. Son intense utilisation des dernières rencontres – de 22 à 24 minutes – laisse toutefois croire qu’il tient encore debout.

On en sait toutefois peu sur Christian Dvorak, qui a dû rentrer au vestiaire pendant plusieurs minutes jeudi soir face aux Red Wings de Detroit. Il n’a effectué que quatre présences en deuxième période, mais a pu finir la rencontre.

Bref, si l’un des trois principaux centres devait déclarer forfait, alors que Sean Monahan, Jake Evans et Jonathan Drouin sont déjà sur la liste des blessés, il ne reste plus beaucoup d’options de remplacement à l’interne.

Autres avenues

Même s’ils sont en mesure de jouer, la gestion de l’effectif n’est pas simple pour autant. Avec Joel Edmundson qui s’est blessé jeudi, l’entraîneur-chef Martin St-Louis se retrouve avec tout juste sept défenseurs et 11 attaquants, soit une formation minimale de 18 patineurs pour disputer un match. Il est rare qu’une équipe parte sur la route, même pour un court voyage, sans coussin de sécurité. Mettra-t-on en veilleuse la formation 11-7 des derniers matchs au profit d’un traditionnel 12-6 ? On en saura davantage ce samedi matin.

On l’a évoqué : puisque le Rocket se trouvait à Cleveland vendredi, il aurait fallu procéder à un rappel relativement tôt vendredi pour que l’heureux élu puisse revenir à temps au nord de la frontière. Or, on ne l’a pas fait. Est-ce parce que la situation des joueurs présumément en santé a changé en fin de journée ? Ou est-ce plutôt par choix qu’on a décidé de se tourner vers Beck ?

Il faut savoir que le Rocket est lui aussi dévasté par les blessures. Le candidat le plus naturel à un rappel aurait été Anthony Richard, qui a joué avec le CH plus tôt cette saison. Or, pour différentes raisons réglementaires, il devrait passer par le ballottage au moment de retourner dans la Ligue américaine. A-t-on levé le nez sur lui sous ce prétexte ? Ou préférait-on un joueur de centre pur, ce que le Tricolore ne possède plus chez le Rocket ?

Il y a enfin un autre scénario, qu’il ne faut certainement pas écarter trop vite. Celui où la direction de l’équipe désirait réellement voir ce qu’Owen Beck a dans le ventre. Il avait, après tout, fait très bonne impression au camp d’entraînement, dont il est reparti avec un contrat en main. En 37 matchs cette saison, il a déjà accumulé 44 points, et il a reçu une invitation tardive de l’équipe canadienne au Mondial junior il y a quelques semaines.

Les critères pour rappeler un joueur junior sont assez précis, nous ont rappelé nos amis du site CapFriendly. Son séjour ne doit pas durer plus de cinq matchs, il ne doit pas rater plus d’une rencontre au niveau junior et la formation de la LNH doit avoir déjà utilisé deux rappels d’urgence. Dans la situation actuelle, toutes les cases sont facilement cochées, puisque les Petes ne jouent que dimanche et qu’il ne reste que deux affrontements au Canadien avant de profiter d’un long congé de 10 jours. La fenêtre s’est donc ouverte.

Que ce soit en raison d’un amalgame d’écueils logistiques ou tout simplement pour donner sa chance à Beck, le Canadien ne cache plus son jeu. Les 34 matchs qui restent à la saison sont susceptibles de devenir la scène de toutes les expériences possibles. Il n’y a pratiquement plus aucun impératif de performance. Et chaque jour un nouveau soldat tombe au combat.

« Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense », a jadis écrit Baudelaire dans sa correspondance. La dernière idée du Tricolore est drôlement intrigante.