L’anxiété ne choisit ni ses moments ni ses endroits pour se manifester. Le 9 janvier dernier, au beau milieu d’un aéroport, Vincent Desharnais a pu en témoigner.

Le défenseur québécois venait tout juste d’être rappelé par les Oilers d’Edmonton, obtenant ainsi, à 26 ans, son premier véritable essai dans la LNH.

Cela faisait littéralement des années qu’il attendait ce moment. Néanmoins, une inexorable impression l’a envahi. Une sensation qu’il connaissait trop bien, mais dont il ne s’ennuyait pas.

« J’ai eu une vague d’anxiété comme ça m’arrivait il y a deux ans », a raconté le jeune homme à La Presse en entrevue téléphonique.

« Est-ce que je suis capable de faire ça ? s’est-il demandé. C’est intense, ça se passe, là ! »

L’épisode n’a duré qu’« un petit deux ou trois minutes ». Le temps que Desharnais se recentre, respire. « Ça fait trois ans que je travaille mentalement pour des situations comme ça, s’est-il dit. J’ai tous les outils nécessaires. »

La vague s’est cassée d’un coup et n’est plus revenue. Le colosse de 6 pi 6 po a sauté dans l’avion et rejoint les Oilers à Anaheim, où il a disputé le premier match de sa carrière le lendemain.

Les athlètes qui sont « revenus de loin » sont tellement nombreux que le concept est presque galvaudé. Vincent Desharnais, toutefois, coche toutes les cases.

Deux années de suite, il a attendu jusqu’à la fin du repêchage de la LNH sans entendre son nom. À sa troisième tentative, en 2016, il a finalement été sélectionné, mais au lointain septième tour. Or, avec encore trois saisons universitaires devant lui à Providence College, le temps ne pressait pas.

À son entrée chez les professionnels, c’est un contrat de la Ligue américaine qui l’attendait, avec les renvois dans l’ECHL qui vont avec. À la fin de cette entente, toujours pas d’appel du pied des Oilers. Nouveau contrat, donc, avec le club-école de Bakersfield, en Californie.

Desharnais en a déjà parlé sur différentes tribunes : ces années ont été très pénibles pour lui. Blessures, anxiété, dépression… La tentation de tout lâcher s’est présentée, mais il n’y a pas cédé. Ses proches et son équipe l’ont aidé. Il a amorcé des exercices de respiration et de méditation. Il a lu, il a écrit.

Il a réussi à porter son attention sur la seule journée devant lui et à en profiter. « À me lever chaque matin, me mettre un sourire dans le visage ; juste être content et reconnaissant de ce que je vis », précise-t-il.

« Peu importe que je sois dans la Ligue américaine ou dans la LNH, que je sois blessé ou en santé, je réalise à quel point je suis chanceux de vivre ce que je vis. J’ai arrêté de me comparer aux autres. Ultimement, on décide de notre mood, chaque jour. Des fois, c’est plus difficile, mais on doit décoder comment on se sent et mettre ça en perspective. »

180 degrés

Cette renaissance, il l’a vécue dans sa vie personnelle, mais elle s’est transportée à l’aréna. Développé comme un défenseur à caractère défensif depuis l’école secondaire, il a explosé avec 27 points en 66 rencontres à Bakersfield en 2021-2022.

En mars dernier, il a posé sa signature au bas d’un premier contrat de la LNH. Et il y a une dizaine de jours, il y a eu ce rappel.

« Ma vie a changé à 180 degrés ! », a-t-il lancé, encore fébrile, au cours de l’entrevue réalisée après ses trois premiers matchs dans l’équipe de Connor McDavid – et ce, même si le duel contre les Golden Knights de Vegas lui avait valu un nez cassé.

Le monde me demande comment ça va, et ma réponse est littéralement que je vis le rêve. Même dans mes plus gros fantasmes, jamais je n’aurais pensé que mes débuts ressembleraient à ça. C’est vraiment une semaine assez incroyable que je viens de vivre. Tout s’est bien passé.

Vincent Desharnais

Ses nouveaux coéquipiers l’ont accueilli comme l’un des leurs. Ses parents et son frère ont pu arriver à temps pour assister à son premier match. Des personnes qu’il n’avait pas croisées « depuis des années » lui ont écrit. Et il a obtenu son premier point, une mention d’aide, à sa deuxième joute.

« La dose d’amour que j’ai reçue… C’est cool à voir. Je suis vraiment reconnaissant. »

Vu l’escouade défensive relativement en santé des Oilers, le rappel de Desharnais ne visait pas à combler un vide. La direction désirait réellement voir ce que le Lavallois a dans le ventre. On l’a donc intégré à une formation à 11 attaquants et 7 défenseurs, que le club emploie souvent, par ailleurs, et que le Québécois avait aussi apprivoisée dans la Ligue américaine sous les ordres de Jay Woodcroft et de Dave Manson, qui sont aujourd’hui derrière le banc du grand club.

« On aurait pu jouer à 10 défenseurs que ç’aurait été correct, souligne Desharnais en riant. Je suis juste content qu’ils me fassent confiance, qu’ils me donnent de l’expérience. Même si on était sept défenseurs et que mon temps de glace n’était pas si élevé, j’ai quand même pu jouer dans des moments importants. »

À Vegas, samedi dernier, il s’est retrouvé sur la glace avec moins de deux minutes à écouler, et alors que son équipe tentait de protéger une avance d’un but. Il a été inséré dans la rotation habituelle en désavantage numérique.

Il apprivoise le niveau de jeu, impressionné par la qualité de l’exécution des joueurs autour de lui : « Ils sont toujours à la bonne place, le bâton sur la glace, et ils veulent la rondelle. »

Il savoure chaque moment, même ceux passés sur le banc pendant l’avantage numérique, à regarder Connor McDavid et Leon Draisaitl faire leur magie : « La rondelle bouge en tabarouette ! »

Il avoue qu’il n’a « aucune idée » de ce que l’avenir à court terme lui réserve. Au moment de conclure l’entretien, il avait « hâte » d’aller s’entraîner. Mardi soir, il a obtenu sa quatrième audition, contre le Kraken de Seattle.

Cela fait des années qu’il aborde les journées une à la fois ; pas question de changer quoi que ce soit à cet égard. L’angoisse momentanée du rappel a rapidement fait place à « l’excitation et à la joie ». À l’impatience d’« embarquer sur la glace et de vivre cette expérience-là ».

Et c’est exactement ce qu’il fait. Sans retenue.