Cette chronique n’est pas ancrée dans l’actualité, mais il y a une raison pour laquelle c’est aujourd’hui que vous la lisez.

Elle porte sur Christophe Comte, un homme qui n’a plus beaucoup de temps devant lui. Moins de cinq ans. Un constat qu’il pose avec calme et lucidité.

En 2017, Christophe avait 55 ans, quatre enfants, une conjointe et un poste de chercheur en innovation technologique. La retraite se profilait, au loin. Les choses se présentaient bien.

Puis, le 10 avril, il a appris qu’il était atteint d’atrophie multisystématisée. Une maladie rare du cerveau et de la moelle épinière. Un mal neurodégénératif et incurable.

D’un coup, les deuils se sont enchaînés.

D’abord le violon, dont il jouait depuis ses 14 ans. Ensuite, les demi-marathons, la pêche, la marche, puis le travail.

Christophe Comte est aujourd’hui retraité. Il se déplace en fauteuil roulant, bouger son corps est de plus en plus difficile et parler est pénible.

« L’intellect n’est pas atteint. Ce qui est bien d’un côté, mais de l’autre, on a conscience de sa détérioration. »

Depuis la maladie, Christophe Comte a conscience de beaucoup de choses, en fait. Notamment d’une forme de discrimination qu’il n’avait jamais soupçonnée...

« Auparavant, je m’en foutais, des handicapés, je ne m’en rendais même pas compte ! »

L’homme avoue qu’avant de se déplacer en fauteuil roulant, il n’avait jamais deviné l’ampleur des préjugés et de la discrimination que subissent les personnes en situation de handicap.

Il cite en exemple ces chauffeurs de transport adapté qui lui demandaient spontanément à quel bingo il voulait se rendre, alors qu’il allait plutôt au bureau.

Ou encore cette fois où, tout heureux de l’ouverture d’une nouvelle crèmerie, il a dû attendre dehors, « comme un chien », pendant que sa blonde commandait à l’intérieur...

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Christophe Comte

On peut comprendre qu’une bâtisse datant de 1950 ne soit pas accessible, mais pas une bâtisse de 2019.

Christophe Comte

D’ailleurs, Christophe Comte a aussi vite réalisé qu’elle était terminée, l’époque où il pouvait magasiner dans les commerces de son quartier. Pas de rampe pour lui permettre d’y entrer.

Bref, il s’adaptait « avec exaspération » à un environnement pas fait pour lui quand il a aperçu une pancarte rue Masson, à Montréal, l’an dernier.

Elle faisait la promotion d’une nouvelle initiative : Rosemont pour tout le monde (RPTLM).

RPTLM est un organisme à but non lucratif dont les membres sont des personnes en situation de handicap et à mobilité réduite qui habitent le quartier. Leur mission est de favoriser l’accessibilité à l’environnement bâti. Parce que, selon eux, « c’est l’environnement qui crée le handicap vécu ».

Aussitôt rentré chez lui, Christophe Comte a trouvé l’organisation sur Facebook : « Comment puis-je m’impliquer ? »

Pause.

Si je savais que mon temps était compté, je ne crois pas que j’aurais la force d’essayer de changer le monde que je m’apprêterais à quitter. J’effectuerais sans doute un repli sur mes proches et j’emmagasinerais les doux souvenirs bien égoïstement. Ou alors, je flauberais tout mon argent en ouvrant un chenil juste pour finir ma vie entourée de chiens. Bref, j’aurais des projets, mais ils ne seraient d’aucune utilité pour la société.

D’où vient l’élan solidaire de Christophe Comte ?

« La force de militer prend sa source dans l’urgence, répond-il. Je sais que j’ai peu de temps, donc je table sur des résultats rapides et concrets. Elle tient également à mon passé de chercheur. Travailler, c’est à peu près la seule chose que je peux faire et j’ai toujours soif d’apprendre. Ça donne un sens à ma vie et j’ai l’impression d’être encore utile. »

Parce que la réponse à « comment puis-je m’impliquer ? » fut : en analysant des données. Christophe planche donc actuellement sur un rapport de synthèse au sujet de l’accessibilité de la rue Masson.

Un sondage a récemment été mené auprès des commerçants et, sans voler de punch au rapport en cours de rédaction, les membres de RPTLM ont réalisé que plusieurs entrepreneurs ignorent les outils qui sont à leur portée pour rendre leur établissement accessible.

À l’opposé du spectre, les magasins accessibles ne sont pas toujours identifiés comme tels, ce qui fait que la population ne peut pas nécessairement en profiter.

Il y a un manque de communication.

En transmettant ces données aux commerçants, citoyens et organisations concernés, les militants de RPTLM espèrent contribuer à une prise de conscience. Leur objectif est clair, d’ailleurs : ils souhaitent que d’ici 2026, 40 % des commerces et établissements de la rue Masson (entre Iberville et Pie-IX) soient accessibles.

Parallèlement, ils planchent sur un site web qui permettra aux personnes handicapées ou en situation de handicap de déterminer si un lieu du quartier Rosemont–La Petite-Patrie convient ou non à leurs besoins spécifiques.

Certains membres de RPTLM participent également à un projet de la chaire de recherche UNESCO en paysage urbain. Bref, tous veulent que les choses bougent.

C’est juste que Christophe, lui, a moins de temps devant lui pour les voir bouger.

J’admire beaucoup sa proactivité.

Je n’ose pas imaginer ce qu’il a dû vivre comme adaptation... On en sait si peu sur la réalité des personnes en situation de handicap, au fond.

Qu’est-ce qui aurait pu le sensibiliser, à l’époque où lui-même « s’en foutait » ? Celle où, comme plusieurs d’entre nous, il croyait n’avoir jamais à s’en soucier ?

Il me répond que c’est bien beau, la Semaine des personnes handicapées, mais qu’il faudrait faire beaucoup plus.

« Et si on parlait du capacitisme [c’est-à-dire de la discrimination dont sont victimes les handicapés] comme on parle de la discrimination envers les personnes racisées ou les personnes qui ont une orientation sexuelle différente de la majorité ? »

C’est pour ça que vous lisez cette chronique aujourd’hui.

La réalité des personnes en situation de handicap ne fait pas les manchettes. Ce n’est pas non plus la semaine de l’année où on la souligne.

Mais selon Christophe, on gagnerait tout de même à prendre un moment pour y penser…

Consultez la page Facebook Rosemont pour tout le monde