Je connaissais les feuillus et les conifères, mais je ne connaissais pas les arbres à brassières.

Faut dire que je ne skie pas. En fait, j’ai essayé de le faire deux fois : ma première descente s’est effectuée à une vitesse fulgurante (j’étais en petit bonhomme) et s’est arrêtée lorsque mon corps a fracassé les supports à skis, au bas de la piste. La seconde s’est déroulée en motoneige parce que je venais de me jeter en bas du remonte-pente, complètement terrifiée (longue histoire). Bref, j’ai été surprise quand un collègue m’a appris qu’on trouve des arbres décorés de brassières, de culottes ou de colliers dans plusieurs stations du Québec.

Pourquoi ? que j’ai demandé.

Bonne question, qu’il m’a répondu.

Ne reculant devant rien pour informer la population en cette pleine saison de ski, j’ai tenté de trouver des réponses.

« C’est un mystère », m’a d’abord affirmé Evelyne Déry (parlez-moi d’une enquête qui part sur les chapeaux de roues). La conseillère aux communications de Bromont, montagne d’expériences a sondé ses collègues pour découvrir l’origine des quelques arbres à brassières qu’on trouve sous la remontée du versant du Lac. Verdict : nul ne sait.

À l’Association des stations de ski du Québec, on m’a aussi dit n’avoir « aucune information vérifiée sur le phénomène ». On m’a par contre recommandé des articles publiés en anglais sur le même sujet. C’est en les lisant que j’ai compris que les versions divergent.

Une légende veut que la tradition soit née dans les années 1960 pour que les moniteurs de ski puissent témoigner de leurs conquêtes sexuelles de la veille.

Des culottes et des soutiens-gorge, tels des trophées. Selon d’autres sources, la pratique aurait émergé deux décennies plus tard, simplement pour marquer un esprit de rébellion. À bas les conventions, v’là mes sous-vêtements. Certains disent que c’était plutôt une façon pour les femmes de montrer qu’elles étaient là, elles aussi. Dans une industrie dominée par les hommes, elles avaient trouvé une manière de se faire voir.

Le magazine Powder avance une histoire plus concrète : le premier arbre à brassières aurait vu le jour à Aspen, au Colorado, à la fin des années 1970. Les gestionnaires de la station venaient d’engager une première patrouilleuse et, voulant accueillir plus de femmes au sein de l’équipe, avaient limité les candidatures masculines. Des employés frustrés par cette décision auraient laissé tomber un soutien-gorge d’allaitement dans un arbre, du haut d’un remonte-pente. Ignorant le sens politique du geste, des gens les auraient imités par humour…

Qui dit vrai ?

« Je ne connais pas la réponse fiable », m’a humblement répondu Isabelle Falardeau. La professeure au département d’études en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a jadis été directrice du parc à neige d’Aspen. Elle a sondé ses anciens collègues et fouillé les archives, sans succès.

Qu’on découvre la véritable origine de la tradition ou non, il demeure important de s’y pencher, croit-elle.

Ça permet de comprendre la culture du ski et les différents liens avec ses contre-cultures, notamment la libération sexuelle.

Isabelle Falardeau, professeure au département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR

Isabelle Falardeau m’a expliqué qu’il existe des pôles bien distincts, dans l’univers du ski. Il y a la compétition, sérieuse et réglementée, qui reflète l’élitisme du sport. Puis, il y a une scène de fête et de liberté, peuplée de « ski bums ».

« Au Québec, il y a eu des liens entre le contexte social en ébullition des années 1960-1970 et le ski. Dans les centres de ski, on pouvait exprimer notre liberté, nos pratiques d’amour libre, notre rejet de l’autorité… »

Le film Après ski, de Roger Cardinal, s’inspire de cette idée, souligne la chercheuse. La comédie érotique, qui porte sur un jeune moniteur qui découvre le volet charnel de ses fonctions, a fait scandale en 1971. Jouissant d’un budget important et de la présence de plusieurs vedettes (parmi lesquelles Daniel Pilon, René Angélil, Francine Grimaldi et Raymond Lévesque), l’œuvre a attiré l’attention. Elle a aussi attiré les foudres, puisqu’elle a été condamnée pour obscénité en vertu du Code criminel.

Si les temps ont bien changé, « une aura de libération sexuelle demeure associée au ski », estime Isabelle Falardeau. Retirer nos sous-vêtements en plein remonte-pente, c’est y souscrire avec un sourire en coin. C’est également s’inscrire dans une longue tradition de nudité… Comme l’énumère la professeure : des gens skient nus pour manifester contre les changements climatiques ; pour tenter de survoler un plan d’eau, au printemps ; pour nous sensibiliser au cancer du sein ; ou pour avoir du plaisir et publier des photos qui font jaser sur les réseaux sociaux (on salue l’humoriste américaine Chelsea Handler).

Pour Isabelle Falardeau, l’arbre à sous-vêtements s’inscrit dans ces « manifestations festives d’hédonisme ».

Parlant de fête, elle m’a aussi appris que plusieurs activités se déploient dans les centres de ski américains pour Mardi gras, période pendant laquelle les sportifs lancent notamment leurs pendentifs. Voilà qui expliquerait peut-être la présence d’un arbre serti de colliers de perles, à Orford…

Visiblement, j’avais sous-estimé le sens qu’une poignée de culottes, de brassières et de bijoux pouvaient porter.

« À l’UQTR, notre département cherche à comprendre la société à travers les pratiques de loisirs, conclut Isabelle Falardeau. Je crois que l’arbre à sous-vêtements nous permet de saisir quelques bribes de notre histoire. »

Lisez l’article « The True History of the Very First Panty Tree » (en anglais)

Rectificatif
Une première version de ce texte mentionnait que le film Après ski, de Roger Cardinal, avait fait scandale en 1966. C'était plutôt en 1971. Nos excuses.