La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Aujourd’hui : Suzie*, mi-quarantaine

Suzie a été trahie, puis trahit à son tour. Et c’est évidemment immensément plus compliqué que tout ce qu’on pourrait imaginer. Résumé d’une vie en dents de scie.

Oubliez ici « la petite famille parfaite ». « J’avais envie de montrer l’envers du décor. Derrière la porte, c’est ça : il y a toutes sortes d’histoires… »

La chic quadragénaire nous a donné rendez-vous dans une aire de restauration anonyme du centre-ville. Blonde, avec sa démarche assurée, elle dégage à la fois force et fragilité. C’est que ses yeux se rempliront souvent d’eau pendant son témoignage. Disons qu’elle en a long à raconter.

Elle rencontre son mari à la mi-vingtaine. C’est le deuxième homme de sa vie, après un premier amour d’adolescence qui dure 10 ans et qui n’est pas exactement de tout repos. Au lit, glisse-t-elle : « c’était bien, mais rough. […] C’est déjà arrivé qu’il me pénètre avec autre chose, en me disant que je ne le méritais pas… »

On imagine son bonheur, donc, en rencontrant ensuite celui qui allait devenir le père de ses enfants. « Je le trouvais tellement parfait à comparer à l’autre : doux, aimant, généreux, il voulait des enfants ! Il m’a pris comme j’étais. C’était extraordinaire. »

La chimie est au rendez-vous. « C’était wow. Moi, j’aime l’intensité, je n’aime pas la routine. Et on a fait ça dans toutes sortes d’endroits. Il me faisait sentir belle tout le temps. »

La lune de miel dure un temps. « Et puis, on s’est établis. » Et Suzie est tombée enceinte. À peu près en même temps, son mari a perdu un proche, un deuil qui l’a démoli. « Mais moi, je n’ai pas vu à quel point il n’était pas bien », dit Suzie, qui se donne à fond dans sa nouvelle mission : sa maternité. Certes, leur sexualité tombe alors à zéro, et ce, pendant les neuf mois de sa grossesse (et plus encore). « Oui, je trouvais ça bizarre, confirme-t-elle, mais je mettais ça sur le deuil. »

Seulement voilà : une collègue de monsieur perçoit sa détresse. Elle lui tend une perche. Et ce qui devait arriver arrive : il trompe Suzie. L’affaire dure quelques mois.

Et là, un jour, il m’annonce qu’il m’a trompée. Mon monde s’écroule.

Suzie, mi-quarantaine

« Je ne comprends pas », poursuit-elle doucement, ses grands yeux bleus tout à coup mouillés. « On vient de se marier. Ce n’est pas moi qui ai arrêté la sexualité, c’est lui ! »

La nouvelle mère, mi-trentaine, veut « à tout prix » comprendre ce qui s’est passé et ils entament ensemble une thérapie. « Le psychologue nous a sauvés », dit-elle ici. Parce qu’en rencontre, elle comprend rapidement une chose, sans doute la plus importante : « On s’aimait ! »

N’empêche qu’elle le sait : « Il faut être forte en titi pour accepter ça… »

La thérapie s’étire sur quelques années et à ce jour, Suzie ne regrette rien. Cela fait près de 10 ans, et « je n’ai jamais regretté d’être restée, même si les conséquences sont immenses », ajoute-t-elle. Et pas des moindres. En effet, les premiers temps, leur sexualité reprend en lion. « La peur de se perdre, ça rapproche énormément. […] Mais ça ne dure pas longtemps. » En fait, « ça s’épuise », dit-elle, très rapidement, et surtout : totalement.

Ensemble, ils auront un autre enfant, et leur sexualité va pour ainsi dire s’arrêter là. Depuis ? « Rien du tout. Et il n’est pas capable d’expliquer pourquoi. […] Il a consulté, mais il ne sait pas pourquoi. » Cela va faire près de 10 ans et elle peut compter sur les doigts d’une main leurs rapprochements.

« Côté affectif, émotionnel, il est présent, dit-elle. Il me prend dans ses bras, me dit que je suis belle, que je suis bonne, il est encore impressionné par moi et je le suis par lui. »

Mais côté sexualité, c’est le néant. D’abord, elle a cru qu’il la trompait. « J’ai toujours mes vieux fantômes. » Mais non, assure-t-il. Il ne se masturbe même plus. « Il n’a plus envie. » Point.

Fin de l’histoire ? Tout le contraire. C’est que de son côté, et depuis plusieurs années, Suzie a la libido dans le tapis. « C’est terrible, sourit-elle enfin. Je suis une autre personne ! J’ai eu plusieurs chirurgies esthétiques, je me sens bien dans mon corps, je pensais qu’il en profiterait et… non. Il le dit qu’il sait qu’il me néglige, mais il ne se passe rien de plus. » Suzie a tout essayé.

Des tenues sexys, des films, des soirées, non : j’ai toujours de l’affection, mais ça ne se rend jamais plus loin.

Suzie, mi-quarantaine

Si elle a pensé à le quitter ? ose-t-on. « Oui, mais je l’aime ! Il n’y en a aucun autre que je voudrais marier ! […] Ensemble, on a plein de choses en commun ! »

Alors pour éviter de devenir « frustrée, aigrie, impatiente et contrariée », pour combler ce « volet » comme elle dit, qui lui manque « énormément », il y a quelques années, Suzie s’est inscrite sur un site de relations extraconjugales. Depuis, elle a rencontré quelques hommes et a fini par se fixer sur un seul qu’elle fréquente en douce quelques fois par mois. « Qui peut ne plus avoir de relations sexuelles pour le reste de sa vie ? »

Avec cet homme, elle a redécouvert les joies d’embrasser, mais aussi de sentir une main frôler son sein, une cuisse se rapprocher de la sienne, « sentir l’érection chez l’autre ». « Il n’y a rien qui me plaît plus que le regard, le désir. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas vécu ça ! »

« Mon mari, je l’aime, insiste-t-elle, je l’aime d’un amour sincère. Il me manquerait tellement quelque chose dans ma vie s’il n’était pas là ! Mais si je ne faisais pas ce que je fais, je serais probablement partie. Je ne peux pas mettre une croix là-dessus. »

Une fois, en thérapie, ils ont évoqué la question : et si Suzie comblait ses besoins ailleurs ? Devant le visage déconfit de son mari à cette simple suggestion, elle a compris. « Il ne peut pas me dire non, mais clairement il n’est pas prêt, sait-elle. Et je ne veux pas lui faire de peine. » Alors, elle se tait. « J’ai vraiment le feeling que cette histoire-là [son infidélité] l’a traumatisé. […] C’est comme si le sexe était devenu quelque chose qu’il bloque. »

Donc oui, elle se sent coupable de lui mentir, mais pas tant, « parce que si je ne le fais pas, je vais mettre fin à notre relation. J’ai besoin de ça ! ».

Ce n’est pas la conclusion qu’elle aurait souhaitée à son récit, mais tant pis. C’est la sienne : « Je vais voir ailleurs parce que je n’en peux plus de n’avoir aucun contact charnel avec la personne que j’aime. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.