Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier.

Il fut un temps où il y avait de nombreux tailleurs tout autour de la Petite Italie et de la Plaza Saint-Hubert. Habillant des clients depuis 1967, Cecchini Tailleurs a résisté aux modes, à l’époque de la mode éphémère (fast fashion) et a vécu celle où le Grand Antonio passait prendre un café. Son propriétaire, qui se prénomme aussi Antonio, mais que tous appellent Tony, a célébré la semaine dernière son 83anniversaire.

Six jours par semaine, Tony quitte sa maison de Laval et prend le chemin du 750, rue Bélanger pour mettre son ruban à mesurer autour de son cou et s’installer devant sa machine à coudre Singer.

« J’aime mieux être ici avec mes clients que d’être tout seul à la maison, confie-t-il. Mais si j’avais un patron, je ne serais pas encore ici. C’est moi qui décide. Quand je dis que c’est pour demain, c’est pour demain. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Un vrai travail d’artisan sur mesure

Tony est né dans la région des Abruzzes, en Italie. Jeune, il aurait souhaité travailler dans la construction, mais c’est plutôt la couture qu’il a apprise après l’école.

Son père est le premier de la famille à avoir traversé l’Atlantique dans l’espoir d’une vie meilleure à Montréal. Il a vécu avec son frère avant que sa femme, sa fille et ses fils viennent le rejoindre en 1957 dans une maison du quartier Saint-Michel. À l’époque, la rue Villeray était la rue Dickens au-delà du boulevard Pie-IX. « J’avais 16 ans. Je me souviens avoir pleuré en voulant retourner en Italie, car j’étais loin de mes amis et que je ne parlais qu’un dialecte. Je ne savais pas comment les lumières marchaient, car dans mon petit village, nous n’avions pas l’électricité », raconte Tony.

À son arrivée dans la métropole, Tony a travaillé dans une manufacture de pantalons juste en face de La Presse, dans le Vieux-Montréal. « Ici, il y avait des machines à coudre électriques alors qu’en Italie, j’utilisais des machines à pédale », se remémore-t-il.

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Tony inscrit toujours les noms de ses clients dans leur veston.

Son frère a commencé à travailler chez les tailleurs Bob et Dino Cecchini, installés au 750, rue Bélanger depuis les années 1950. Un jour, il a dit à Tony que le magasin était à vendre. Le reste appartient à l’histoire : les frangins ont pris le relais et ils sont aussi devenus propriétaires de la bâtisse en réhypothéquant la maison de leur père.

Plusieurs articles ont été publiés au sujet de Tony au fil du temps dans différents médias, notamment dans Droit-inc., puisqu’il compte de nombreux avocats et juges parmi ses clients. Chaque fois, il est écrit que son nom de famille est Cecchini, alors que c’est... Di Giulo ! Cela démontre à quel point il est devenu indissociable de son atelier-boutique au point d’adopter son nom, il y a 57 ans.

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Tout se confectionne dans l’arrière-boutique.

Plus que des vêtements

Lors de notre entretien avec Tony, un client fidèle est passé. « C’est le manteau de mon grand-père dont je vous parlais », a indiqué Karl Bourassa, en sortant d’une housse un paletot en laine qu’il désirait faire ajuster à sa taille.

Jeune, Karl Bourassa passait constamment devant Tailleurs Cecchini en se disant qu’il aurait un jour des vêtements conçus expressément pour lui. « Depuis au moins 10 ans, je fais toujours faire mes habits ici », indique-t-il.

Cette fois-ci, c’est toutefois émotif de faire ajuster le manteau de son grand-papa qui n’est plus. « Mon grand-père prenait grand soin de ses vêtements », souligne-t-il avant que Tony lui suggère de rallonger un peu les manches.

PHOTO FOURNIE PAR CECCHINI TAILLEURS

Tony avec son fidèle client Karl Bourassa

Karl Bourassa travaille en finances, un domaine où les complets sont souvent de mise. Il a fait affaire avec Holt Renfrew ou Maxwell pour un service sur mesure, mais ce n’est pas le même travail d’artisan. « Chez Tony, c’est du vrai sur-mesure », fait-il valoir.

Un service d’une autre époque

Si de moins en moins de gens ont besoin de porter un costume au travail, il y aura toujours des mariages et des occasions spéciales.

Chose certaine, il est difficile d’avoir un service aussi personnalisé que chez Cecchini Tailleurs. Tony prend les mesures de ses clients de la tête aux pieds. Sachez que les femmes sont les bienvenues et qu’il faut compter à partir de 900 $ pour un complet.

Un grand conseil qu’a déjà donné à Tony l’un des tailleurs Cecchini qui occupaient le 750, rue Bélanger avant lui ? « Quand un client franchit la porte, 50 % de la vente est faite. »

Pour le reste, c’est la magie du service à la clientèle qui opère, et les doigts de fée de Tony !