La réalité est bien plus intéressante que la fiction, estime la journaliste Silvia Galipeau. Elle en fait la démonstration semaine après semaine avec la rubrique « Derrière la porte », qu’elle tient depuis huit ans dans La Presse, où elle raconte les petites ou grandes histoires d’amour et de fesses de gens ordinaires. Cinquante de ces témoignages sont aujourd’hui rassemblés dans un livre qui offre un portrait vrai de la sexualité.

Parler de sexualité est facile, en apparence. Il suffit de mettre le mot sexe dans un titre pour être lu. Ce qui est d’autant plus facile lorsqu’un reportage porte sur les pratiques sexuelles de ses concitoyens – chiffres à l’appui. On le lit pour se comparer, en espérant peut-être se consoler, mais assurément par curiosité. Le sexe intéresse tout le monde. Ou presque.

Parler de sexualité de manière signifiante est moins facile que ça en a l’air. Silvia Galipeau se rappelle d’ailleurs que c’est le questionnement qui a donné naissance à sa désormais célèbre rubrique « Derrière la porte ». Avec d’autres artisans du défunt cahier Pause, dont l’auteur de ces lignes, elle pressentait que le fait de parler de sexe serait un bon filon ; il suffisait de trouver la bonne façon de le faire.

« L’idée de faire un sondage était dans l’air, mais on s’est dit : qu’est-ce que ça va apporter à nos lecteurs de savoir que les Québécois font l’amour en moyenne deux fois par semaine dans la position du missionnaire ? », raconte-t-elle. La vraie frontière à franchir était celle de la porte de la chambre à coucher, là où se vit l’intimité. L’idée s’est imposée d’elle-même : inviter des gens à se confier, sans filtre, au sujet de leur vie sexuelle. Qu’elle soit sulfureuse, juste coquine ou même ennuyeuse.

Ces personnes qui se confient à Silvia racontent en effet leurs échecs comme leurs bons coups, leurs pannes sèches comme leurs belles folies.

On ne raconte pas une seule expérience, j’essaie de replacer ça dans un parcours de vie et c’est là que ça devient plus intéressant. C’est là que ça prend son sens.

Silvia Galipeau

Il y a des gens qui, après presque huit ans, reprochent à la journaliste de ne parler que de « fesses ». Ce n’est pas tout à fait vrai : les vies sexuelles racontées par Silvia ne sont jamais désincarnées. Jamais réduites à des parties de jambes en l’air. Son approche est enthousiaste (c’est une grande rieuse), mais sensible et réfléchie.

« Est-ce que c’est du voyeurisme ? se demande-t-elle avant même qu’on lui pose la question. Je pense que c’est du sain voyeurisme. Je pense que c’est de l’éducation. Ça déstigmatise plein de pratiques comme l’échangisme et le BDSM, analyse-t-elle. On a tellement une vision normée de ce que doit être la sexualité que c’est une espèce de contrepoids à ce qu’on pense devoir être. »

Des mots pour tout dire

Constituer un recueil à partir des centaines d’histoires intimes qu’elle a racontées au fil des ans a été un processus fastidieux, reconnaît Silvia. Elle a opté pour des thèmes généraux : les couples heureux au lit, les manières pour sortir de la routine, les relations à géométrie variable, le travail du sexe, le célibat et la séduction, l’identité et l’orientation sexuelle, la quête de l’orgasme et les abus. « J’aurais préféré ne pas avoir à le faire, mais je ne pouvais pas passer à côté des agressions. Ça s’imposait, dit-elle, comme parler du travail du sexe s’imposait, parce que ça existe. »

Ce qui donne un sens à sa rubrique, selon elle, c’est justement ça : elle ratisse large. Sans porter de jugement. « Je ne me censure pas, mais je trace une ligne, précise-t-elle. Parfois, les gens sont très crus dans leurs descriptions et je ne raconte pas tout. Je ne trouve pas pertinent de détailler les positions, par exemple. Je me garde une pudeur, j’y vais plus avec l’émotion. »

S’il n’était pas facile de dénicher des gens prêts à se raconter lorsque la rubrique a été lancée, les propositions arrivent maintenant directement dans sa boîte de courriel. Certains veulent contribuer à « éduquer » les autres (sur des pratiques comme le polyamour ou ce que c’est d’être non-binaire, par exemple), d’autres cherchent à se libérer d’un secret.

« Je ne compte plus le nombre de fois où les gens m’ont dit : je n’ai jamais raconté ça à personne. La semaine dernière, la personne que j’ai rencontrée m’a même dit qu’elle avait caché ce qu’elle m’a raconté à son psy ! s’étonne-t-elle. Je pense que ça leur fait du bien de se raconter. Et que ça fait du bien aux gens de les lire. »

En librairie le 4 mai

Derrière la porte

Derrière la porte

Les éditions La Presse

259 pages