Il y a 60 ans, plus de 300 familles apprenaient qu’elles devaient déménager car leur quartier, enclavé par le chemin de fer du CN et le pont Victoria, allait être détruit.
Désolant, surtout quand on constate que ce coin, situé dans ce qui s’appelle aujourd’hui le secteur Bridge-Bonaventure, est devenu un no man’s land de stationnements et de grands espaces qui servent notamment à Postes Canada et à Hydro-Québec, le tout près d’un... Costco.
En 1964, l’administration du maire Jean Drapeau a fait raser l’ancien quartier de Goose Village, appelé en français le Village-aux-Oies, ou encore Victoriatown, afin de permettre la construction de l’Autostade pour la tenue d’Expo 67.
« Quelques années après le fameux concert de Pink Floyd, l’Autostade a été détruit », rappelle avec une grande ironie la photographe Marisa Portolese.
La professeure à l’Université Concordia a publié l’automne dernier le livre Goose Village, écrit en collaboration avec Vincent Bonin, en marge d’une exposition présentée à la galerie Occurrence. C’est devenu par le fait même un projet « d’archives vivantes » dont elle avait sous-estimé la portée. D’anciens villageois ou leurs descendants continuent de la contacter.
Consultez la page Instagram du projetVictoriatown est né au milieu du XIXe siècle avec les travailleurs qui ont construit le pont Victoria.
Marisa Portolese
Après l’immigration massive d’Irlandais a suivi une vague de l’Europe de l’Est, notamment de l’Ukraine. Puis après la Seconde Guerre mondiale sont arrivés beaucoup d’Italiens, dont son père Domenico Portolese, qui n’avait que 15 ans !
Goose Village était une chaleureuse terre d’accueil. « La vie était bonne dans le quartier. J’aimais y vivre », dit celui qui célébrera ses 87 ans.
Aujourd’hui, un monument commémoratif irlandais, appelé Black Rock, rappelle sur un terre-plein difficile d’accès les quelque 6000 Irlandais morts du typhus qui ont été mis en quarantaine avant la construction du pont. Mais sinon, il n’y a pratiquement aucune trace ou aucun rappel du Village-aux-Oies, se désole Marisa Portolese.
Une longue quête
Marisa Portolese a grandi en entendant sans cesse parler du « village » où son père avait vécu pendant plus de 10 ans et où des gens chassaient jadis l’oie. Elle a eu une révélation avec le documentaire de Sylvain L’Espérance Les printemps incertains, sorti en 1992. Elle pouvait enfin découvrir des images d’époque inédites de Goose Village.
Plus tard, en 2011, Marisa Portolese a vu l’exposition Quartiers disparus de Catherine Charlebois et Paul-André Linteau (dont a été tiré un livre). Les photos, rendues publiques grâce à une entente entre l’ancien Centre d’histoire de Montréal et les Archives de la Ville, lui ont donné espoir de pouvoir reproduire une carte de Goose Village.
Or, ce n’était pas si simple. « Les Archives de la Ville de Montréal ont été d’une grande aide, mais quand j’ai reçu les 2000 photos, il n’y avait pas de légende », dit-elle.
Son père lui a d’abord permis d’identifier sa maison rue Forfar, puis l’historien Gilles Lauzon a pu décoder « le sibyllin système numérique » permettant d’associer des adresses aux photos.
De nombreuses images sont tristes à voir, dont celle de cette femme dans son appartement vide posant derrière « son » numéro d’expropriation.
Comme elle l’a fait pour le Faubourg à m’lasse et Le Red Light, la Ville a rasé Goose Village et déplacé ses quelque 1500 habitants au nom de la modernité. « La Ville disait que les gens ne pouvaient pas vivre dans ces conditions-là. Oui, les maisons étaient vieilles, mais on voit sur les photos comment on prenait soin de l’intérieur », souligne Marisa Portolese.
Beaucoup d’entre eux étaient forcés une fois de plus de quitter leur foyer et de se faire une nouvelle vie. « Ce n’avait déjà pas été facile pour eux d’immigrer sans parler la langue et sans argent. »
Le père de Marisa nous a raconté son arrivée par bateau par Halifax, puis par train à Montréal. Il venait y rejoindre son frère aîné qu’il considère comme son père, puisque ce dernier est mort quand il avait 18 mois. « Mon autre frère est allé à la guerre et je ne l’ai jamais revu... C’était une époque difficile. »
De Goose Village à Saint-Michel
Domenico Portolese se souviendra toujours du jour où il a reçu une lettre annonçant que l’appartement qu’il louait allait être détruit. « Deux mois plus tard, je déménageais dans Pointe-Saint-Charles, où ma fille est née. »
Tailleur de métier, notamment pour Harry Rosen, Domenico Portolese a plus tard acheté un immeuble dans Saint-Michel où sa femme et lui vivent toujours, et où Marisa a installé son studio de photo.
Quels souvenirs reste-t-il donc de Goose Village 60 ans après sa démolition ? Tout plein... L’administration Drapeau a pu sortir les gens du village, mais pas le village des gens.
Consultez le rapport qui a mené à la démolition de Goose Village Consultez le nouveau plan de mise en valeur du secteur Bridge-Bonaventure