Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier

« Je me sens si choyée d’habiter tout près. » « Une perle rare. » « Un service humain. » « Du personnel dévoué et à l’écoute. »

Juste les avis sur Google donnent envie d’y aller. Et à voir la vitrine, on devine que la pharmacie de Sébastien Lacroix n’est pas comme les autres. On y vend plantes, produits en vrac, articles de cuisine réutilisables et chandelles faites au Québec.

Si cela fait plus de 50 ans qu’une pharmacie occupe le 161, rue Beaubien Est, son pharmacien propriétaire a pris un virage boutique, local et écoresponsable en 2017.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La rue Beaubien, près du boulevard Saint-Laurent, regroupe de nombreux commerces de quartier, dont Mario Beaupré encadreur, la Buvette Beaubien, Ma Buanderie et les Valises JP Grimard.

Sébastien Lacroix y travaillait déjà depuis une douzaine d’années. À l’origine, son oncle et lui avaient acheté la pharmacie dont les affaires roulaient beaucoup grâce aux ordonnances d’un médecin de famille dont le bureau n’était pas loin. Quand ce dernier s’est éteint, Sébastien Lacroix – qui était devenu le seul propriétaire – a pensé mettre la clé sous la porte. Il a plutôt vu l’occasion d’arrêter de faire des affaires de façon conservatrice.

Alors que de plus en plus de pharmacies prennent des allures de magasins à rayons, Sébastien Lacroix a eu envie que la sienne reflète ses valeurs et sa communauté. « Sans musique débile », dit-il à la blague. Quand un employé lui a parlé des produits et savons Oneka, fabriqués à Frelighsburg, il a eu un premier déclic. « Nous n’étions pas obligés de vendre du Dove », illustre-t-il.

Des plantes et du vrac

Cinq ans plus tard, des tas de produits d’ici sont sur les rayons. « Nous sommes allés dans des expositions de produits québécois pour nous inspirer », souligne Sébastien Lacroix. Le pharmacien propriétaire de 46 ans parle au « nous », car il peut compter sur des employés fidèles, devenus ses amis, dont Laurence Fortin, en poste depuis 2018 et responsable des plantes à vendre. « J’ai décidé de faire un DEP en fleuristerie, puis Sébastien m’a demandé si je n’avais pas une idée de projet pour la pharmacie, raconte-t-elle. Ça ajoute beaucoup à mon bonheur au travail. La journée où on reçoit les plantes, tout le monde est content. »

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Laurence Fortin est responsable des plantes.

Pour compléter son « revival » de pharmacie, Sébastien Lacroix a confié la conception de son logo à l’illustrateur Michael Jachner. « Il a peint ça à la main pendant quatre mois », s’étonne-t-il encore. Sébastien Lacroix a aussi écouté les conseils d’une cliente qui travaille en design intérieur pour que le comptoir d’accueil s’ouvre vers la fenêtre et la porte d’entrée. « Tout coûtait cher, donc nous avons fait un IKEA hack », précise-t-il fièrement.

Ce n’est pas avec toutes les enseignes que Sébastien Lacroix aurait pu faire ça, ni avoir plus de 50 distributeurs – essentiellement québécois – au lieu de n’en avoir que quelques-uns pour épargner du temps et des coûts.

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Sébastien Lacroix

Essayer d’être créatif, ce n’est pas propre aux pharmacies, mais c’est possible.

Sébastien Lacroix

Sous l’enseigne d’Uniprix, Sébastien Lacroix a pu réinventer son offre devant son comptoir à ordonnances. Ce dernier n’est toutefois pas dupe : le quartier environnant s’est embourgeoisé, il y a donc une clientèle pour acheter des crèmes pour le visage BKIND, des produits en vrac Bionature et du bain moussant pour bébés Lolo.

Des patients de longue date qui ont déménagé continuent de lui confier leurs ordonnances. « Ce matin, mon livreur est allé à Pointe-aux-Trembles. On va même jusqu’à Terrebonne », indique-t-il. Au fil des années, des liens forts se tissent entre un pharmacien et sa clientèle. Beaucoup de fragilité, d’anxiété et de confidences se transmettent d’un côté à l’autre du comptoir. Après un « comment ça va ? », une dame âgée lui confie devant nous qu’elle se sent épuisée. Quand on lui dit que ça prend beaucoup d’écoute pour pratiquer sa profession, Sébastien Lacroix répond qu’il aime tout simplement parler aux gens. Il a d’ailleurs songé à être psychologue, mais par « insécurité », il a pris la voie plus convenue de la pharmacie à l’université.

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L’employée Marion Perrin est derrière le comptoir.

Une pharmacie de son époque

Il y a 25 ans, il n’aurait toutefois pas pu rêver d’une pharmacie comme la sienne. Le modèle d’affaires d’une pharmacie était somme toute assez « straight », expose-t-il, en rappelant que les pharmacies faisaient beaucoup d’argent avec la vente de... cigarettes !

« Straight » n’est certainement pas un mot qui colle à Sébastien Lacroix. Récemment, l’embauche d’un pharmacien (qui gagne aussi sa vie comme agent de bord !) lui a permis de partir trois mois en voyage avec son amoureuse et ses enfants de 4 et 6 ans, Boris et Gaspard. La famille a passé du temps en Nouvelle-Zélande, au Japon, en Turquie et en France. « Je me sens extrêmement privilégié d’avoir pu faire ça », nous dit-il devant une photo de ses garçons et lui accrochée dans son stylé bureau vintage, au sous-sol de la pharmacie.

Dans ce qui est aussi un studio de musique – au plafond de stucco –, on peut voir une affiche du groupe Chocolat, une œuvre de l’artiste Max Wise et la découpe d’une chronique datant de 2006 intitulée « Le but, c’est le chemin » de Pierre Foglia.

Décidément, la pharmacie de Sébastien Lacroix n’est pas comme les autres.