On ne parle plus souvent de la commission Dubin. Celle-ci, pourtant, à la fin des années 1980, a permis de mettre en lumière le fléau du dopage dans l’athlétisme canadien.

Membre de la commission d’enquête créée dans la foulée du scandale Ben Johnson, le juriste Hugh Fraser a dû poser un regard froid et critique sur un milieu gangrené par des pratiques illégales devenues usuelles. Lui-même ancien sprinter, il a vu défiler certains de ses ex-coéquipiers parmi les témoins. Les révélations étaient accablantes.

Plus de 30 ans plus tard, il parle donc en connaissance de cause lorsqu’il affirme être pleinement préparé à prendre les « décisions difficiles » qui s’imposeront au cours de son mandat à Hockey Canada.

Tout juste avant Noël, un conseil d’administration entièrement renouvelé a été nommé. On en a confié la présidence à Hugh Fraser, candidat au profil sans faille. Membre du relais 4 x 100 m aux Jeux olympiques de Montréal en 1976, il a été juge à la Cour supérieure de l’Ontario pendant 25 ans. Depuis des années, il siège à des tribunaux liés au mouvement olympique et a fait office d’arbitre indépendant dans des cas de dopage, entre autres. Depuis 2019, il est membre du groupe de résolution de cas complexes dans la NCAA. Il n’a jamais travaillé dans le domaine du hockey, mais amène avec lui une expertise pointue sur l’éthique dans le sport.

Celle-ci tombe à point nommé. Car au terme d’une année horrible pour la fédération, tout est à rebâtir. Des révélations embarrassantes ont semblé se succéder à l’infini. Le lien de confiance avec le public, la classe politique et des partenaires de longue date est rompu.

Au cours d’une entrevue d’une trentaine de minutes accordée à La Presse, mercredi, M. Fraser n’a jamais prononcé les noms des administrateurs et gestionnaires emportés par la vague de scandales des derniers mois. Le regard est résolument porté vers l’avant, mais le ton, quoique cordial, reste ferme. Les yeux sont ouverts ; les oreilles, tendues. L’heure n’est plus à balayer, détourner, étouffer. Hockey Canada sera évalué sous toutes ses coutures. On ne promet pas que les têtes rouleront, mais on n’hésitera pas à faire des gestes draconiens si la situation l’impose. On évaluera les actuels membres de la direction, dont certains sont dans l’organisation depuis des dizaines d’années et sont de facto associés à la culture qu’on tente de changer.

Depuis le mois de mai, l’organisation a projeté une image de fermeture, voire de déconnexion par rapport à la société dans laquelle elle évolue. Or, « c’est un nouveau jour », a promis le nouveau président du C.A. « Je parle au nom de tout Hockey Canada quand je dis qu’on doit absolument écouter davantage. »

Révélations

Une entente à l’amiable conclue avec la victime alléguée d’un viol collectif par des membres de l’équipe nationale junior 2018 est devenue, le printemps dernier, le point de départ d’une interminable série de révélations qui, chaque jour, plongeaient davantage dans l’embarras les dirigeants en place. Des histoires à glacer le sang. Des enquêtes bâclées. Des millions de dollars puisés dans des fonds alimentés par de l’argent public et versés à des victimes d’agression sexuelle. Une gestion des finances opaque, sans reddition de comptes. En comité parlementaire, les dirigeants se sont montrés frondeurs, voire arrogants.

La crise a coûté le poste de deux présidents du C.A. et du PDG Scott Smith. L’organisme a été désavoué par le gouvernement du Canada, qui lui a coupé les vivres. Les fédérations provinciales ont défié leur entité mère. Des commanditaires de longue date ont quitté le navire. Le gâchis est total.

Un rapport rédigé par l’ex-juge de la Cour suprême Thomas Cromwell a décrit une gouvernance défaillante, en grave déficit de transparence et de responsabilité.

Hugh Fraser sait donc trop bien que le mandat qui l’attend ne sera pas une partie de plaisir. Au nom de ses collègues administrateurs, il souligne que « si quelqu’un a peur de prendre une décision difficile, il ne fallait pas dire oui » aux recruteurs chargés de trouver des candidats.

Il « espère qu’il n’y aura plus de mauvaises nouvelles », mais se dit néanmoins « préparé à tout ». La révision des finances de la fédération pourrait notamment réserver des surprises – des reportages ont révélé une gestion laxiste et dépensière.

Surtout, la nouvelle enquête commandée par Hockey Canada sur le viol collectif allégué de 2018 par des membres de l’équipe nationale junior est terminée, et son compte rendu est entre les mains d’un comité indépendant qui fournira des recommandations au C.A. Que l’investigation soit concluante ou non, une nouvelle tempête soufflera lorsque des résultats en seront dévoilés.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Hugh Fraser

« Personne n’a accepté [ce mandat] en croyant que ce serait facile ou que tous les problèmes seraient réglés en un mois, rappelle M. Fraser. Quand on creuse et qu’on trouve des choses qu’on n’aime pas, on doit se demander : comment on arrange ça ? »

Je crois que tous les problèmes ont une solution, même si certaines sont plus complexes ou douloureuses que d’autres.

Hugh Fraser, nouveau président du conseil d’administration de Hockey Canada

Il cite l’exemple de verdicts qu’il a dû rendre, comme arbitre, dans des cas de dopage. Des décisions complexes, « qui pouvaient mettre fin à des carrières ».

Il se réfère aussi à son expérience à la commission Dubin, une période « sombre » pour l’athlétisme canadien. Or, « il y a eu des réformes et l’organisation en est sortie très forte en matière d’intégrité », souligne-t-il.

« Ça me rend optimiste, car si ces changements ont pu se faire, pourquoi Hockey Canada ne pourrait faire de même ? Je suis assez vieux pour avoir l’histoire de mon côté et savoir que lorsque les gens s’impliquent réellement, des changements peuvent survenir. »

Culture

Hugh Fraser et les autres nouveaux administrateurs de Hockey Canada viennent de conclure le premier mois de leur mandat d’un an. Le temps file, et il y a beaucoup à faire.

La pause des Fêtes a été courte. Déjà, le nouveau C.A. s’est réuni de manière virtuelle pendant quelque 40 heures, estime son président. Une rencontre en personne à Halifax, en marge du récent Mondial junior, a permis de créer les comités prioritaires, notamment celui chargé de la recherche d’un nouveau PDG.

Les chantiers sont multiples et devront se déployer en parallèle. Les changements de gouvernance recommandés par le juge Cromwell seront implantés. On rencontrera les fédérations provinciales et territoriales au début du mois de février. On prévoit aussi s’asseoir avec la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, qui a vertement critiqué l’organisme depuis le printemps.

À travers cela, M. Fraser souhaite poser son empreinte sur son règne en mettant de l’avant des thèmes qui lui sont chers, soit la diversité et l’accessibilité. Le hockey coûte cher et est historiquement pratiqué, dans une écrasante proportion, par une population blanche issue de la classe moyenne. « La nature de notre pays change », note-t-il. Le hockey doit changer aussi.

Et il y a aussi l’éléphant dans la pièce. Cette fameuse « culture » toxique du hockey, particulièrement chez les garçons. Celle où misogynie, discrimination des minorités et impunité ont été érigées en système, et dont l’absence de diversité est probablement à la fois la cause et la conséquence. Hugh Fraser n’a pas besoin qu’on lui fasse un dessin : ses deux fils ont joué au hockey – son cadet, Mark, a même atteint la LNH. On leur a crié de retourner en Afrique. Le mot qui commence par N a été entendu.

Des enjeux « systémiques » existent. « Je ne vais pas le nier. »

L’administrateur ne veut plus que le hockey soit l’enfant pauvre du sport canadien, mais bien un « leader » en matière de sécurité et d’inclusion. Il souhaite investir beaucoup d’énergie dans un nouveau « code de conduite », qui devra surtout être « à tout le monde, sans exception ». « Que tu sois un marqueur de 100 buts ou le dernier joueur sélectionné dans l’équipe », précise-t-il.

Ce code ne doit pas s’en tenir au « seuil minimum acceptable ». Son message : « Si tu ne t’y conformes pas, on n’aura pas de place pour toi. »

La Presse fait alors remarquer à son interlocuteur qu’un code de conduite n’a pas prévenu les tristement nombreux cas d’agressions sexuelles de groupe commises par des hockeyeurs au cours des dernières années.

À ce sujet, il invoque la fin des « traitements particuliers ». Les joueurs ne doivent plus être placés sur un « piédestal ». « J’ai le sentiment que si les règles sont les mêmes pour tout le monde, les choses peuvent changer. En fait, elles doivent changer. » Ce qui passe inévitablement par l’« éducation » des joueurs et de ceux qui les encadrent.

Les projets de l’ex-juge sont nombreux, ambitieux. Un seul mandat d’un an ne suffira vraisemblablement pas à les mener à terme. Il n’empêche que de reconnaître les problèmes, et ce, dans le but de les aborder de front, représente en soi un changement.

C’est déjà beaucoup.