La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Francis*, début soixantaine.

Francis est en couple avec le « chum de sa vie », et ce, depuis 20 ans. Mais il n’est pas en couple monogame pour autant. C’est d’ailleurs le secret de son bonheur, croit-il, rayonnant. Récit d’un homme en mission.

Son histoire ressemble à d’autres que vous avez peut-être lues ici, sait-il. Tant pis. Ou plutôt : tant mieux. « Parce qu’on n’en entend pas assez parler, déclare-t-il d’emblée et en souriant, confortablement installé dans un joli parc du Village. C’est un peu la même chose, mais ce n’est pas la même chose, et pour défoncer le tabou, il faut dire ces choses ! »

L’homme, début soixantaine, comédien de son état, se confie avec douceur et autant d’éloquence. Son but ? « Contrecarrer l’endoctrinement », déclare-t-il sans hésiter, en lorgnant par ailleurs de jolis corps musclés qui s’entraînent tout près, sous le soleil tapant de cette fin du mois de mai. Pourquoi, au juste ?

Parce que c’est le bonheur ! Ça enrichit la vie ! Ce n’est peut-être pas pour tout le monde, mais il faut que tout le monde ait cette option dans la tête !

Francis

Ah oui, et parce que tous les couples ouverts ne sont pas non plus des couples d’obsédés, tient-il à préciser. « Est-ce que je paranoïe ? Je pense que ça dérange, dit-il en riant. Mais ce n’est pas parce qu’on a plusieurs relations sexuelles avec différentes personnes qu’on est des obsédés sexuels ! »

Non, il n’a pas toujours pensé ainsi. En fait, il n’a même pas toujours été gai. Ou, du moins, pas toujours osé s’affirmer. Ça n’a pas vraiment de lien, croit-il, ou peut-être que si, vous verrez, mais toujours est-il que jusqu’à 20 ans, Francis a carrément joué à l’hétéro. Il entend encore son père « homophobe » le mettre en garde avec ses frères, autour de ses 7 ans : « Vous pouvez être mendiants, voleurs, assassins, tout sauf homosexuels, leur dit-il. Et c’est resté ancré. J’adorais mon papa. »

Francis vit à l’époque à l’étranger, et a sa première relation sexuelle vers 17 ans, avec une prof de français, jeune trentaine. Tout sauf traumatisante, prend-il bien soin de préciser. « C’est charmant, extraordinaire, fantastique », dit-il en souriant. À preuve : il couche ensuite avec sa collègue, prof également !

Ce n’est qu’à 20 ans, en débarquant à Montréal, qu’il s’« assume », comme on dit. « C’est la révolution totale, poursuit-il. Je suis au Conservatoire, je vois des gais, il y a de la cruise, les gens sont gentils, c’est facile, je m’abandonne. [...] C’est la chance de ma vie, sinon j’allais vers une vie ratée... »

Sa première expérience avec un « gars de l’école » est aussi « super ». « Je vivais tellement quelque chose de grandiose, je me disais que je pourrais mourir là, ça ne serait pas plus grave que ça, rien ne pourrait dépasser ça. » Ça vous donne une idée de toute l’« énergie refoulée » jusqu’ici.

En quête d’« absolu »

Francis « butine » ensuite à droite et à gauche quelques années, avec des garçons, mais aussi quelques filles, avant de se fixer véritablement sur les hommes, mi-vingtaine.

Il enchaîne alors les histoires monogames (un an ici, trois ans là, etc.) avant de passer plus de 10 ans avec un type « fantastique », rencontré au début de la trentaine. Précision : oui, en relation exclusive toujours.

« Je crois que c’est l’homme de ma vie, en même temps je cherche l’absolu, analyse Francis avec le recul. Et puis peut-être que je ressens une petite lassitude. » Bref, il souhaite mieux. Ou disons autre chose. Autrement, peut-être ?

Au tournant de la quarantaine, Francis se sépare, pour rencontrer ensuite un énième amoureux, le fameux « chum de sa vie », avec qui il est encore aujourd’hui, près de 20 ans plus tard. « Et c’est la totale ! rayonne-t-il, je l’adore, [...] il est magnifique ! »

Nous y voici enfin. C’est qu’avec ce nouvel amoureux, Francis décide de vivre à sa guise. « Je vais être un libre penseur. Je ne vais pas me faire avoir une deuxième fois par des pensées formatées », souhaite-t-il, en faisant allusion à l’hétéronormativité imposée par son paternel, on s’en souvient.

À l’époque, il entend encore Janette Bertrand déplorer à la radio que les jeunes veuillent tout avoir : « La grande histoire d’amour qui dure et le sexe avec des rencontres occasionnelles. Mais cela n’est malheureusement pas possible. » Pourquoi pas ? se demande notre homme, tout en précisant à quel point il « adore » Janette Bertrand – « c’est une déesse, elle a fait tellement pour nous ! » N’empêche, enchaîne-t-il. « Mon instinct me dit que c’est possible. Nos grands-parents ont vécu des relations exclusives, ça n’a pas marché, nos parents ont eu des expériences sexuelles en cachette, les relations n’ont pas duré... »

Il y a une troisième option pour moi : une relation qui dure et des expériences sexuelles dans la transparence, sans mensonge, mais dans l’écoute.

Francis

Il impose plus ou moins l’affaire à son compagnon, qui n’est pas encore rendu là. « Il est plus jeune, explique Francis, a moins d’expérience, peut-être moins de réflexion... » Et non, ça n’est pas exactement évident pour lui. Pensez : larmes d’un côté, remords de l’autre. « Mais je l’ai rassuré beaucoup, je l’adorais, répète-t-il. Mais je n’allais pas me laisser enfermer. » Et puis ? « Finalement, lui aussi a exploré et ça a été fantastique pour lui aussi. »

Concrètement ? Plus jeunes, cela voulait dire que quand ils sortaient dans les « clubs », « si on rencontrait quelqu’un d’autre et qu’on rentrait à 8 h du matin, c’était tout à fait correct ». Aujourd’hui, cela se passe davantage via les applis. « S’il y a attirance, on ne refoule pas. »

Francis a désormais deux autres amants depuis quelques années, qu’il voit en alternance, à raison d’une fois par semaine.

« Mon chum a eu peur que ça fragilise [la relation], un accident est si vite arrivé. » Mais non. Comment font-ils ? « C’est déconcertant combien c’est facile, assure-t-il. Cela prend une seule chose : un partenaire qui te rassure, un partenaire amoureux, empathique, transparent. »

Sinon, effectivement, sait-il, cela peut être une « épreuve ».

D’ailleurs, Francis a-t-il déjà été jaloux, lui ? « Oui. C’est quelque chose qu’on ne peut pas guérir. » Un soir en particulier, se souvient-il, « j’ai cru que je n’allais jamais le revoir ». Et puis son amoureux est revenu. « Oui, j’étais jaloux, mais pas de façon viscérale. Et il m’a rassuré. »

On doit savoir : couchent-ils encore ensemble, depuis toutes ces années de couple, mais aussi d’ouverture ? « Je l’aime profondément, répond-il habilement, mais c’est beaucoup moins fréquent qu’avant. [...] Et c’est normal, ce sont les phéromones. » Combien de fois moins ? « Une fois par mois. » Et est-ce bon ? « Oui », assure-t-il. Mais non, « ce n’est pas l’incendie ». Un feu qu’il trouve ailleurs, comprend-on.

« Mais lui, je l’adore, on a plein de strates de souvenirs, il se déploie, il est magnifique ! Tout est conciliable, croit-il. Il faut écouter son cœur... et son cul ! »

* Prénom fictif, pour préserver son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire