Je cherchais un témoignage romantique pour la Saint-Valentin. Finalement, on m’a offert un récit d’amour et de solidarité. C’est celui de Charles Bujold, un homme 68 ans…

« Pourquoi voulez-vous faire partager votre histoire ? »

L’homme a pris un instant pour réfléchir. Puis, d’un souffle, il m’a lancé : « Pour que les gens sachent qu’il y a de l’espoir quand on vieillit tout en étant gai. La vérité, c’est que vieillir ne m’emballait pas du tout ! Puis, d’un coup, ma vie a pris une tournure différente. »

Charles Bujold a grandi en Gaspésie. Là-bas, il n’osait pas vivre son homosexualité, comme « c’était moins bien vu, disons ». En 1972, il s’est établi à Montréal en se faisant la promesse de ne plus jamais se cacher.

Depuis, Charles s’affiche tel qu’il est.

Quand est venu le temps d’intégrer une résidence pour aînés, l’homme a donc cherché un lieu dans lequel il n’aurait pas à camoufler son orientation. En 2014, il est devenu l’un des tout premiers locataires d’Habitat Fullum, un complexe d’appartements où l’inclusion est primordiale.

La résidence, située dans un ancien couvent tout près du Village gai de Montréal, venait répondre à un besoin criant dans la communauté LGBTQ+ : offrir un milieu de vie exempt d’homophobie. Un établissement où cohabiteraient des personnes de toute orientation sexuelle et dont chaque résidant serait parfaitement à l’aise avec l’amour, qu’importe ses déclinaisons.

« J’ai posé ma candidature parce qu’on promettait une culture d’ouverture, mais je me demandais comment ça allait se refléter, concrètement… », se rappelle Charles Bujold.

Huit ans plus tard, il constate que cette culture s’incarne tout simplement dans la communauté que forment les résidants : « On mange, on jardine et on fête ensemble. Puis, je ne suis jamais gêné d’arriver ici avec mon conjoint, comme bien des gens sont gais et que les autres l’acceptent… Sinon, ils seraient malheureux ! »

Le conjoint, parlons-en.

Charles l’a rencontré en ligne. Ils ont correspondu pendant cinq ans avant de se voir pour la toute première fois…

« Ça fait maintenant trois ans et demi qu’on est en couple… C’étaient de longs préparatifs ! », résume-t-il en riant.

L’homme – qui est aujourd’hui citoyen canadien – était en processus d’immigration au pays. Il discutait avec Charles pour en savoir plus sur le Québec. Entre eux, aucune promesse ni même intention de se rencontrer. Qu’une amitié.

Charles était tout de même « très, très nerveux » quand il a finalement accueilli son ami à l’aéroport, après cinq ans d’échanges ponctuels…

« Je le revois encore sauter sur place en criant mon nom. Je l’ai tout de suite aimé. C’est un personnage charmant, intelligent, avenant… Une soie ! »

Alors que Charles Bujold déprimait à l’idée de fêter son 65anniversaire, un mois plus tard, l’amour a frappé. La légèreté l’a assailli, contre toute attente. Depuis, le bonheur se vit tout doucement.

Le couple n’a jamais habité ensemble et ne compte pas le faire. Il prend chaque jour tel qu’il arrive, en bénissant le hasard qui l’a uni.

« C’est une belle aventure qui peut finir demain, croit Charles. J’en ai eu, des relations du genre “il part au dépanneur et ne revient jamais”. Sans compter le vieillissement, qui entraîne la disparition des personnes qu’on aime. Un ami a perdu son partenaire, la semaine dernière… Je réalise qu’il faut profiter du moment présent parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. »

Mon interlocuteur s’interrompt un instant. Il soupire. Il pense beaucoup à son ami endeuillé, ces temps-ci. Je tente une diversion…

« Et comment s’est déroulée la première visite de votre amoureux à Habitat Fullum ? »

Charles s’illumine de nouveau.

« C’était pendant un souper du jour de l’An ! Les gens étaient contents pour moi, comme je suis content pour eux quand j’apprends qu’ils ont quelqu’un dans leur vie qui les rend heureux… »

Dans la foulée, l’homme reconnaît sa chance. Il admet que plusieurs aînés n’ont pas la liberté de vivre leur amour devant leurs pairs. Rares sont les résidences où on fait si ouvertement de l’inclusion une priorité…

« Je sympathise avec les aînés qui doivent rester discrets parce qu’on a grandi dans une époque où c’était plus difficile d’être gai. Il y en a qui ont été mariés à des femmes et qui ont eu une vie parallèle, par exemple… Avec tout le drame que ça implique ! La société était dure envers les homosexuels, il y a 50 ans. Je crois qu’il y a donc plus d’homophobes dans la population vieillissante. »

Cette homophobie, Charles Bujold n’en veut plus.

En fait, si ce n’était d’un lieu pro-LGBTQ+, Charles aurait fui les résidences pour aînés. Il serait resté en appartement aussi longtemps que possible, quitte à se priver des soins qui sont de plus en plus nécessaires, avec l’âge.

Je n’aurais pas pu avoir des voisins qui me jugent quand j’arrive avec mon conjoint. On se libère de bien des choses en vieillissant, mais il y a des endroits où on ne veut pas retourner…

Charles Bujold

« Je savais qu’ici, ça ne se passerait pas comme ça. Si une seule personne osait nous juger, elle se ferait ramasser. On est majoritaires, alors on prendrait notre revanche ! »

Charles éclate de rire à l’idée de sa bande d’amis et lui remettant un homophobe à sa place…

« Je le dis en farce, mais au fond, c’est vrai. C’est fini, se faire pointer du doigt. »

Une histoire d’amour et de solidarité, comme je vous le disais.