« Mon but, c’était d’avoir une stabilité pour mon enfant. J’avais déménagé 10 fois en cinq ans et là, on me promettait que je pouvais rester ici si je faisais ce que j’avais à faire… » Et qu’avais-tu à faire, exactement ? « Travailler sur moi. »

Dalia Vallée avait 22 ans quand elle a emménagé dans l’un des logements transitoires de Mères avec pouvoir. C’était en 2021. Elle était alors mère seule d’un enfant de 2 ans, isolée, et à la recherche d’un lieu pour se poser après avoir connu de près la toxicomanie.

Elle a passé un an sur une liste d’attente avant de quitter son trois et demie « trop cher pour [elle] et aux infestations de toutes sortes » pour s’installer dans l’un des 30 appartements offerts par l’organisme.

Grâce à Mères avec pouvoir, des femmes seules disposent de cinq ans pour mener à bien un projet de vie, tel qu’obtenir un emploi, retourner aux études ou décrocher un diplôme. Pour reprendre leur élan, elles ont droit à un toit à moindres frais et à une place en garderie pour leur petit, de même qu’à des formations et activités pour favoriser les liens qui les unissent à leurs enfants et à la société.

« Juste être capable de créer des liens avec les autres femmes, c’était un gros pas pour moi, m’a confié Dalia. Je viens du milieu de la prostitution, j’étais très méfiante. Les groupes pour jeunes mères m’ont permis de travailler avec les autres. Cette entraide m’a vraiment mise en confiance. »

Si on peut apprendre à être mère, on peut aussi apprendre à compter sur autrui. Même quand la vie nous a souvent déçue. Ici, les mères ont de 17 à 40 ans, environ. Toutes ont un enfant de moins de 3 ans à leur arrivée. Un enfant et des cicatrices.

« Plusieurs de ces femmes ont des parcours en centre jeunesse ou ont grandi dans un milieu défavorisé, m’a expliqué Valérie Larouche, directrice générale de Mères avec pouvoir. D’autres n’étaient pas destinées à être dans une situation de vulnérabilité, mais une cassure est survenue dans leur parcours… Ce qu’on leur dit, c’est : venez vous déposer, pensez à ce que vous voulez accomplir et on va vous aider à faire du débroussaillage pour faciliter la patente ! »

Dalia Vallée, elle, souhaitait retourner aux études. Par la bande, elle s’est découvert une passion pour la vie en communauté. Elle est aujourd’hui vice-présidente du conseil d’administration de Mères avec pouvoir et donne régulièrement un coup de main aux locataires qui galèrent avec leurs devoirs de français. C’est que l’étudiante en éducation spécialisée est aussi tutrice de français au collégial. « Les autres savent qu’elles peuvent compter sur moi… Elles me voient comme une personne stable, alors que je n’ai jamais été stable avant ! »

La jeune femme sourit avec fierté avant de lancer des fleurs à ses consœurs : « Ce sont des mamans motivées. C’est beau de nous voir nous entraider pour aller plus loin. On va toutes dans la même direction ! »

Et si le passé a été difficile, le présent est plutôt joyeux.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Grâce à Mères avec pouvoir, des femmes seules disposent de cinq ans pour mener à bien un projet de vie, tel qu’obtenir un emploi, retourner aux études ou décrocher un diplôme.

Les mères font des BBQ et les enfants s’amusent dans la cour intérieure. On a un module de jeux et des petites voitures… Chaque enfant apprend à faire ses parallèles avant de partir !

Valérie Larouche, directrice générale de Mères avec pouvoir

Les intervenantes et éducatrices contribuent au bien-être familial ET au civisme routier, blague-t-elle. (En plus de veiller sur une quarantaine de mères qui ne vivent pas sur place, mais qui bénéficient elles aussi de soutien psychosocial dans la réussite de leur projet de vie.)

Rima Elkouri a écrit un superbe papier sur Mères avec pouvoir, en 2015⁠1. Elle soulignait alors que la mission essentielle de l’organisme n’était pas soutenue à sa juste valeur par les institutions publiques. Huit ans plus tard, l’enjeu est toujours d’actualité, mais l’urgence est ailleurs, m’apprend Valérie Larouche…

Il est dans l’accès au logement.

Dalia Vallée craint de ne pouvoir trouver un toit, à la fin de son séjour : « J’appréhende le jour où je vais devoir quitter Mères avec pouvoir. Je me projette en coopérative d’habitation pour continuer à m’impliquer dans mon milieu de vie et avoir un loyer abordable, mais je sais que ces places-là sont convoitées ! »

La crise du logement bouscule aussi la directrice générale de l’organisme : « On ne veut pas que les mères travaillent pendant des années pour se stabiliser, mener un projet d’études et ramasser des sous, puis qu’elles se retrouvent sans endroit où vivre ! Qu’est-ce qu’on fait si les femmes ne trouvent pas d’appartement ? On veut s’adapter et leur permettre d’allonger leur parcours, mais en même temps, il y a beaucoup de familles qui attendent une place… »

Cette attente peut s’étirer jusqu’à deux ans, en fait. Et on devine que ces mères-là aussi souffrent de la hausse du coût de la vie. La solution ? Créer plus de logements.

Mères avec pouvoir espèrent voir naître 50 unités supplémentaires, d’ici cinq ans. L’équipe a un site en tête : l’Esplanade Cartier, au pied du pont Jacques-Cartier. Si le plan est concret, il en est toujours à l’étape du financement et de l’obtention des accords gouvernementaux.

Une campagne de financement est d’ailleurs en cours – avec 1,6 million de dollars amassés sur un objectif de 2 millions. Parallèlement, l’organisme mène sa campagne annuelle pour une fête des Mères solidaire. Tous les profits générés par celle-ci sont voués aux services actuellement offerts aux familles.

« J’ai fait un bon bout de chemin en tant que mère, conclut Dalia Vallée. J’avais un post-partum quand je suis arrivée, mais ça va mieux, maintenant. Et mon fils… Mon fils est parfait. »

Valérie ajoute que si tous les parents disent ça, dans ce cas-ci, c’est vrai.

Je les crois. Après tout, cet enfant a droit à un village pour s’élever. À un village et à une maman motivée.

1. Lisez la chronique de Rima Elkouri « Le pouvoir des mères » Consultez le site de Mères avec pouvoir