J’ai eu une vision d’avenir de mon vieux couple quand il sera encore plus vieux, dans les toilettes de la clinique médicale. Aider mon chum à pisser dans un petit pot pour un test d’urine, parce qu’il était trop faible pour le faire, m’a rappelé des scènes troublantes du film Amour de Michael Haneke. Ferait-il la même chose pour moi ? De quoi aurons-nous l’air à 70 ou 80 ans ? Sera-t-il en mesure de m’aider quand le moment sera venu ?

J’espère que vous avez passé de superbes vacances, l’été a été magnifique jusqu’à présent au Québec. Pas trop de pluie, pas trop de canicule, pas de distanciation sociale, et cette fin d’août a des allures d’automne chaleureux, pendant que ça crame en Europe. D’ailleurs, j’ai eu une petite dissonance cognitive à voir sur Facebook les photos de voyage de mes amis en France, pendant que le Téléjournal m’envoyait des images de sécheresses et d'incendies de forêt. Et maintenant d’inondations.

Pour ma part, j’ai connu les vacances les plus ratées de ma vie, et ce n’est pas parce qu’on a annulé mon vol dans le bordel des aéroports. J’ai envie de vous raconter ça, comme quand nous devions décrire nos vacances dans notre première rédaction à la rentrée scolaire. En échange, je vous propose de m’écrire pour me raconter vos vacances les plus ratées, juste pour voir si vous êtes capables de battre ça.

J’avais choisi d’être le plus relax possible. Un mois à la campagne, à faire de la randonnée, cueillir des champignons, lire et nager trois fois par jour. Mon remède depuis des années, et cette fois, mon chum restait à Montréal. J’ai quand même eu droit à deux belles semaines avant d’être terrassée par une intoxication alimentaire qui, je vous épargne les détails, m’a fait perdre 10 lb en trois jours.

J’ai repris du poil de la bête après une semaine, les vacances n’étaient pas complètement perdues, mais j’ai dû revenir en urgence à Montréal parce que mon beau-père Maurice, qu’on appelle Mo, était au plus mal. Je lui avais parlé au téléphone quelques jours avant, il avait le projet de faire tailler les arbres de sa cour, mais une pneumonie l’a arrêté en plein vol. Il est mort le lendemain de mon retour.

Mon chum, devenu brutalement orphelin pendant cette pandémie — sa mère est décédée il y a deux ans — n’a pas eu le temps de pleurer.

Deux jours après, il a dû être hospitalisé pour différents problèmes qui ont cristallisé en même temps, peut-être par le choc de la perte. Pendant ce temps-là, ma mère s’est fracturé une vertèbre à l’hôpital, en tombant d’une table où elle devait recevoir des injections pour soulager son mal de dos. Et mon pauvre frère a ainsi dû déménager sans l’aide de sa bande d’éclopés.

Des vacances extraordinaires, je vous jure. Je vais m’en souvenir longtemps, en tout cas, de même que des raccourcis du labyrinthe de l’hôpital Notre-Dame.

Quand je pense que j’avais dit à mon beau-père Mo, juste avant de partir à la campagne, « arrange-toi pas pour mourir pendant mes vacances, là ! ». Il a toujours refusé de voir le moindre médecin et, à 78 ans, malgré son emphysème, n’a pas voulu recevoir un seul vaccin contre la COVID-19. Cette tête de cochon, avec qui j’aimais beaucoup m’obstiner, était cependant tellement ermite qu’il aura évité le virus pendant toute la pandémie.

Cré Mo. Cré mon chum, qui est comme son père. Deux pelleteux de nuages qui se soignent virilement comme au XIXsiècle. Qu’est-ce qu’il y a dans l’éducation de ces hommes si fiers d’éviter la médecine moderne pour qu’ils puissent se rendre avec tant d’orgueil vers une mort précoce ou à l’urgence à cause de leur négligence ? Bref, ce furent dix jours d’hospitalisation pour mon chum, pendant que je m’occupais de la crémation et des cendres de Mo.

Des vacances formidables, je vous dis. Ce qu’il y a de fascinant quand la merde arrive en tas comme ça, c’est que l’absurdité atteint au sublime. Une étrange énergie s’empare de nous, dont je ne sais pas si on doit l’appeler l’énergie du désespoir. Mais il y a une sorte de sidération qui nous fait éteindre calmement un feu à la fois, parce que nous comprenons qu’il n’y a pas d’autre manière d’y arriver.

Je fais ma philosophe, comme ça, mais j’ai craint le pire, que le diagnostic pour mon chum soit terrible ou fatal. Cela tassait la peine de la mort de Mo, dans le tourbillon des émotions, car les morts ne souffrent plus et il faut surtout s’occuper des vivants. J’ai pensé à l’écrivain Simon Roy, qui combat un cancer du cerveau, et à sa conjointe, Marianne Marquis-Gravel. Elle va publier cet automne chez Leméac un essai sur ce qu’elle vit avec son amoureux qui s’en va tranquillement, et dont le titre est : Dans la lumière de notre ignorance. J’ai bien hâte de le lire. Car il est vrai que nous sommes des ignares heureux quand les choses vont bien. Parfois même quand elles ne vont pas si bien que ça, mais pas si mal si on les compare au pire qui nous arrive.

À TV5 l’autre soir, on montrait les pluies diluviennes en France, après des semaines de chaleur extrême. « Quel bonheur, cette flotte, merci la vie ! », a dit un monsieur breton, tout joyeux, qui m’a remonté le moral. J’ai l’impression que ce n’est que lorsqu’on est dans la dèche jusqu’au cou qu’on aime ce qui hier nous faisait râler.