Si vous croisez une femme pimpante vêtue d’un kimono et munie d’une bouteille de saké dans les rues de Montréal, il pourrait bien s’agir de Kuniko Fujita. Établie depuis près de 20 ans au Québec, cette sommelière de saké et professeure de japonais cultive un éventail de passions dévorantes, parmi lesquelles la gastronomie, la langue française, ainsi que le rayonnement de sa culture d’origine.

Entre deux gorgées de thé Fukamushi et de saké grand cru, servis pour nous recevoir dans sa résidence de Notre-Dame-de-Grâce, Mme Fujita, couramment surnommée « Nico », distille les souvenirs.

Pour elle, tout a commencé dans un parc bien éloigné de celui du Mont-Royal ; c’était sur les pelouses d’Arisugawa, un espace vert du quartier tokyoïte et cosmopolite de Minato. C’est là-bas, où elle jouait enfant, qu’elle a commencé à côtoyer des camarades étrangers. « J’avais une sorte d’admiration pour eux. Ils étaient moins disciplinés que les enfants japonais, mais pour moi, ils symbolisaient la liberté totale », se remémore-t-elle.

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Kuniko Fujita, ambassadrice de la culture japonaise à Montréal

À l’école, elle commence à suivre des cours de français ; elle tombe amoureuse de la musicalité de la langue et s’éprend de cette culture, avant d’accéder à l’Université de Tokyo des langues étrangères. « Les langues, c’était un moyen de vivre dans ce monde de liberté. Apprendre le français était difficile, avec beaucoup de règles et encore plus d’exceptions, mais ça valait la peine ! », assure Mme Fujita.

Ses études bouclées, une occasion en or se présente à elle, la propulsant comme attachée culturelle pour l’ambassade du Japon à Paris. Elle s’imprègne alors de la culture française... tout en explorant la sienne. « Ça paraît contradictoire, mais je découvrais mon pays natal et la beauté de sa culture traditionnelle après l’avoir quitté. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à découvrir les vins et le saké », raconte-t-elle.

Son parcours continua de se dérouler au fil de la francophonie. Elle s’envole pour le Maroc, puis pour le Sénégal. Sa future escale : Montréal. Une fois arrivée dans la métropole québécoise, la Japonaise voyageuse, qui aimait habituellement changer d’air et d’horizons après deux ou trois ans, y trouve un lieu idéal pour élever sa fille et poursuivre son propre cheminement, infiltrant l’univers gastronomique local et décrochant son diplôme de sommelière de saké — lequel trône dignement dans sa salle à manger.

  • Son diplôme officiel de sommelière de saké

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    Son diplôme officiel de sommelière de saké

  • Kuniko Fujita, paradoxalement, s’est d’abord intéressée aux vins avant de revenir aux sources et développer ses connaissances sur le saké.

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    Kuniko Fujita, paradoxalement, s’est d’abord intéressée aux vins avant de revenir aux sources et développer ses connaissances sur le saké.

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Soif de curiosité

Au sein de la mosaïque de la diversité montréalaise, elle ménage sa place de porte-étendard de l’archipel.

Le mélange des cultures, c’est un des charmes de Montréal. Si on prend une photo des gens qui traversent la rue, la diversité des couleurs est fascinante. Elle m’évoque celle que je voyais au parc Arisugawa à Tokyo. Et je suis très fière d’y participer.

Kuniko Fujita

Professeure — elle enseigne la langue, l’histoire et la littérature nipponnes dans une école montréalaise –, conférencière et spécialiste des spiritueux, celle qui est aujourd’hui surnommée « Madame Saké au Québec » ne rate jamais une occasion de faire découvrir les trésors des traditions japonaises, invitée à l’occasion dans des émissions télévisées. Même sortie du circuit de la diplomatie, elle continue d’assurer son rôle d’ambassadrice, brodant souvent autour de la fibre gastronomique. « Je suis plus à l’aise hors de la diplomatie officielle, car je peux communiquer directement avec les Québécois, voir leur curiosité et leur intérêt pour ce que je leur présente », se réjouit Mme Fujita.

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Mme Fujita ne porte pas le kimono par folklore, mais par authenticité.

Une curiosité souvent hameçonnée quand elle revêt ses tenues traditionnelles. « J’ai l’habitude de me déplacer en kimono en ville ! », dit-elle en riant. Mais ne vous y trompez pas, cela n’a rien de folklorique, sa démarche étant soutenue par une véritable philosophie. « Ce n’est pas pour paraître plus japonaise, c’est pour montrer plus authentiquement ce monde. Mettre un kimono, c’est un passage, c’est cérémonial. La préparation se veut une sorte de méditation. La préparation en général est d’ailleurs très importante dans la culture japonaise : elle ne vise pas la réussite, mais à passer du temps avec soi-même », explique-t-elle. Sa penderie recèle ainsi une trentaine de kimonos, minutieusement choisis en fonction d’un thème ou d’une humeur.

L’amour du français

D’une île à l’autre, la sommelière s’épanouit désormais dans le paysage montréalais, où elle apprécie l’équilibre entre l’urbanité et la nature, ainsi que le caractère décontracté de ses résidants (« sauf quand ils conduisent ! », dit-elle en riant). « On trouve trois éléments importants dans la culture japonaise : le respect, la joie, le partage, et on cherche l’harmonie entre eux. À Montréal, c’est un peu ça », estime celle qui aime les rues paisibles de Notre-Dame-de-Grâce, où le voisinage l’interpelle à l’occasion quand il l’a aperçue à la télévision la veille.

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Kuniko Fujita

C’est aussi un jardin idéal pour cultiver son idylle avec la langue française, qui n’a jamais fané — elle l’écrit par ailleurs impeccablement, esquivant ses innombrables pièges. « Mon attachement pour la langue française est immense. J’ai deux amours : le français et le japonais, et j’ai commencé à enseigner le second après être tombée amoureuse du premier », confesse-t-elle.

Entre restaurants et dégustations de sakés, entre festivals et découvertes, Kuniko Fujita espère que la soif de curiosité québécoise sera toujours au rendez-vous pour faire battre le cœur culturel nippon, et peut-être l’amener sur d’autres paliers. « Ici, il n’y a pas de centre culturel japonais comme le Goethe Institut... Un jour, j’essayerai d’en fonder un ! », promet-elle.

Les bons plans montréalo-japonais de Mme Saké

  • Le restaurant Fleurs & Cadeaux

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

    Le restaurant Fleurs & Cadeaux

  • Un plat de Fleurs & Cadeaux

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

    Un plat de Fleurs & Cadeaux

  • Otto Bistro, à l’ambiance izakaya

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Otto Bistro, à l’ambiance izakaya

  • Un des délices d’Otto Bistro

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Un des délices d’Otto Bistro

  • Le restaurant Jun-i, très réputé

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

    Le restaurant Jun-i, très réputé

  • Un plat de Jun-i

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Un plat de Jun-i

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Une pâtisserie : TM, tout juste ouverte par la cheffe Tomomi Murakami rue Ontario, qui propose de délicieuses confections modernes aux accents nippons.

Une boutique de kimonos : Kimonos Vintage, rue Bienville, sur le Plateau.

Un fleuriste : Kyoto Fleurs, avenue du Mont-Royal, où se vendent aussi des objets artisanaux traditionnels.

Du koji : ce ferment utilisé pour cuisiner, obtenir du miso ou du saké peut être trouvé chez Koji Soupe (aussi appelé brasserie San-Ô), rue Jean-Talon, près de l’avenue Victoria.

Un resto : pour une cuisine raffinée avec ambiance bistro : Bistro Otto, avenue du Mont-Royal. Pour une atmosphère izakaya : Fleurs et cadeaux dans le Quartier chinois. Pour célébrer un évènement : Jun-i.