Alors qu’enfants et adolescents sont de plus en plus exposés à la réalité des changements climatiques, il faut privilégier le dialogue à l’évitement, soutient la Dre Laelia Benoit, pédopsychiatre. En collaboration avec la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, qui a financé en partie une étude qu’elle a menée sur le sujet, la chercheuse à l’Université Yale a élaboré deux guides pour aider les parents et les enseignants à aborder le sujet.

Vous avez mené une étude dans trois pays (France, États-Unis et Brésil) pour comprendre comment les enfants et les adolescents réagissent face aux changements climatiques. Quels sont les principaux constats ?

Le changement climatique est un sujet qui les intéresse, dont ils ont envie de parler, qu’ils ont envie de comprendre. Ils sont inquiets et préoccupés, mais en même temps, ils ne disent pas que ça atteint leur santé mentale. Ils disent : « Ça me préoccupe, mais j’arrive aussi à vivre ma vie, à jouer. » C’est plutôt positif. On n’est pas sur une épidémie d’écoanxiété qui toucherait les tout-petits, qui les empêcherait de grandir. L’autre résultat positif est que les enfants (de 7 à 10 ans) ont envie de participer, ils ont envie de faire des petites choses, de planter des arbres, de faire du recyclage. On sait que ce ne sont pas des actions révolutionnaires, ce sont de petits écogestes, mais à leur âge, ils sont déjà très contents de le faire. Un autre constat est que les enfants ne comprennent pas l’intérêt des gestes climatiques si on ne leur explique pas. On a une génération de jeunes parents qui sont sensibilisés au climat, qui ont envie d’agir, qui font plein de choses, mais ils ont très peur de stresser leurs enfants, donc ils n’expliquent pas ce qu’ils font. La conclusion de cette étude, c’est que quand on n’explique pas, les enfants ne comprennent pas et du coup, ils ont l’impression que leurs parents ne s’intéressent pas au climat. Et ça, c’est problématique, parce que quand ils grandissent, ils ont l’impression que personne ne s’y intéresse.

Consultez les résultats de l’étude menée aux États-Unis et en France (en anglais) Consultez les résultats de l’étude menée au Brésil (en anglais)

PHOTO FOURNIE PAR LA DRE LAELIA BENOIT

La Dre Laelia Benoit, pédopsychiatre et chercheuse à l’Université Yale, aux États-Unis

Mais est-ce qu’on ne risque pas de causer un stress à nos enfants en abordant ce sujet avant qu’eux nous en parlent ? N’est-il pas légitime de vouloir préserver leur innocence ?

De toute manière, ils vont y être exposés à un moment ou à un autre. Ça fait partie des vérités difficiles de la vie, comme la mort. L’essentiel, c’est d’en parler avec des mots simples qui sont adaptés à leur âge et d’en parler dans le contexte d’une action. Plutôt que de parler de choses très négatives, dire par exemple : « On essaie d’acheter sans emballage pour protéger la planète. » Il faut tourner les choses de manière positive.

À quel point l’écoanxiété ressentie par le parent peut-elle se transmettre à l’enfant ?

Avant de parler à son enfant, la première chose à faire en tant que parent, c’est de prendre le temps de ressentir ses propres émotions. Pas pour les contrôler, pour les annuler, pour ne pas ressentir de tristesse, mais juste pour être conscient de ce qu’on ressent. Ça permet ensuite de mettre des mots dessus, de pouvoir dire : « Bah oui, maman aussi, elle est triste que ça se passe comme ça et je comprends que tu sois triste. » C’est mieux de dire ça que d’éviter de parler du sujet, parce que sinon, les enfants sentent que c’est un sujet tabou. Si on essaie de leur cacher qu’on est inquiet, ils le sentent.

Est-ce que l’approche à adopter est la même pour les adolescents ?

Il y a deux choses qui changent beaucoup à l’adolescence. Premièrement, ils ont accès à plus d’informations, soit à l’école, soit avec les réseaux sociaux. Ils vont apprendre plein de choses par eux-mêmes, y compris la gravité de la situation. Deuxièmement, ils commencent à avoir conscience de la complexité des systèmes, c’est-à-dire que si j’éteins la lumière ou que si je diminue d’un degré le chauffage, ça ne va pas changer la situation. Donc, ils sont moins rassurés par les gestes individuels. Parmi les choses qu’on a trouvées dans l’étude, il y a la colère des adolescents, leur indignation. C’est souvent lié à un manque de communication intergénérationnelle. Si les parents n’expliquent pas qu’eux aussi s’intéressent au climat, qu’eux aussi sont inquiets et qu’eux aussi essaient de faire des choses, les ados ont l’impression qu’ils sont les premiers à s’en préoccuper. Aussi, vu qu’ils connaissent les systèmes plus complexes, on peut parler avec eux de l’importance du collectif. Ce n’est pas forcément de poser des gestes de très haut niveau, mais des actions locales qui ont un impact carbone non négligeable. Ce que disent les ados dans notre étude, c’est qu’ils ont besoin de l’aide des adultes pour les aider à monter ce genre de projets.

Quel est le rôle de l’école et des enseignants ?

Évidemment, la sensibilisation, c’est-à-dire expliquer le phénomène, les mécanismes. Maintenant, c’est intégré dans les programmes. [Au Québec, le ministre de l’Éducation a annoncé en octobre que les programmes d’études en science et en technologie seront révisés pour faire plus de place aux changements climatiques.] Pour les jeunes qui ont des origines sociales plus défavorisées, c’est l’école qui joue ce rôle d’enseigner le changement climatique. L’autre chose que l’école peut ajouter, ce sont des propositions d’actions concrètes.

Vous avez publié récemment un essai sur l’infantisme, une forme de discrimination à l’égard des mineurs. Quel impact cela a-t-il lorsque des adultes se moquent de la parole des jeunes ou la discréditent ?

L’impact, c’est de se sentir déconsidéré, d’être ignoré. C’est très blessant. Et c’est une perte d’opportunité parce que l’envie d’agir, elle est là. Ils ont envie de faire des choses, ils ont envie de participer, ils ont de l’énergie. C’est du gâchis de mal les considérer alors qu’ils ont envie de faire leur part.

Les propos de cette entrevue ont été modifiés par souci de concision.

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