Oui, la positivité a ses limites. Et elle peut carrément devenir toxique. Parce qu’il arrive qu’on ait juste envie de grincer des dents lorsqu’on nous sert le fameux « ça va bien aller » ou qu’on nous ressort le classique « ça pourrait être pire ». Des expertes nous expliquent comment éviter de tomber dans le piège de la positivité toxique.

De la positivité saine à la positivité toxique

Quand elle a partagé sa première publication sur la positivité toxique sur son compte Instagram, en 2019, la psychothérapeute américaine Whitney Goodman était loin de se douter que celle-ci deviendrait virale. Et encore moins qu’elle finirait par écrire un livre sur le sujet qui ferait mouche au point d’être traduit dans une vingtaine de langues dans le monde.

Publié plus tôt ce printemps au Québec aux Éditions de l’Homme, l’ouvrage Positivité toxique – Se libérer de la dictature du bonheur pour aller (vraiment) mieux est né alors que les conseils du genre « tenez un journal de gratitude », « écrivez 10 pensées positives » ou encore « collez des Post-it de pensées positives partout dans la maison » explosaient parmi son cercle de thérapeutes. « Je me hérissais toujours face à ce genre de pratiques », dit Whitney Goodman, jointe par visioconférence chez elle, en Floride. « J’avais juste ce sentiment de “Oh mon Dieu, je déteste ça”. »

PHOTO NICK GARCIA, FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

La psychothérapeute américaine Whitney Goodman, autrice du livre Positivité toxique – Se libérer de la dictature du bonheur pour aller (vraiment) mieux

En même temps, des patients désemparés venaient la consulter en lui disant : « Je ne devrais pas m’en faire avec ça, je dois juste penser de façon positive, j’ai tellement de raisons d’être reconnaissant... » Quelques-uns d’entre eux se sentaient même honteux d’éprouver des sentiments considérés comme « négatifs ».

« Il y a des moments où être positif peut être très bénéfique ; mais il y a aussi des moments où être positif – ou trop positif – peut être nuisible », renchérit Alex-Anne Lamoureux, doctorante en psychologie clinique à l’Université de Moncton. Celle qui est également interne au Centre Mieux-Être Mind at Peace, au Nouveau-Brunswick, a commencé à s’intéresser de près à ce sujet relativement nouveau, mais très en vogue depuis la pandémie, à son avis.

« Parfois, on tend à vouloir se confier, puis on fait face à des réactions comme : “c’est pas si grave”, “ça va passer”, “il faut regarder le côté positif des choses”... L’effet que ça avait sur moi, personnellement, n’était pas vraiment aidant ; mon émotion voulait quand même sortir. Ça isole plus qu’autre chose », avance Alex-Anne Lamoureux.

Être positif… au bon moment

Mais alors, à partir de quand la positivité cesse-t-elle d’être saine pour devenir toxique ?

« Il faut toujours évaluer le moment, votre public et votre objectif dans la situation en question, estime Whitney Goodman. Quand quelqu’un se trouve dans un moment de détresse, la meilleure chose à faire est de lui demander : “Quelle serait la chose la plus utile que je pourrais faire pour toi en ce moment ? As-tu besoin d’être motivé ? Veux-tu juste que je m’assoie avec toi ?” »

Si la personne pleure, si elle est manifestement contrariée par quelque chose, ce n’est pas le moment d’être positif. Attendez qu’elle sorte un peu de cet espace.

Whitney Goodman

Selon la psychothérapeute, neuf fois sur dix, les gens veulent juste « qu’on soit là, avec eux ». « Qu’on leur montre qu’on n’a pas peur de leur douleur et qu’on sera une ancre pour eux dans cette situation. »

Si l’on prend, en revanche, le contexte de la pandémie ou tout autre grand moment d’adversité – « quand on sait qu’on baigne dans un environnement sur lequel on n’a pas le contrôle pour une période indéfinie ou indéterminée », précise Alex-Anne Lamoureux –, adopter une attitude positive permet de trouver une « lumière » à laquelle se rattacher.

PHOTO FOURNIE PAR ALEX-ANNE LAMOUREUX

Alex-Anne Lamoureux, doctorante en psychologie clinique à l’Université de Moncton et interne au Centre Mieux-Être Mind at Peace

« On appelle ça l’optimisme tragique ; c’est un terme qui avait été inventé par Viktor Frankl, un survivant d’un camp de concentration nazi », note la doctorante.

Mais la positivité devient toxique lorsqu’on « surgénéralise » cette attitude à tel point qu’elle vient diminuer l’importance d’une expérience qui est difficile à vivre, explique-t-elle.

« Un bon exemple est celui d’une personne qui vient d’apprendre qu’elle a une maladie chronique. Elle est présentement sous le choc, elle vit beaucoup d’émotions, peut-être de la colère, un très grand découragement. Donc, quand la personne est encore dans cette émotion-là, on doit lui laisser le temps de la vivre pour ne pas minimiser ou réprimer tous les sentiments qu’elle peut avoir par rapport à cette nouvelle », dit Alex-Anne Lamoureux.

« Toutes ces phrases qu’on entend parfois ou qu’on dit peut-être aussi soi-même – “ce n’est pas si grave” ou “ça ira mieux demain” –, elles ont un effet nuisible du côté de la personne qui les reçoit. »

L’empathie, l’écoute active et la validation des sentiments deviennent alors la clé, à son avis. Et parfois, souligne Alex-Anne Lamoureux, on a juste besoin de pleurer sur l’épaule de quelqu’un. « Pleurer, c’est un excellent moyen d’exprimer ses émotions ; c’est vraiment très libérateur en soi. »

Consultez la page Instagram de Whitney Goodman
Positivité toxique – Se libérer de la dictature du bonheur pour aller (vraiment) mieux

Positivité toxique – Se libérer de la dictature du bonheur pour aller (vraiment) mieux

Éditions de l’Homme

272 pages

Adopter la bonne attitude

Que faire pour éviter d’être exposé à de la positivité toxique et, surtout, se garder d’en répandre ? Exemples et conseils.

Dans un contexte professionnel

« J’ai un patron qui est trop positif et je n’aime pas la façon dont il cherche à me motiver », illustre Whitney Goodman, psychothérapeute et autrice du livre Positivité toxique – Se libérer de la dictature du bonheur pour aller (vraiment) mieux. « Sur quoi est-ce que je peux agir dans cette situation ? »

Cherchez des soupapes de ventilation, d’autres personnes qui vous permettront d’exprimer et de vivre vos émotions dans un espace où vous vous sentez validé et compris, conseille la psychothérapeute. Il sera ainsi plus facile, selon elle, de tolérer ce type de personnes à petites doses.

Mais si l’on n’arrive tout simplement pas à travailler dans un tel environnement, ajoute Mme Goodman, il faudra alors évaluer le rapport avantage-coût afin de déterminer si la situation est viable à long terme... ou s’il vaudrait mieux chercher un nouveau milieu de travail.

Quand on est parent

« Vous entendez souvent des parents dire que tout ce qu’ils veulent, c’est que leur enfant soit heureux et en santé », ajoute Whitney Goodman.

Souvent même avant la naissance. Je recommande toujours qu’on ne fasse pas du bonheur le but ultime de l’enfance.

Whitney Goodman, psychothérapeute et autrice

À son avis, les parents doivent laisser les enfants expérimenter toutes sortes de situations pour qu’ils deviennent des adultes bien adaptés – et ne pas chercher à escamoter celles qui seraient potentiellement négatives.

« Même avec de très jeunes enfants, insiste la psychothérapeute. Il faut leur permettre de vivre des sentiments de déception, de colère, de bouleversement de manière sécuritaire, tout en validant leurs émotions. Même si ça nous semble ridicule qu’ils s’en fassent pour une tasse, par exemple, il vaut mieux leur dire : “Je comprends, tu voulais la tasse bleue, tu as eu la tasse rouge”, et être avec eux, plutôt que de chercher la fameuse tasse bleue à tout prix afin d’éviter qu’ils soient contrariés. »

Avec tout être cher

« De façon générale, c’est très difficile d’être témoin de la souffrance humaine, souligne Alex-Anne Lamoureux, doctorante en psychologie clinique à l’Université de Moncton. Encore plus quand ce sont nos enfants ou des personnes pour lesquelles on a un grand attachement émotionnel. »

Le réflexe, à son avis, sera de bondir pour dire à ce proche que « ça va être correct ». « C’est ce qu’on voit dans le cas de parents qui essaient de surprotéger leurs enfants ou qui essaient d’écarter des émotions déplaisantes ou de grands défis », précise-t-elle.

Selon elle, il suffit parfois d’un geste, d’un contact visuel ou d’une simple présence compatissante. « Puis tranquillement, après ça, on peut essayer de voir ce qu’on peut faire, de quoi la personne a besoin. »