Une soixantaine de nouvelles œuvres viennent d’apparaître dans les ruelles d’un seul et même quartier montréalais. Leur canevas ? Les murs du coin, offerts gracieusement par des propriétaires qui ignoraient tout de ce qu’on y peindrait…

J’adore me balader dans les ruelles. Elles donnent un accès différent aux maisons, révélant leur côté caché, plus vrai et habité. Dans le Vieux-Rosemont, elles dévoilent aussi… un musée. Grâce à Canettes de ruelle, chaque année, le quartier se pare d’œuvres créées par les graffiteurs, muralistes, peintres, illustrateurs et tatoueurs d’ici.

J’ai assisté à la septième édition de l’évènement, début septembre. En trois jours, plus de 80 artistes ont peint près de 60 murs entre la 5e et la 9Avenue, puis entre le boulevard Saint-Joseph et la rue Masson. Cette exposition à ciel ouvert tiendra un an, puisqu’à la prochaine fête du Travail, tout sera à réinventer.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

En trois jours, plus de 80 artistes ont peint près de 60 murs entre la 5e et la 9Avenue, puis entre le boulevard Saint-Joseph et la rue Masson.

La démarche citoyenne a été initiée en 2017 par Clarence Quirion-Nolin, un artiste muraliste en quête de surfaces à magnifier. Quand il a sondé ses voisins, plusieurs ont proposé de lui céder un mur de leur maison. D’année en année, le projet a pris de l’ampleur. Aujourd’hui, l’évènement annuel est administré par Clarence, Dominique Azocar et Olivier Bousquet.

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Olivier Bousquet

Il y a des artistes établis et d’autres qui en sont à une première murale. On essaie de montrer autant de styles et de techniques que possible. C’est une occasion pour les artistes d’expérimenter, puisqu’ils ont carte blanche !

Olivier Bousquet

Pendant que les créateurs s’activent, l’esprit est à l’entraide. Certains résidants nettoient les pinceaux ou prêtent leur cour pour l’entreposage du matériel. Des commerçants du quartier offrent nourriture et rafraîchissements aux troupes. Partout, des bénévoles papillonnent. Même une partie du budget nécessaire à la réalisation des murales repose sur la communauté, par l’entremise d’une campagne de sociofinancement.

Tous se donnent pour le plaisir de l’art, c’est évident.

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Julie Maurice et son fils Kiliann Dionne

Julie Maurice, qui réside dans le quartier depuis un an et demi, me le confirme : « On a remarqué que des gens d’ailleurs viennent marcher dans nos ruelles, ils s’arrêtent et prennent des photos. C’est un évènement qui a des répercussions toute l’année. »

Tandis qu’elle me présente son fils Kiliann, les artistes Julian Palma et Kaori travaillent dans les échafauds près de sa maison. Un visage est en train de se profiler sur l’immense surface rose bonbon.

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La maison de Julie Maurice

Kiliann m’avoue que sa murale préférée du coin a été faite par Julian Palma. C’est un bel oiseau bleu qu’on peut apercevoir de leur cour. Il est ravi de savoir que sa murale à lui portera sa marque aussi.

Mais ce n’est pas un peu stressant d’ignorer ce que le duo va peindre chez vous ?

« Au contraire, c’est excitant, me répond Julie Maurice. On se lance dans l’aventure et ça en fait partie. Advient ce qui adviendra ! »

Un peu plus loin, je découvre la murale orchestrée par l’artiste Antoine Claes et son fils, Émile, 8 ans. Leur duo s’appelle « Les fils and chips ». Ils offrent cette année un grand canevas pour que les enfants du quartier puissent créer, eux aussi. Une trentaine d’entre eux se sont livrés à l’expérience, jusqu’à maintenant. Et s’ils ont le choix entre différents outils, la plupart ont opté pour la bombe (la canette de peinture). Je les comprends.

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Émile, 8 ans, travaille avec son père à la murale « Les fils and chips ».

« L’intention, c’est d’ouvrir les esprits et de donner le goût de faire de la peinture, m’explique Antoine Claes. Je suis surpris de voir à quel point ça fonctionne… Parce qu’à côté de jeux de vidéo, c’est juste de la couleur ! »

De la sacrée belle couleur, en tout cas.

Dans une autre ruelle du quartier, c’est Jamie Janx Johnston qui attend les enfants. L’artiste a longtemps été éducateur en musée. Il a préparé des pochoirs aux formes de feuilles que les jeunes pourront peindre sur un mur présentant une mante religieuse géante.

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Jamie Janx Johnston

Je veux qu’ils apprennent que l’art est accessible. C’est ce qu’on fait dans les rues, tu sais ! Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre d’aller dans une galerie…

Jamie Janx Johnston

De l’art pour tout le monde. C’est beau. Surtout émanant d’un milieu parfois empreint de solitude.

« On pratique un art très solo, me confie Eksept, un habitué de Canettes de ruelle. On est souvent seul dans notre nacelle. C’est important d’avoir des évènements comme ça pour partager un café ou un peu de peinture avec d’autres artistes. »

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Diane Roe et MSHL

Diane Roe compare la chose à une fête de famille lors de laquelle on peut enfin revoir nos proches éloignés (sans se chicaner). Son partenaire de murale et de vie, MSHL, ajoute qu’autant d’entraide et de bénévolat, « ça met du baume au cœur ».

Il vient du graffiti, elle des beaux-arts. Ensemble, ils peignent une œuvre abstraite magnifique. J’en ai rarement vu de la sorte.

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Diane Roe

Canettes de ruelle, c’est un temps pour explorer. Comme on a carte blanche, c’est très différent d’un contrat. Je dessine un croquis puis, ensuite… On ne fait pas du tout le croquis.

Diane Roe

Elle rit et je m’incline devant ce laisser-aller.

Si tout ce qui se crée ici est éphémère, je suis rassurée d’apprendre que les œuvres demeurent généralement intouchées. C’est rare qu’elles soient vandalisées, résultat d’un dialogue entre l’équipe organisatrice et les artistes de rue.

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Les activités sont pensées en fonction du bien-être des créateurs, de leur communauté et du voisinage.

Olivier Bousquet me pointe un graffiti d’Alex Scaner, artiste important mort en 2017. Jamais on ne ferait une murale qui le recouvrirait. Les activités sont pensées en fonction du bien-être des créateurs, de leur communauté et du voisinage.

Je me dis que si certaines personnes dénigrent les arts qui s’inscrivent dans la rue, c’est qu’elles n’ont jamais passé un avant-midi à écouter les artistes de Canettes de ruelle. J’espère qu’elles viendront faire un tour l’an prochain ou qu’entre-temps, elles feront au moins une marche dans le quartier Vieux-Rosemont.

Il y a de quoi ébahir tous les publics.

Consultez le site de Canettes de ruelle