Pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à « bien en dessous de 2 °C », chaque habitant de la Terre ne devrait pas émettre plus de 2 tonnes éq. COpar année. Comment y arriver ? Un atelier immersif offert depuis peu au Québec permet de déterminer les actions à accomplir et de réaliser que pour les Canadiens, le défi est titanesque.

Dans la salle, l’étonnement est grand. Avant de se présenter à la coopérative de solidarité TLM-Un Tiers Lieu à Montréal, dans le Plateau Mont-Royal, mardi soir dernier, la dizaine de participantes – des femmes en grande majorité – ont calculé leur empreinte carbone à l’aide d’un modèle élaboré par l’entreprise d’économie sociale française 2tonnes, derrière cet atelier maintenant offert dans une trentaine de pays.

La moyenne annuelle d’émissions de gaz à effet de serre des participantes présentes se situe autour de 14 tonnes éq. CO2, ce qui est légèrement en deçà de la moyenne canadienne (15 à 20 tonnes selon les méthodes de calcul). L’empreinte la plus faible avoisine les 10 tonnes ; la plus élevée l’est deux fois plus.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Chaque participant se voit remettre une fiche montrant le détail de son empreinte carbone.

Flexitariennes, sans voiture, adeptes du bio, nombre d’entre elles estiment en faire déjà beaucoup pour réduire leur empreinte et trouvent leur résultat un brin décourageant.

Défi colossal

En fait, l’objectif de l’atelier est aussi simple que le défi est colossal. Au moyen d’un jeu interactif, qui se décline en huit tours, répartis dans une séquence de temps fictive allant de 2023 à 2050, les participants doivent abaisser leur empreinte carbone à 2 tonnes en choisissant parmi une sélection de cartes d’action (en anglais pour l’instant, le principal point faible de l’atelier).

On alterne entre l’individuel et le collectif et entre les thématiques : alimentation, énergie, transport, consommation, etc. Il y a aussi des cartes basées sur l’influence et la mobilisation, dont le rôle ne doit pas être sous-estimé.

Le modèle, construit à partir de données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque mondiale, tient compte de l’empreinte carbone des services collectifs tels que les hôpitaux, les écoles et les routes. Au Canada, celle-ci est estimée à 5 tonnes éq. CO2 par habitant par année. On démarre donc l’exercice avec un grand déficit.

J’ai beau faire des gestes individuels, ce 5 tonnes est incompressible. Ça m’a surprise.

Geneviève Fournier-Goulet, professeure de littérature au cégep

La force d’un groupe

Pour agir sur cette donnée, il faudra adopter des mesures collectives. Réunis autour d’une table, les participants se prêtent à des simulations en étant notamment parachutés dans une assemblée de la COP27 où chaque pays doit défendre ses intérêts.

Le jeu se joue à l’aveugle. L’animateur de l’atelier, Théo Chevalier, ne dévoile qu’à la fin de chaque tour les gestes qui ont le plus d’impact et les effets que nos décisions ont sur nos courbes personnelles.

Pour l’instant, ces ordres de grandeur sont élaborés à partir de données françaises – la situation pourrait être différente pour le Québec, notamment en raison du mix énergétique. Le modèle n’est pas parfait, convient l’animateur, mais il fait l’objet d’une constante amélioration.

Parmi les actions individuelles qui ont le plus d’impact, notons l’adoption d’un régime flexitarien, voire l’exclusion de la viande rouge, l’utilisation du transport en commun, les gains énergétiques résidentiels et la diminution des voyages en avion.

Moins prendre l’avion est une décision crève-cœur pour bon nombre de participantes qui ont de la famille outre-mer. Or, un vol aller-retour Montréal-Paris en classe économique entraîne l’émission de 1,9 tonne éq. CO2. Lors du premier tour, peu sont prêtes à réduire leurs déplacements. Mais, au fur et à mesure que la fenêtre de temps pour agir se rétrécit, la pression se fait plus forte. En 2050, beaucoup sélectionnent à contrecœur la carte « Arrêter de voler ».

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

L’atelier 2tonnes permet aux citoyens de se familiariser avec le concept d’empreinte carbone et d’établir les actions à accomplir pour la diminuer. Au centre, deux des participants, Geneviève Fournier-Goulet et Alexandre St-Pierre.

Au chapitre collectif, le groupe adopte des mesures pour préserver des aires naturelles, mettre en place des pratiques agricoles plus durables, taxer les voitures thermiques, décarboner la production d’énergie et, en 2050, imposer un quota d’émissions carbone aux citoyens.

Malgré toutes ces actions pour le moins radicales, nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif de 2 tonnes. La moyenne de l’ensemble des participants est de 4,33 tonnes éq. CO2. Cependant, grâce à l’impact des mesures collectives, la moyenne mondiale a été abaissée à 2,47 tonnes éq. CO2.

« Avec les choix que vous avez faits, vous avez réussi à mobiliser 100 % de la population, nous félicite Théo Chevalier. S’il y a plus de gens qui sont sensibilisés et qui veulent passer à l’action, ça va changer plus facilement les politiques et les industries. »

« Réduire, c’est possible »

« La fin de l’atelier est très marquante pour moi, parce que ça donne l’impression qu’on peut faire une grande différence en éduquant », partage Geneviève Fournier-Goulet, qui songe à inviter l’atelier dans son cégep.

« Quand on voit l’impact des services publics, ça donne presque envie de faire de la politique », lance Laure Colin, qui déplore que les autorités aient tendance à balayer la nécessité d’agir dans la cour des citoyens.

Certains groupes parviennent-ils à atteindre l’objectif ? « Dans les deux, trois ateliers que j’ai faits ici, non, parce que les services communs ont tellement une part importante, répond Théo Chevalier. En France, il y en a qui y arrivent. »

Formé en ingénierie, il est l’un des premiers animateurs bénévoles à présenter l’atelier 2tonnes au Québec, un lundi soir sur deux au Tiers Lieu. Déjà animateur pour La fresque du climat, un autre atelier venu de France qui permet de comprendre les phénomènes du changement climatique, il avait envie d’offrir une approche complémentaire, plus positive.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Théo Chevalier, l’un des animateurs de l’atelier 2tonnes au Québec

Le message qu’on veut faire passer, c’est que réduire, c’est possible. Chacun peut prendre sa voie. Certains y arriveront plus tôt, mais l’objectif est le même et c’est tout à fait possible.

Théo Chevalier, l’un des animateurs de l’atelier 2tonnes au Québec

« Quand tu es aligné sur des valeurs environnementales, tu es souvent vu comme la personne extravagante qui veut juste punir les autres, observe Alexandre St-Pierre, un participant. Dans des activités comme celles-là, ce n’est pas ce qui se passe et c’est ça qui est agréable. »

L’atelier 2tonnes est offert gratuitement (contribution volontaire suggérée). Il faut s’inscrire sur la plateforme Eventbrite. Le prochain a lieu le 10 avril.

Rectificatif
Le nom de la coopérative où s’est tenu l’atelier est TLM-Un Tiers Lieu à Montréal, et non Un Tiers Lieu, comme il était indiqué dans une version précédente de l’article. Aussi, depuis la publication, 2tonnes a rendu disponible des cartes d’action en français.

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