On attend des parents qu’ils soutiennent leurs enfants dans leurs devoirs et leçons. Mais parfois, cette aide est si appuyée… que c’est le parent qui fait le devoir à la place de l’enfant. Témoignages, conseils et réflexions sur le système d’éducation.

Sébastien Boucher-Gaudry a lu le travail une fois, d’un trait, sans avoir à corriger quoi que ce soit tant il frôlait la perfection. Il l’a relu une deuxième fois, fasciné. « Je me suis dit : c’est le meilleur travail que j’ai lu de ma vie. Ça n’a pas de bon sens comment c’est bon. »

Enseignant en sociologie dans un cégep à l’extérieur de Montréal, Sébastien Boucher-Gaudry avait demandé à ses élèves de rédiger leur évaluation finale à la maison, et de la lui envoyer en version électronique.

Or, l’élève en question avait jusqu’à maintenant des notes « assez moyennes ». Non seulement le niveau de langue du travail était de niveau universitaire, mais les normes de présentation du document étaient celles enseignées à l’université. Ça sentait la tricherie.

Qui plus est, dans les propriétés du fichier Word envoyé par l’élève, le nom de l’auteur était un nom de femme – le nom de la mère de l’élève. Une femme instruite, titulaire d’une maîtrise en éducation. Est-ce elle qui avait rédigé le travail ?

« On a décidé de monter un comité d’évaluation pour voir si on accusait l’étudiant de tricherie », raconte Sébastien Boucher-Gaudry, mais ce ne fut finalement pas le cas. L’élève a même pu conserver la note (parfaite) que valait le travail.

Ultimement, on s’est dit que les chances que ce soit sa mère qui ait rédigé le travail étaient très élevées, mais qu’il était impossible de le déterminer à 100 %.

Sébastien Boucher-Gaudry, enseignant en sociologie

L’enseignant en philosophie Olivier Provencher a lui aussi corrigé des travaux d’élèves ayant vraisemblablement été bonifiés par un parent. Il se souvient de deux cas en particulier. Et les deux fois, dit-il, c’est l’élève lui-même qui a spontanément affirmé avoir reçu l’aide de son parent. « Mon père m’a aidé, mon travail ne doit pas être si mauvais. »

Les parents en cause ne font pas nécessairement le travail d’un bout à l’autre, note François Larose, chercheur en éducation et professeur à l’Université de Sherbrooke. Le plus souvent, dit-il, ils vont essayer de réviser le devoir et de boucher des trous, dans la mesure de leurs capacités. « Ça rend d’ailleurs les travaux assez amusants à lire », souligne M. Larose.

Les raisons de succomber

Plus les enfants sont jeunes, dit-il, plus les parents sont nombreux à avoir la capacité de se substituer à leurs enfants. Les raisons de succomber sont multiples : pour remonter une moyenne en chute libre, pour que leur chérubin ait la plus belle présentation PowerPoint de la classe, pour compenser des devoirs jugés trop costauds, pour apaiser l’angoisse de l’enfant…

Geneviève Émond se souvient très bien de la période des devoirs à la maison lorsque son frère, distrait, était à l’école primaire. « Ma mère passait beaucoup de temps à l’aider, mais quelques fois, après une heure, deux heures et même trois heures, elle finissait par simplement lui donner les réponses. C’était pour le soulager et la soulager aussi. »

IMAGE TIRÉE DE LA PAGE INSTAGRAM DE CÉLINE BAILLEUX

L’illustratrice Céline Bailleux passe beaucoup de temps à aider sa fille à faire ses devoirs, d’où ce dessin humoristique.

L’illustratrice française Céline Bailleux a bien su représenter cette réalité, l’an dernier, dans un dessin qu’elle a publié sur Instagram. Sa fille a un trouble de déficit d’attention, et Céline passe beaucoup de temps à l’aider, le soir, pour la soutenir, la rassurer. Le système français est très sélectif, et les notes des élèves, dit-elle, restent au dossier.

Au départ, la volonté, c’est de le faire avec elle, pour être sûre qu’elle ait tout bien compris, mais à la fin, après deux heures par jour pendant toute la semaine, elle s’en fout, et je me retrouve à faire l’exercice toute seule.

Céline Bailleux, illustratrice

La Montréalaise Sandrine Marty s’est elle aussi laissé tenter. Un jeudi soir, sa fille de 12 ans est rentrée de l’école avec pour mission de rédiger un poème en alexandrins pour le lendemain. La petite s’arrachait les cheveux. Sandrine Marty et son conjoint ont débouché une bouteille de vin et sorti un stylo et une feuille de papier. « Mais ce n’est pas quelque chose de récurrent », précise-t-elle.

Performance

Est-ce grave de faire les devoirs à la place de son enfant ? « Ce n’est pas le meilleur soutien à l’apprentissage, c’est même le contraire, mais ça peut être situationnel, estime le professeur François Larose. Ça devient problématique quand c’est systématique et que c’est purement pour s’assurer d’une performance optimale. »

François Larose a une bonne idée du profil de parent enclin à en faire une habitude systématique dans un dessein de performance : des parents très instruits, qui voient l’éducation comme un objet d’ascension sociale et qui valorisent les indices de performance. C’est aussi pas mal plus rapide, pour un parent, de dicter les réponses à son enfant plutôt que de superviser les essais et les erreurs, dit-il.

Une aide trop contrôlante du parent (intervenir fréquemment et de manière prolongée, sans que ce soit sollicité par l’enfant) peut avoir un effet négatif, tant sur la relation parent-enfant que sur la motivation scolaire de l’enfant, souligne Roch Chouinard, professeur émérite à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

C’est pourtant le réflexe « naturel » des parents lorsque leur enfant est en difficulté : vouloir compenser. « Mais ce n’est pas la bonne chose à faire, d’abord parce que ça se fait dans un climat de tension, indique Roch Chouinard. Quand le contrôle est trop serré pendant les devoirs, ça a pour conséquence de réduire l’engagement de l’enfant dans ses devoirs, et en fin de compte, d’aggraver sa difficulté scolaire et d’augmenter son sentiment d’incompétence. » L’enfant perd aussi l’occasion d’acquérir des compétences, dit-il.

Aux parents qui trouvent la charge trop lourde, Roch Chouinard conseille plutôt de s’adresser à l’enseignant ou à la direction d’établissement.

Quelle posture adopter comme parent lors de la période des devoirs ? Ce n’est pas tant le nombre ou la durée des interventions des parents qui peuvent avoir un effet bénéfique, mais plutôt la nature de ces interventions-là. « Les interventions bénéfiques, ce sont des interventions qui consistent à aider l’enfant à s’organiser par rapport aux devoirs, à se dépanner quand il est en difficulté dans ses devoirs et à trouver des ressources d’aide », explique Roch Chouinard.

Inégalités

Les parents issus de milieux socio-économiques aisés ou plus instruits sont davantage en mesure de soutenir leurs enfants pendant la période des devoirs. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, les devoirs peuvent avoir comme « conséquence involontaire » de creuser l’écart entre les élèves issus de milieux différents.

C’est exactement la conclusion à laquelle l’enseignant Sébastien Boucher-Gaudry en est arrivé, au terme de l’expérience avec son élève ayant vraisemblablement sollicité l’aide de sa mère pour son évaluation finale. Dans la foulée, il a appris avec étonnement que des collègues faisaient la même chose pour leurs enfants ou leur partenaire aux études.

« Si tes parents sont fortement éduqués, ou si tu viens d’un milieu très favorisé, tu vas avoir des avantages que les autres n’ont pas », résume Sébastien Boucher-Gaudry, qui, désormais, fait faire ce type de travaux uniquement en classe.