Quand on a 10 ans, notre père est un héros. Quand on a 20 ans, notre père est dépassé. Quand on a 30 ans et qu’on devient père, on s’identifie un peu à lui. Quand on a 40 ans et des enfants, on a pour lui plus d’empathie. Quand on a 50 ans, on réalise qu’on partage plus d’idées qu’on le croyait avec lui. Et quand on a 60 ans, on regrette de ne pas le lui avoir dit.

Je n’ai pas lu ces lieux communs dans une carte de vœux de fête des Pères. J’aurais pu, remarquez. Les cartes de vœux sont le cimetière des généralités. Il reste que dans tous les clichés, il y a une part de vérité. Je n’ai pas 50 ans, et je me reconnais de plus en plus à la fois dans mon père et dans mes fistons. Pour le meilleur et pour le pire.

J’en ai discuté récemment avec Louis Morissette, en prévision de la sortie en salle le 14 juillet du film qu’il a produit, coscénarisé et dont il incarne l’un des personnages principaux – celui du père –, Le guide la famille parfaite, de Ricardo Trogi. Nous avons le même âge. Nos enfants aussi. Je lui ai demandé si, comme moi, il était parfois désolé de reconnaître chez ses ados ses propres traits de caractère. Comme un miroir grossissant de ses défauts.

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« Effectivement, ce n’est pas facile de retrouver chez tes enfants ce que tu es et qui t’exaspère, les côtés les moins beaux, et de répéter les patterns de tes parents, dit-il. De parler et d’entendre mon père… Ah non ! Je deviens tellement lui. Et ma sœur fait juste me rappeler à quel point je suis en train de devenir mon père ! En même temps, c’est correct. »

Il faut juste avoir l’introspection et l’humilité d’essayer d’aller chercher le meilleur de ça. De reconnaître ce qui est bon et pas bon là-dedans, plutôt que d’essayer de faire comme si ça n’existait pas.

Louis Morissette

Si je suis devenu journaliste, si je me suis intéressé très jeune à l’actualité, à la politique, à la littérature, c’est grâce à mon père. Il a fait mon éducation intellectuelle, plus que n’importe quel prof. Je lui en ai voulu de m’avoir encouragé à étudier le droit pour me rendre au journalisme (surtout pendant les cours sur les sûretés et hypothèques). Aujourd’hui, je me surprends à répéter à mon fils les mêmes phrases que lui. « Ce n’est pas une mauvaise idée, d’avoir un plan B… »

Mon père est un fin pédagogue. Un directeur d’école à la retraite, qui transposait parfois à la maison ses façons de faire du collège (où j’étudiais). Il m’a fait signer à 15 ans un contrat pour que je m’engage à rentrer à la maison à une heure précise, le week-end. La plupart des élèves les plus turbulents du collège l’adoraient, parce qu’il savait leur faire confiance jusqu’à preuve du contraire.

La paternité est une roue qui tourne. Le destin est rond, dit mon père (c’est le titre de son recueil de poésie). On souhaite éviter le plus possible à nos enfants de répéter nos erreurs de jeunesse, tout en sachant que ces échecs inévitables nous ont formés, forgés, construits. J’élève mes fils, inspiré par les leçons de mon père. Conscient de mes limites. Espérant le mieux pour eux. Il y a une scène dans Le guide de la famille parfaite qui m’est restée en tête. Le personnage de Louis Morissette, cadre dans une entreprise d’assurances, dit à son collègue inquiet pour son fils, caricature de millénial faisant passer tout avant la carrière : « Ce que ton fils va devenir, ce n’est pas ta note à toi comme parent. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Louis Morissette, scénariste, producteur et acteur

On se fait, même sans vouloir l’admettre, des scénarios pour nos enfants. On veut avant tout qu’ils soient heureux, mais on les voit devenir ceci ou cela. « Je le verrais bien dans tel domaine. Déjà, à 3 ou 4 ans, il montrait (telle ou telle aptitude) pour (tel ou tel métier) ! » Mon père me voyait peut-être devenir journaliste avant que je ne sache de quoi il retourne.

On ne reçoit pas de notes quand on est parent, comme l’a écrit Louis Morissette. Mais lorsque Fiston a ironisé sur le fait qu’il avait reçu le prix Méritas de la politesse, la semaine dernière, j’ai eu beau renchérir en disant que c’était mieux que le prix de la ponctualité, je me suis dit que ce prix-là témoignait tout de même d’un minimum de valeurs qu’on lui avait inculquées. « Ce prix-là, prends-le aussi pour toi », m’a dit un ami. Dont acte.

Mon fils, qui me renvoie parfois une image agaçante de moi-même à son âge, est poli avec ses professeurs. C’est toujours ça de pris. Il n’a pas 20 ans et il me trouve déjà dépassé. C’est un jugement sans appel. Il y a des choses que je ne comprends pas, selon lui. Parce que j’ai passé l’âge. C’est une question de génération, dit-il. J’ai beau lui dire que je portais les mêmes vêtements que lui dans les années 1980, rien n’y fait…

J’entends déjà des lecteurs me dire que les adolescents d’aujourd’hui sont des enfants-rois. « Les jeunes sont bien plus responsables et respectueux des autres que nous l’étions à leur âge, croit au contraire Louis Morissette. À tous les points de vue, j’aurais tendance à dire qu’ils sont plus équilibrés qu’on pouvait l’être. »

On peut bien casser du sucre sur leur dos – oui, ils ont de gros défauts et des fois, ils sont insupportables –, mais de façon générale, ils ont une maturité plus grande que ce que je pouvais avoir, moi, à 16-17 ans.

Louis Morissette

Peut-être qu’on ne devient pas son père en vieillissant, finalement. Peut-être qu’on prend seulement conscience de ce que notre père sait depuis longtemps : qu’une partie de nous, dans l’inné comme dans l’acquis, se ressemble.

Je serai toujours le fils de mon père. Mon père, ce héros qui patinait mieux que tous les autres papas. Mon père que mes coéquipiers et camarades de classe m’enviaient. Mon père que je voulais rendre fier, quand je suis allé l’attendre au coin de la rue à son retour du travail, avec ma médaille de premier de classe de la première année du primaire. Je suis resté ce fils-là. Et lui ce père-là. Bonne fête à tous les pères.