Ces jours-ci, le photographe François Brunelle est très occupé à répondre aux incessants appels et courriels en provenance de médias de partout sur la planète. Et pour cause : la remarquable durée de son travail des deux dernières décennies aura permis d’enrichir la connaissance dans le domaine émergent de l’épigénétique. Et La Presse a eu son petit rôle à jouer dans cette histoire…

En 2004, François Brunelle a accordé à La Presse une entrevue au sujet du nouveau projet qui l’habitait. Ce photographe pigiste était alors investi de l’amusante mission de photographier des sosies : des gens qui ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam, mais partageaient néanmoins des similarités physiques indéniables. À l’époque, son objectif était de tout simplement faire de belles photos, qui seraient peut-être répertoriées dans une sorte de livre de « table à café ». Mais le destin avait d’autres projets pour lui…

Le jour de notre entretien, il recevait alors dans son studio du Vieux-Montréal le météorologue Pascal Yiacouvakis et Jean-Marc Pilon, un conseiller pédagogique. Les deux hommes avaient accepté de se joindre à la collection photographique de doppelgängers de François Brunelle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

François Brunelle, au premier plan, avec le météorologue Pascal Yiacouvakis et son sosie Jean-Marc Pilon, en 2004

Dix-huit ans plus tard, François Brunelle a photographié plus de 250 sosies dans 30 villes de la planète. Son projet a fait l’objet d’un documentaire et de plusieurs expositions. Et voilà que son travail d’artiste prend une tournure scientifique avec les travaux du DManel Esteller, chercheur espagnol qui s’intéresse à l’ADN, qui ont pu prendre forme grâce à son répertoire visuel de sosies.

« L’article de La Presse a donné une bonne vague au projet. À partir de ce moment, nous avons reçu plusieurs mails de gens qui voulaient nous diriger vers des sosies. »

Repéreur de sosies

Dans une étude publiée à la fin du mois d’août dans le journal scientifique Cell Reports, le DManel Esteller a révélé les constats de son étude qui a mis la reconnaissance faciale à contribution, pour comparer les similarités de l’ADN d’un groupe de jumeaux avec celui des doppelgängers photographiés par François Brunelle.

Le résultat de cette analyse est déconcertant : le chercheur a démontré que les 16 sosies avaient davantage de gênes similaires que les jumeaux… Là où les doppelgängers de « sang » se ressemblaient davantage, c’était au niveau de l’épigénome et du microbiome.

« Le facteur génétique les rassemble, mais l’épigénétique et le microbiome les distinguent », a écrit Manel Esteller.

C’est à Madrid que François Brunelle a d’abord fait la connaissance du Dr Esteller. Malgré le fait qu’il ait émis quelques doutes au départ, parce qu’il tenait avant tout à respecter la vie privée de ses sujets, le photographe a décidé de faire confiance à ce chercheur qui est une « superstar de la science ».

Sur le chemin des miroirs

En jasant avec François Brunelle, on a l’impression d’entendre le récit ludique d’un artiste au cœur d’enfant. Il est le premier surpris par la trajectoire qu’a prise cette chasse aux sosies qui a commencé par une réelle fascination pour ces êtres qui se ressemblent, sans toutefois être liés par le sang. Lui-même s’est fait comparer à Rowan Atkinson, alias Mister Bean, même s’il aurait préféré avoir les traits de James Dean.

De fil en aiguille, son travail a été vu par les bonnes personnes : une journaliste spécialiste de techno à Los Angeles, des jeunes loups de la pub catalans, le journaliste new-yorkais David Levine… Une trajectoire qui a fait rebondir le projet de Los Angeles à Bogotá en passant par Berlin et Toronto.

Il a photographié toutes sortes de gens, conservant toujours la même esthétique noir et blanc épurée. Ses sujets nous regardent toujours dans les yeux, avec une intensité touchante et énigmatique.

La diversité des corps et des genres nous parle d’acceptation, de rencontres humaines, d’inclusion, voire de réconciliation. L’aspect éphémère de l’entreprise ajoute aussi une couche de complexité au projet.

« Les deux gars de la photo utilisés en une du New York Times, par exemple, ne se ressemblent plus du tout aujourd’hui, parce que l’un est resté le même et l’autre a pris du poids », souligne le photographe.

« Je ne fais pas de la photo pour les concours, mais plutôt pour me plaire et satisfaire ma passion », affirme celui qui aspire à une exposition où ses photos seraient déployées avec amplitude.

Sa prochaine ambition de photographe de doppelgängers ? Jumeler un duo israélien et palestinien, un projet qui pourrait être rendu possible grâce au concours d’un duo de Toronto ayant manifesté sa volonté de se prêter au jeu.

« L’intérêt de mes photos est de montrer la paix et l’impression que mes sujets sont bien comment ils sont, heureux dans leur peau. Je pense que cela aide les gens à s’intéresser à des images positives. C’est rassurant de rencontrer de l’harmonie, dans un monde aussi chaotique que le nôtre. »

Consultez le site de François Brunelle