Qu’est-ce que le queer ? Comment le vit-on ? Le ressent-on ? Y avez-vous déjà pensé ? Onze plumes se racontent, dans une invitation à l’ouverture, l’inclusion et la fluidité. Un texte intime, mais aussi, et pardonnez le cliché, terriblement politique.

11 brefs essais queers, collectif publié ces jours-ci chez Somme toute, rassemble pour la plupart des noms inconnus du grand public. À part Gabrielle Boulianne-Tremblay ou Laura Doyle Péan, vous ne reconnaîtrez pas beaucoup de signatures ici. Il faut dire que plusieurs ont opté pour un pseudonyme (dont dog food, oui, c’est son nom), un choix qui prend tout son sens à la lecture de ces quelque 150 pages de textes, tantôt sous la forme du récit, tantôt de la poésie, durs et bouleversants à la fois, assurément déstabilisants, lesquels lèvent le voile sur une réalité méconnue. Mal connue.

À noter, et c’est ce qui fait entre autres toute l’originalité de l’œuvre (outre son propos, il va sans dire), que les textes sont souvent volontairement déconstruits. La langue bousculée. Remaniée. Inventée (juste assez, mais pas trop). Pour désorienter le lecteur, comprend-on, à l’instar du vécu ô combien désorientant rapporté : ce sentiment « vertigineux d’être continuellement à la recherche de soi », comme le résume la directrice du collectif, Marie-Ève Kingsley, dans un texte senti aux airs de manifeste.

Parce qu’être queer, c’est un peu ça, résume-t-elle en entrevue, rencontrée plus tôt cette semaine. « Une posture, dit-elle, ou un rapport au monde différent. Et si on ne le montre pas, les gens ne peuvent pas comprendre la portée de ce rapport au monde. »

Car qui dit queer dit différent, autre, mais par rapport à quoi, au juste ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Marie-Ève Kingsley, autrice et directrice du collectif 11 brefs essais queers

La société est organisée en orientations sexuelles. On a normé des manières de vivre. Alors quand on est hors de ces normes, notre rapport au monde est autre.

Marie-Ève Kingsley, directrice du collectif 11 brefs essais queers

C’est par exemple qu’avec une infinie sensibilité, Maël Maréchal raconte ses organes tantôt « biologiques », tantôt « mythologiques ». « Je suis une arborescence. » Plus loin, Matéo Pineault s’interroge poétiquement sur sa transition : « Il me contamine ou elle me fuit ? » Qu’importe, « je deviens moi ». « Je flotte juste au-dessus de mon corps, en apnée. » Sur la question du prénom, Zed Cézard confie à son tour : « je m’appelle enfin comme je suis » en racontant ce « miracle de m’enfanter ». Imaginez le vivre. « J’ai pleuré de bonheur à m’arracher les tripes. »

« Libération queer »

Si les textes ne se privent pas pour dénoncer l’hétéronormativité ambiante, le collectif ne se veut pas non plus une attaque en règle contre tous les hétéros cisgenres de ce monde (malgré quelques flèches dirigées contre la « suprématie blanche patriarcale cis capitaliste néolibérale hétéronormative », c’était à prévoir). « On n’est pas contre les cis ou les hétéros, reprend Marie-Ève Kingsley, mais on est contre le fait que ce soit une norme et la seule façon de vivre. »

La préface, signée Anne Archet (pseudonyme d’une autrice bien connue dans le milieu queer en tant qu’anarchiste), donne d’ailleurs le ton, voire la mission, à l’ouvrage. Dès la toute première phrase : « Le monde dans lequel nous vivons fait de dominations hiérarchiques multiples […] est abject », écrit-elle. En gros, et permettez qu’on résume : si avenir il y a, « cet avenir ne peut qu’être queer ».

Audacieux ? Assurément. L’autrice, à la plume engagée dont on n’a assurément pas fini d’entendre parler, explique : les catégories étanches qu’on s’est socialement construites nous « aliènent », écrit-elle. Tous, collectivement, hétéros comme les autres, nous sommes brimés par cette « rigidité des rôles de genre et de mœurs sexuelles ». Solution ? « La morale de cette histoire n’est pas seulement que l’hétérosexualité doit être détruite, mais aussi que la libération queer est pour tout le monde. » Une invitation à l’action, dans l’inclusion.

11 brefs essais queers

11 brefs essais queers

Éditions Somme toute

146 p.