« Penses-tu que tu vas rejouer au hockey ? » Cette question, Gregory Lapointe l’a entendue souvent, l’année dernière, alors qu’il menait une rude bataille contre le cancer. Chaque fois, ça le « poussait » encore plus à vaincre la maladie. Le 3 décembre dernier, il a inscrit un tour du chapeau dans une victoire de sa formation universitaire. Récit.

En mars 2021, Gregory Lapointe et les Saints de l’Université St. Lawrence ont remporté le championnat de la conférence ECAC, en division 1 de la NCAA.

Dans les semaines qui ont suivi, alors que la session hivernale tirait à sa fin, le Québécois a commencé à perdre beaucoup de poids. Il avait des sueurs la nuit et ses jambes lui démangeaient « jusqu’au sang ». Dans son cou, il a remarqué une petite bosse s’apparentant à un kyste.

À la fin mai, le hockeyeur a fait ses bagages et est retourné chez ses parents, à Granby, en vue de sa session estivale qui se déroulait virtuellement en raison de la pandémie. Dans son cou, la bosse était toujours là ; elle avait crû jusqu’à devenir aussi grosse qu’une balle de golf. La mère du jeune homme, Geneviève Monty, lui a demandé d’aller consulter son médecin, qui pratique dans une clinique privée.

« On ne va pas payer 200 $ pour qu’il me dise que j’ai une bosse dans le cou », lui a répondu Gregory.

Sans surprise, ce ne sont pas 200 $ qui arrêteraient une mère inquiète. Une fois sa quarantaine terminée, Gregory a rendu visite au dit médecin, qui a évoqué deux possibilités : une mononucléose ou un cancer. « Et il ne pensait pas que c’était la mono ! », s’exclame Gregory dans un long entretien virtuel avec La Presse.

Étape suivante : un examen à l’hôpital. C’est là que le diagnostic est tombé. Le Granbyen était atteint d’un lymphome de Hodgkin de stade 3.

Le médecin, qui connaît bien la famille Lapointe, s’est rendu chez elle pour lui annoncer la mauvaise nouvelle de vive voix. Ce sont les parents de Gregory qui l’ont accueilli, leur fils étant parti jouer au golf avec sa sœur.

« Ma mère agissait tellement bizarrement. Elle me textait : es-tu correct ? Quand reviens-tu à la maison ? Je disais : maman, je viens de partir, je vais revenir après ma ronde de golf. Puis elle textait ma sœur : ton frère est-il correct ? »

Quand je suis revenu, mes deux parents pleuraient à la table.

Gregory Lapointe

En apprenant la nouvelle, Gregory était sous le choc. Il ne savait trop comment réagir, les émotions se bousculaient en lui.

« Je suis allé dans la douche et j’ai craqué complètement. Mais à part de ça, je l’ai bien pris. Tu ne peux rien y changer. Il faut que tu passes au travers. »

Le début d’un long combat

Dès le premier jour, Gregory a adopté une mentalité positive. « Je me disais : peu importe ce que je dois faire, faites-le pour que ce soit fini et que je puisse passer à autre chose. […] Moi, je voulais revenir [à St. Lawrence] avec mes amis, jouer au hockey. »

Avec son médecin et ses parents, il a convenu de se faire traiter à Sherbrooke, en pédiatrie, malgré son âge. De cette façon, il pourrait être accompagné d’un parent pendant ses traitements, en ces temps de COVID-19.

« La première fois que je suis rentré là-dedans… Je te dis, on ne dirait pas que t’es dans un centre d’oncologie, raconte-t-il. Les enfants sont sur leur iPad, ça rit dans leur chambre. Ça crie, ça dessine. On ne dirait pas qu’ils sont malades. Ils ne réalisent pas. »

« Juste de voir le sourire dans leur visage… Je me suis dit : si un enfant de 5 ans ou un ado de 13 ans qui commence le secondaire est capable de le faire, toi, t’es capable. »

Gregory a ainsi entamé, le 20 juillet, ses premiers traitements de chimiothérapie, qui s’étendaient sur 15 semaines. Un soir, alors qu’il s’apprêtait à se coucher après une journée de traitements, son cellulaire a sonné. Numéro masqué. « It’s Bobby », a dit un homme au bout du fil. « Bobby ? », a répondu Gregory. « Bobby Orr ! », s’est exclamé son interlocuteur.

« J’étais comme : oh shit ! » lance Gregory en riant.

PHOTO FOURNIE PAR GREGORY LAPOINTE

Gregory Lapointe et sa mère Geneviève Monty

Pendant quatre mois, l’attaquant de 5 pi 9 po a reçu un soutien inestimable de ses proches. Ses coéquipiers de St. Lawrence l’appelaient tous les deux jours. Le jeune homme, déterminé, continuait à s’entraîner autant que possible, même s’il peinait à soulever le moindre poids, et à travailler dans un camp de hockey.

« À un moment donné, j’ai enlevé ma casquette et j’avais plein de mottons de cheveux. J’étais genre : oh non ! Ç’a juste commencé à être un running gag au camp. Je laissais les enfants tirer sur mes cheveux », relate-t-il en souriant.

Le combat se poursuit

Gregory devait terminer ses traitements le 25 octobre 2021. Quand est arrivé son dernier cycle, le jeune homme a passé un nouvel examen dans l’espoir que la masse cancéreuse ait disparu. Les résultats n’étaient pas ceux escomptés.

« Mon père me dit ça [de façon] casual dans la chambre : ouin, ce n’est pas parti. J’ai répondu : de quoi, ce n’est pas parti ? Il a dit : c’est revenu.

« Mon but, c’était de [recommencer le hockey] à Noël. J’étais genre : c’est sûr que tu me niaises ! Je me suis enfermé dans ma chambre pendant une semaine. »

À la mi-novembre, le jeune homme s’est rendu à Canton, dans l’État de New York, pour assister avec ses coéquipiers à la levée de leur bannière de champions. C’est lui qui a transporté le trophée sur la patinoire, sous les applaudissements de la foule. « Ç’a fait du bien de voir tous les gars. Ç’a changé mon mindset », dit-il.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @SAABSKI

Gregory Lapointe

À son retour au Québec, Gregory se sentait fin prêt à attaquer ses deux autres cycles de traitements. Et cette fois-ci, ç’a fonctionné. Au revoir, le cancer ! Tranquillement, ses cheveux et sa barbe ont repoussé. Puis, le 14 mars, il a reçu une greffe de cellules souches, un processus souffrant qui dure quelques minutes.

« Ça reset ton système immunitaire, explique-t-il. […] Ils appellent ça la greffe du nouveau-né, donc je me suis dit : c’est ma date, c’est ma renaissance. »

Cette date est maintenant tatouée sur sa jambe.

Ne rien tenir pour acquis

L’été dernier, Gregory Lapointe a enfin pu rechausser ses patins et sauter sur une patinoire de nouveau. Pendant plusieurs semaines, il s’est entraîné d’arrache-pied afin de retrouver son cardio et récupérer tout le poids qu’il avait perdu, soit plus de 25 lb.

Ses premières semaines à St. Lawrence, où il bénéficie d’une bourse d’études complète, ont été difficiles. Après 10 matchs, il n’avait toujours pas marqué, un fait inhabituel dans son cas. Pour la première fois de sa vie, il a été laissé de côté à deux reprises par son entraîneur.

Le 2 décembre, les Saints visitaient les Bobcats de l’Université de Quinnipiac, contre qui Gregory a l’habitude de bien performer. C’est d’ailleurs face à cette équipe que les Saints ont remporté le Championnat ECAC en 2021.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @SAABSKI

Gregory Lapointe

Ce soir-là, à son 11e match de la saison, Gregory a inscrit son premier but depuis mars 2021. Frissons.

« J’ai reçu la rondelle devant le but et j’ai eu un blackout total. Je ne me souviens même pas de ce que j’ai fait après le but ! Je suis arrivé sur le banc, j’étais excité. Je me sentais 50 lb plus léger. C’était malade. Je vais me souvenir de ça toute ma vie. »

Quand t’es chez vous à ne rien faire, tu y penses, à ce but-là. Je l’ai tellement visualisé. C’était juste magique.

Gregory Lapointe

Le lendemain, face aux Tigers de l’Université Princeton, il a couronné un week-end inoubliable avec un tour du chapeau.

« Les gars ne réalisent pas combien ça vaut pour moi, ces buts-là, laisse entendre le jeune homme. Je les ai remerciés de m’avoir soutenu tout au long de ça. Je vais me rappeler de ces gars-là toute ma vie. »

À l’écran, Gregory Lapointe sourit. On le sent heureux, soulagé d’avoir récupéré une vie normale. Sur le mur derrière lui sont suspendus des chandails de Patrick Kane et de Nicklas Lidström ainsi qu’une affiche aux couleurs de son université. Quand on lui demande, en fin d’entretien, ce que cette épreuve lui a appris, le jeune homme nous explique qu’il prend maintenant le temps d’apprécier les petites choses.

« Je ne dois rien tenir pour acquis. Juste, enjoy la vie. »