Appelons-le « Monsieur Bonhomme-Sourire ».

C’est qu’il ne veut pas que je le nomme. Comme il navigue sur une fine ligne entre la création et le délit, il préfère que je ne donne pas d’indices qui permettraient de l’identifier. Aucun souci, je n’ai nullement envie de dénoncer un artiste de rue, de toute façon.

Surtout pas un créateur qui tapisse les murs d’affection…

Parce que c’est ce que Monsieur Bonhomme-Sourire fait. Il investit des quartiers où la lumière oublie de passer pour y plaquer des images d’espoir. Des mots positifs. Des blagues.

Je vois de ses panneaux partout à Montréal, je les croise parfois même dans d’autres régions de la province… Souvent sur des structures qui m’apparaissent inatteignables. Je ne sais pas comment il fait pour se rendre là. Ses accès impressionnent, vraiment.

Dans tous les cas, c’est toujours bon de découvrir ses illustrations. Ce l’est peut-être même plus en ce février pandémique, avec les mesures sanitaires, la fatigue et les journées qu’on passe à faire du slalom entre nos envies de sieste et celles de tout crisser là…

(Ce n’est pas juste moi, hein ? Dites-moi que ce n’est pas juste moi…)

C’est d’ailleurs pour se sortir d’un état de grande déprime que Monsieur Bonhomme-Sourire a commencé à apposer des images bienveillantes sur les murs du Québec, il y a environ 15 ans.

« J’ai pas mal touché le fond du baril, m’a-t-il expliqué. Puis, j’ai eu une épiphanie ! »

Je me suis dit que si je me mettais à afficher de l’espoir, je finirais par y croire aussi. J’ai commencé à mettre des pancartes partout, j’étais comme fou…

Monsieur Bonhomme-Sourire

L’autosuggestion a fonctionné. L’espoir, à force de le placarder, il a fini par y goûter. Depuis, Monsieur Bonhomme-Sourire se plaît à dire qu’il ne demande pas de permission pour partager l’amour. D’où le flirt avec l’illégalité dont je vous parlais, plus tôt.

Mais au fond, à qui appartient vraiment l’espace public ?

* * *

Ces jours-ci, Monsieur Bonhomme-Sourire élabore des œuvres en collaboration avec des organismes d’aide, question de réjouir du monde à qui la vie ne fait pas de passe sur la palette. Sa démarche se fraie un chemin dans le communautaire, c’est nouveau, ça le stimule beaucoup.

Et il y a les sculptures.

L’artiste ne donne pas que dans les panneaux, il crée aussi des installations à partir de matériaux recyclés. L’été dernier, il a assemblé un vieux support pour vêtements, une vrille de souffleuse, des rebuts de gazebo et l’embout d’un lampadaire. Tous des trucs dégotés dans les vidanges. Résultat ? Un bonhomme, bras ouverts, dont les doigts indiquent « je t’aime » en langue des signes.

« J’ai décidé de le mettre en haut d’une colline, comme s’il spreadait l’amour. »

J’ignore si elle répand de l’amour, mais chose certaine, la création en hérite pas mal.

L’autre jour, Monsieur Bonhomme-Sourire a reçu un message privé, sur Instagram. Une mère lui expliquait que ses enfants adoraient la sculpture. D’ailleurs, ils s’inquiétaient un peu pour elle ; et si elle avait froid, avec les températures qui baissent ? Est-ce que l’artiste accepterait que son bonhomme porte un foulard ? Si oui, ils étaient prêts à le parer pour les grandes tempêtes…

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Valérie Doucet et ses deux enfants, Louis et Léa Ducharme, devant la sculpture.

« Ça faisait longtemps qu’on voyait les panneaux de Monsieur Bonhomme-Sourire, partout en ville, me raconte Valérie Doucet, mère de Léa (10 ans) et de Louis (8 ans). C’était rendu un jeu de les trouver, en famille ! C’est Léa qui a aperçu la sculpture en premier. Tout de suite, les enfants m’ont demandé d’aller la voir de plus près. Mon fils est super sensible à l’art. Il voulait s’en approcher, l’observer, comprendre comment elle était faite. On se posait des questions. Est-ce un robot ? Est-ce un extraterrestre ? »

Finalement, sans statuer sur sa nature exacte, le trio a décidé de nommer la sculpture Amour. Chaque matin, il passe donc lui dire « Salut, Amour ! ». Un petit geste qui a beaucoup rapproché la famille, me confie Valérie Doucet…

Quand ses enfants ont eu l’idée de vêtir Amour pour l’hiver, la jeune mère de famille a été emballée, mais elle a jugé qu’il était d’abord important d’obtenir la permission de son créateur. Elle ne voulait pas dénaturer son intention ni sa démarche…

Évidemment, l’offre a été acceptée.

Monsieur Bonhomme-Sourire en était même très touché : « Je suis tellement heureux que les gens du quartier s’approprient la sculpture, qu’ils ne voient pas ça comme quelque chose de négatif ! Comme tout bon artiste, je suis sensible à l’environnement qui m’entoure et je veux l’enjoliver. Je sais que c’est subjectif et que des personnes trouvent ça laid, des poubelles… Mais je trouve ça beau, moi, prendre des objets désuets et leur donner une nouvelle vie. »

Alors, c’est correct si jamais d’autres enfants veulent mettre un foulard à tes créations ?

Il a ri avant de me lancer : « Qu’ils en mettent deux, s’ils le veulent ! Et qu’ils se prennent en photo avec elles, parce que je veux voir le résultat ! »

En fait, selon le créateur, c’est une manière parfaite de s’approprier l’art public. Alors que certaines personnes volent les collages, panneaux et sculptures offerts à la collectivité par les artistes de rue, Monsieur Bonhomme-Sourire plaide pour qu’on apprenne à jouer avec les créations, plutôt que de chercher à les faire nôtres.

Les enfants ont bien compris comment y arriver, eux.

Tout ça pour vous dire qu’en ce moment, il existe un artiste dont la mission est d’aider l’espoir à percer février. Puis qu’une jeune famille a décidé de l’aider à garder cet espoir au chaud…

Il y a quelque chose d’infiniment rassurant là-dedans, non ?

(Ce n’est pas juste moi, hein ? Dites-moi que ce n’est pas juste moi…)