La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Martin, 51 ans.

Sa sexualité, c’était sa vie. Et puis Martin a eu un cancer. Pas n’importe lequel : un cancer de la prostate. Du jour au lendemain, tout a basculé, périclité. À un point tel qu’il se sent aujourd’hui investi d’une « mission » : prévenir les hommes de l’importance du dépistage. De la prévention. Bref, de l’information. Entretien.

Mais d’abord, une précision. L’histoire de Martin, 51 ans et artiste de son état, ne se résume évidemment pas à son cancer, diagnostiqué il y a trois ans. « Tout est intéressant, dit le souriant quinquagénaire, sans la moindre fausse modestie. Tout est hors norme ! » À commencer par son look, ou plutôt sa forme. Disons simplement qu’on lui aurait donné facilement 20 ans de moins. Ça vous donne une idée du personnage, franc, direct et coloré, qui a par ailleurs été intimidé dans sa jeunesse, parce qu’« efféminé », « dodu, avec des broches et des boutons ». « Oui, on est loin de cette époque », concède-t-il en riant, un mercredi après-midi ensoleillé, attablé devant une salade santé, dans un petit café de la couronne nord.

Très jeune, Martin sait qu’il aime les garçons. Son entourage dit aussi l’avoir « toujours su » quand il fait son coming out, autour de ses 17 ans.

Permettez qu’on passe rapidement sur son adolescence, difficile, avec peu, voire pas de confiance en lui, sa première expérience avec une fille (« quand tu as 17 ans, tu es allumé par tout ! »), puis ses premiers « taponnages » avec un type rencontré un soir dans un bar du Village. « Ça m’a vraiment prouvé que c’était ce que je voulais… »

Tranquillement, alors que son corps devient « le centre de [son] univers » début vingtaine, Martin prend conscience de ses charmes. « Mon désir a toujours été d’avoir un copain », précise-t-il. N’empêche qu’entre 20 et 40 ans, sa vie ressemble davantage à un « film porno ».

Dieu que j’ai eu du fun !

Martin, 51 ans

Il se construit un « rôle de séducteur » : « chaque geste, chaque parole sont réfléchis », un sourire et le tour est joué, il ramène quelqu’un chez lui. « Je sortais cinq soirs par semaine, et chaque fois, je revenais avec quelqu’un de différent. »

Certes, il rêve toujours d’un amoureux (« je veux me marier ! »), mais il suffit d’une « dent croche » pour « éliminer quelqu’un ». Et parallèlement, Martin s’amuse. Pas à moitié. Il découvre même son côté « nudiste exhibitionniste » lors d’une sortie entre amis aux chutes de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson (à l’accès aujourd’hui interdit) : « Mon Dieu quel sentiment de liberté extraordinaire, dit-il. Tout le monde devrait faire du nudisme dans sa vie, il n’y aurait plus de guerre ! »

C’est de là que naît aussi son plaisir d’être nu devant des gens habillés, et son pouvoir de faire ainsi « lever le party » (sans jeu de mots). « Un pouvoir dont j’ai abusé », dit-il en souriant, d’un air entendu. Il danse aussi à cette époque (sa trentaine) nu dans des soirées privées : « J’ai du fun, je suis assumé, musclé, j’ai des bons amis. […] Ce sont de beaux partys, de très beaux partys… »

On comprend à demi-mot qu’il saisit ici tout le pouvoir de ses érections.

Les érections, chez l’homme, c’est tout. […] Tout passe par là. Et avec le culte du phallus, dans le monde gai, c’est pire !

Martin, 51 ans

N’empêche que pour toutes sortes de raisons, au tournant de la quarantaine, Martin décide de s’assagir et tente l’expérience du couple. L’affaire dure trois ans, et c’est après une douloureuse rupture que Martin perd en prime sa mère. « J’avais une relation fusionnelle », indique-t-il, et sa maladie est un véritable choc. Pire : sa mort, un an plus tard est un « cauchemar insupportable ». « Ç’a été mon premier deuil. » Ça n’est malheureusement pas le dernier.

C’est en effet peu de temps après que tombe son diagnostic, tout à fait par hasard, en faisant un bilan sanguin d’usage avec un nouveau médecin. « J’ai demandé de faire un test PSA [prostate-specific antigen, ou APS en français], normalement on fait ça à 50 ans, mais j’ai un ami hypocondriaque qui me l’a conseillé. » Et aujourd’hui, Martin le conseille à son tour à tous les hommes de son âge. Parce que depuis, il a vu sa vie s’écrouler.

Premier test, « tu es jeune, en forme, croit-il, c’est probablement rien ». Il a 48 ans et « pète » effectivement « le feu ». Un deuxième test et une biopsie plus tard (« épisode traumatisant »), c’est officiel. « J’ai une mauvaise nouvelle » confirme l’urologue, en lui demandant « right there » de choisir son traitement. « Mais moi, je suis en profond état de choc ! »

On le serait à moins : la veille, il a eu « le meilleur sexe de [sa] vie » avec son coloc du moment, et là, il entend qu’on va essayer de « préserver ses deux nerfs érectiles » ? « Il n’y a pas de garantie, en gros, il y a une chance sur deux que je ne sois pas correct. Et une chance sur deux que le Viagra fonctionne sur moi… » Précisons que son cas est si avancé (stade 3) que les autres traitements (radio, hormonothérapie) ne sont pas des options. Ah oui, et il n’aura plus jamais d’éjaculation et risque de souffrir d’incontinence, au moins un temps.

Je suis conscient que pour les gais, les éjaculations représentent le Saint-Graal […]. Plus rien n’a de sens. […] J’ai tout fait pour être en forme. […] C’est impensable.

Martin, 51 ans

On vous épargne les rendez-vous, l’opération et sa dépression qui a suivi, tout cela en pleine pandémie. « Ç’a été terrible, confirme Martin, les yeux tout à coup pleins d’eau. Quel cauchemar ! Je n’ai plus de force, je suis terrifié et vide. Je m’effondre. »

C’était il y a trois ans. Une thérapie plus tard, et combien de recherches, d’attente, d’exercices de Kegel, d’attente encore, et de traitements en tous genres (et combien de milliers de dollars !), il garde espoir. Il doit avoir sous peu accès à des injections. Il n’est plus incontinent et s’il n’a pas recouvré 100 % de ses érections, sa situation s’améliore. « Et je vois bien que c’est plus moi que ça dérange que les autres… », laisse-t-il tomber. Il n’a d’ailleurs rien perdu de ses sensations.

S’il a voulu ici témoigner, c’est pour sonner l’alarme : « allez voir vos médecins, passez vos PSA », martèle-t-il. À quand un soutien psychologique pour les hommes aux prises avec un tel cancer, des groupes d’hommes pour discuter de leur expérience, une information accessible en matière de traitements possibles ? « J’aurais tellement aimé ça que quelqu’un me partage ça… »

Le cancer de la prostate en chiffres

Le cancer de la prostate est le cancer le plus répandu chez les hommes au Canada. On estime qu’un Canadien sur huit sera atteint d’un tel cancer au cours de sa vie et qu’un sur 29 en mourra. Les facteurs de risque sont : l’âge, les antécédents familiaux, l’origine ethnique, l’obésité et certaines mutations génétiques. Si votre risque est élevé, parlez-en à votre médecin dès 45 ans. Sinon, à partir de 50 ans.

Source : Société canadienne du cancer