Je mange un morceau de sucre à la crème, plantée au milieu du marché Jean-Talon. Je me dis que c’est probablement ce que j’écrirais sur la liste de Patsy, à ce moment précis : « J’aime le sucre à la crème, surtout celui à l’érable. »

L’artiste Patsy Van Roost (que plusieurs connaissent sous le nom de « Fée du Mile End » ou « Fée urbaine ») a réalisé 120 projets, dans la dernière décennie. Son plus récent est d’une rare beauté. Elle a demandé à ses concitoyens de lui révéler ce qu’ils aiment. Elle a ensuite inscrit les 600 réponses recueillies sur 11 panneaux qui sont aujourd’hui affichés dans le quartier Villeray, à Montréal.

Sur la liste que j’ai aperçue à l’entrée du marché Jean-Talon, par exemple : « J’aime le bruit de la pluie sur les carreaux », « J’aime les chiens des autres », « J’aime l’odeur du pain perdu », « J’aime être dans tes bras depuis 30 ans ».

Difficile de rester insensible.

J’aperçois Patsy, au loin. J’engloutis ma dernière bouchée avant qu’elle ne me retrouve et ne me lance chaleureusement : « Ça te va si on marche ? Je veux te montrer les autres listes et je pourrai en profiter pour te raconter comment tout ça a commencé… »

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Janvier 2021.

Patsy Van Roost habite depuis peu dans un nouvel appartement et souhaite connaître ses voisins. Mais il y a une pandémie. Elle écrit donc une lettre à tous ceux qui demeurent sur son tronçon de rue. Dans ce message, elle leur demande de lui révéler un truc qu’ils aiment. Et attention ! S’ils sont plusieurs sous le même toit, ils doivent arriver à un consensus…

Une cinquantaine de voisins lui réécrivent.

L’artiste entreprend alors de créer une banderole pour chacun d’eux. Celle-ci indique précisément leur réponse, en beaux gros caractères jaunes. Le 13 février au matin, elle dépose les cadeaux dans la boîte aux lettres de ses voisins et leur suggère d’exposer leur banderole pour la Saint-Valentin.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Patsy Van Roost devant une liste de choses que les gens disent aimer

Un an plus tard, la moitié des œuvres sont toujours accrochées aux balcons du coin.

(Salutations spéciales à la gang de colocs qui s’est entendue sur : « J’aime les piments d’Espelette » !)

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Janvier 2022.

Patsy Van Roost est découragée par le climat ambiant.

Les médias sociaux étaient rendus haineux. Ça me faisait tellement de peine, les gens étaient divisés… Je me suis dit que je pourrais appliquer ma petite idée à tout mon quartier !

Patsy Van Roost

La Fée a immédiatement reçu l’appui de la maison de la culture Claude-Léveillé. Elle s’y est installée pour offrir des ateliers de confection de banderoles. Or, comme les règles sanitaires ne lui permettaient que de voir une bulle familiale à la fois, Patsy n’a pu rencontrer que 32 familles.

« Les bulles devaient arriver avec leur phrase déjà prête. Elles avaient souvent passé la semaine à discuter de ce qu’elles aimaient et à chercher leur intérêt commun », raconte Patsy, visiblement fière.

Elle m’avoue avoir été particulièrement émue par une jeune fille de 7 ans qui a trouvé la phrase familiale suivante : « J’aime ton cœur qui bat. »

On la comprend.

Habituée aux projets collaboratifs de grande envergure, l’artiste avait l’occasion d’accompagner de si petits groupes pour la première fois.

« J’avais le temps d’aller à leur rencontre… Et ce qui est génial, c’est que quand tes mains travaillent, ton cœur s’ouvre. Il n’y a plus de retenue. »

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Février 2022.

Le problème, c’est que plusieurs autres personnes s’intéressaient au projet de Patsy et que l’artiste ne donne pas dans l’exclusion. Elle a donc créé une liste de trucs qu’elle-même apprécie – ça commençait par « J’aime les polpettes » – et elle l’a partagée sur Facebook en sondant son réseau : « Toi, tu aimes quoi ? »

« Les réponses n’arrêtaient pas de rentrer et je ne voulais pas rester seule avec cette magie ! », se souvient-elle.

Patsy a confié à son réseau virtuel qu’elle rêvait de faire un projet basé sur ces « J’aime ». Aussitôt, sans même savoir ce que l’artiste avait en tête, une femme lui a fait un don de 250 $. C’était suffisant pour que Patsy puisse transformer l’amour en plusieurs listes imprimées sur du Coroplast.

La Fée est là pour sa communauté. Et souvent, sa communauté le lui rend bien.

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Nous voici maintenant devant l’église Sainte-Cécile, sur De Castelneau. Patsy et moi lisons le contenu des cinq listes affichées près du trottoir.

« J’aime les steamés moutarde chou ; aimer en cachette ; les défauts qui ne font pas mal ; toucher le papier chaud qui sort de l’imprimante ; me réveiller sans alarme. »

Moi aussi, j’aime tout ça. C’est la force du projet, d’ailleurs. Nous rappeler ces petites choses qui ont de quoi nous réchauffer le cœur ou nous donner envie de nous lever (sans alarme).

« Les gens parlent beaucoup de leur chat, remarque Patsy. Plus que d’humains ! Il y a eu plusieurs doublons, aussi. Par exemple, beaucoup d’hommes ont écrit qu’ils aiment aimer. Ça m’a tellement surprise ! C’est ce que je veux, moi, un homme qui aime aimer… Ils sont où ? »

Elle éclate de rire et je vous jure que ce son pulvériserait n’importe quelle déprime passagère.

À défaut d’avoir une Patsy près de soi pour se remonter le moral, on peut toujours garder des traces de son projet.

En fait, la Fée va enlever ses Coroplast le 28 février. Or, les 11 listes resteront disponibles sur son compte Facebook. Parce que Patsy espère qu’elles nous seront utiles.

« Tu peux choisir celle qui t’inspire le plus et l’afficher dans ton bureau, suggère-t-elle. Ton ami est triste ? Tu imprimes une liste, tu la mets dans une enveloppe et tu la lui envoies. Ça réconforte, lire tout ça. »

La belle idée.

« Comment tu fais pour imaginer des initiatives si tendres, Patsy ?

— J’aime dire que j’offre des caresses urbaines. Je travaille hors les murs, là où la magie opère. Et mon matériau, c’est les autres. »

Voyez les listes de Patsy Van Roost