Les « pouceux » sont de moins en moins nombreux sur les routes. Pourtant, c’est un excellent moyen de diminuer le nombre de voitures en circulation et une belle façon de faire des rencontres fortuites et humaines. Portrait de gens qui ont voyagé sur le pouce hier… et aujourd’hui.

Une carrière grâce au pouce

« J’en ai fait en sacrifice, du pouce ! lance Mario Corneau. Il y a des jeunes qui ne savent même pas que ça existe. »

L’homme de 66 ans doit même sa carrière en minéralogie à l’autostop. « À ramasser des cailloux sur le pouce, j’ai fini par donner des ateliers en sciences sans avoir terminé mes études. C’est formidable, quand tu y penses. »

Né à Jonquière, Mario Corneau a eu l’appel du large dès l’adolescence. « Je suis parti jeune de chez mes parents, raconte-t-il. J’avais 15 ans. J’ai pris l’autobus pour Montréal. »

PHOTO FOURNIE PAR MARIO CORNEAU

Mario Corneau

À son arrivée dans la métropole, il a eu le vertige. Tellement qu’il n’a pas quitté le terminus. Quand il a vu « Granby » sur un autocar, il a demandé à un employé si la ville était à peu près grande comme Chicoutimi, puis la réponse l’a convaincu de poursuivre sa route sur l’autoroute 10.

Lors du trajet, Mario a fait la rencontre d’un homme qui allait travailler pour l’entreprise Poultry Processing de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville. Mario y a aussi été engagé.

De l’âge de 15 à 20 ans, je n’avais pas de voiture et j’ai fait beaucoup de pouce. C’était normal. Sur les rues, il y avait des gens qui faisaient du pouce partout.

Mario Corneau

Ensuite, Mario Corneau a parcouru pratiquement tout le Québec en levant le pouce en l’air en marge des routes. De la Gaspésie à Sept-Îles en passant par La Tuque et le Lac-Saint-Jean. « Échanger, rencontrer des gens nouveaux, j’aimais ça. Mais surtout l’imprévu. »

L’une de ses rencontres les plus mémorables ? « Avec un curé. J’avais bien aimé jaser philosophie avec lui. Je me souviens aussi d’avoir été embarqué dans une Corvette. »

FONDS D’ARCHIVES DU SERVICE DES COMMUNICATIONS DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Des étudiants de l’Université de Sherbrooke font de l’autostop en 1970.

Un jour, Mario a remarqué que chaque ville avait à peu près la même boutique de souvenirs « avec les mêmes bébelles ». Seuls les noms des villes étaient changés. « Je me suis mis à ramasser des roches sur lesquelles j’écrivais avec un crayon de feutre les noms des villes d’où elles venaient. »

Entre-temps, il a mis la main sur un livre intitulé Roches et minéraux. « Cela m’a donné la piqûre. Cela a complètement changé ma vie. »

C’est ainsi que l’intérêt de Mario Corneau pour la minéralogie s’est développé, et qu’il en a fait une carrière. Il s’est mis à visiter des mines. « J’avais 2700 minéraux juste dans mon salon », raconte-t-il.

En 2002, il a même légué une partie de sa collection à l’Université du Québec à Chicoutimi, où est né Le petit musée minéralogique de l’UQAC.

Visitez le site du Petit musée minéralogique de l’UQAC

Ensuite, Mario Corneau a présidé différents clubs de minéralogie et il a travaillé pour le musée Minéro de Thetford Mines. Il donne encore des ateliers dans des écoles à l’occasion. D’anciens élèves lui ont par ailleurs écrit pour lui dire qu’ils étaient devenus géologues, dont une jeune femme qui lui a permis d’aller visiter une mine de Schefferville.

« Tout cela parce que j’ai commencé à ramasser des cailloux sur le pouce », répète-t-il.

Mario Corneau, qui a aussi embarqué beaucoup de gens en autostop comme conducteur, se désole que cette pratique n’existe pratiquement plus au Québec. « L’autostop, c’est de la générosité et des échanges », fait-il valoir.

C’est aussi beaucoup d’inconnu, une dimension qui fait de moins en moins partie de nos vies.

Traverser le Canada en autostop

PHOTO FOURNIE PAR JIMMY CHABOT

Jimmy Chabot

Jimmy Chabot a fait la traversée du Canada en autostop en 2018… sans argent ni téléphone. Et avec des conducteurs francophones dans la mesure du possible ! « Je suis parti de Drummondville jusqu’à l’océan Arctique et je suis revenu », raconte-t-il.

Son but ? « Témoigner de la présence de francophones d’un océan à l’autre. »

À l’époque, Jimmy Chabot était youtubeur. Avant ce périple, il n’avait fait de l’autostop qu’une seule fois en France.

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« Je voulais aller vivre chez l’habitant et aller à la rencontre de l’autre », relate-t-il.

Jimmy Chabot est parti le 1er juillet 2018 et il est revenu le 11 septembre à Drummondville grâce à un camionneur de Taiwan.

Au total, 128 personnes l’ont embarqué à bord de leur voiture ou de leur camion, dont environ 20 % de femmes. Il a parcouru 16 400 kilomètres et il a attendu qu’on l’embarque pendant 74 heures.

« Je suis parti de Drummondville en pleine canicule et je ne savais pas du tout comment faire du pouce, raconte-t-il. Je suis parti vers Wickham, un petit village. Des gens avaient entendu parler de mon projet et m’avaient donné des 20 $ […] J’ai fini par me rendre à Bromont. »

Jimmy Chabot avait certaines connaissances un peu partout au pays chez qui il pouvait dormir ou qui pouvaient lui refiler des contacts.

« Un camionneur est devenu un peu le père de la traversée. C’est mon bon samaritain. Il s’appelle François Lessard. »

PHOTO FOURNIE PAR JIMMY CHABOT

François Lessard et Jimmy Chabot

Il a conduit Jimmy Chabot de Kapuskasing (dans le nord de l’Ontario) jusqu’à Thunder Bay. « Sur son CB, il a callé : on est à la recherche d’un francophone pour conduire mon ami jusqu’à Winnipeg. »

Puis Jimmy Chabot a repris la route avec François Lessard, qui faisait le trajet de Winnipeg à l’Alaska. « Il m’a débarqué à Whitehorse, au Yukon. C’est mon superhéros. »

Il garde par ailleurs encore contact avec lui.

PHOTO FOURNIE PAR JIMMY CHABOT

Parti de Drummondville, Jimmy Chabot a atteint l’océan Arctique.

« Des gestes de bonté »

Jimmy Chabot a eu une seule mauvaise expérience avec quelqu’un qui lui parlait de choses sexuelles malaisantes. Mais il se souvient surtout de « rencontres humaines » et de gens qui lui ont raconté des pans de leur vie comme s’il était un confident ou un psychologue. « Nous sommes un peu invisibles aujourd’hui avec nos téléphones cellulaires, mais c’est important de connecter avec d’autres personnes », fait-il valoir.

Certaines personnes qui l’ont embarqué font même toujours partie de sa vie. « Je parle d’eux comme de ma garde rapprochée. »

À des endroits comme l’autoroute en gravier Dempster, près de Dawson City, une voiture passe toutes les 90 minutes.

Des gens qui allaient en direction opposée se sont arrêtés pour remplir ma bouteille d’eau. Je les ai tous vus, les gestes de bonté !

Jimmy Chabot

Il se souvient d’une famille de l’Alaska qui lui a offert de dormir dans sa voiture alors qu’elle dormait dans une tente. Plusieurs gestes de ce genre ont été faits. « Des gens sont contents de rouler 100 km plus loin que prévu et faire demi-tour, ajoute-t-il. C’est vraiment beau, je trouve. »

Jimmy Chabot travaille aujourd’hui comme journaliste dans le nord de l’Ontario. Son grand intérêt pour la francophonie est né à ses débuts dans le métier quand tout le monde lui disait « d’aller se péter la gueule en région ». « J’ai commencé ma carrière à Kapuskasing et j’ai fait de la radio à Winnipeg. »

Il a vu à quel point des gens avaient à cœur le français partout au pays.

Des trucs

Le papa d’une petite fille de 6 mois ne voyage pas en autostop actuellement, mais il a tout de même des conseils à donner. Ne pas être trop pressé dans le temps pour demeurer ouvert aux possibilités et aux belles rencontres. « La première impression compte énormément, ajoute-t-il. On a à peu près cinq secondes pour convaincre la personne de s’arrêter. » Aussi : pas de téléphone dans les mains ni de cigarette. Avoir « les yeux du Chat Potté » dans le film Shrek. Mais surtout : « Sur le pouce, il faut être prêt à embarquer. Embarquer, ça veut dire écouter la personne. »

Des Alpes au Chili

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-CHLOÉ DUVAL

Marie-Chloé Duval

« Ma mère m’avait raconté comment dans le temps, dans le Bas-du-Fleuve, elle faisait la route entre Saint-Pascal et Rimouski sur le pouce. Et je me souviens, jeune, qu’au camping du parc national de la Jacques-Cartier, on avait embarqué des jeunes qui avaient fait du kayak et je trouvais ça tellement cool », se souvient Marie-Chloé Duval.

La peintre — qui vit à Montréal et qui est originaire de Saint-Pascal, à Kamouraska — en a fait, du pouce. Surtout à l’étranger.

Sa toute première fois était dans les Alpes. « J’ai traversé la frontière entre la France et la Suisse. »

Après un baccalauréat et une maîtrise en criminologie, elle a pris une pause pour se consacrer pleinement à son art, mais aussi pour parcourir l’Argentine et le Chili en autostop. « J’ai descendu jusqu’en Patagonie. »

« J’ai rencontré plein de monde et pris pas mal tous les moyens de transport que l’on peut imaginer », lance Marie-Chloé Duval.

Au Chili, elle voyageait avec d’autres quand un couple qui les a embarqués leur a offert de dormir à la maison.

Au Maroc, elle et ses compagnons ont eu la frousse quand l’homme qui les conduisait a arrêté subitement sa voiture et qu’un autre véhicule s’est garé derrière. L’homme lui a dit : « Mon ami va à Marrakech. » « J’ai eu peur, mais c’était juste deux personnes qui voulaient aider du monde. »

Au Québec, Marie-Chloé Duval a aussi souvent fait du covoiturage de Montréal à Saint-Pascal. Son père en faisait avec des collègues quand elle était petite. Elle croit beaucoup à ce qu’on appelle l’économie de partage.

Tant qu’à faire la route, pourquoi ne pas la partager ?

Marie-Chloé Duval

Marie-Chloé Duval a fait beaucoup de couchsurfing — comme hôte et comme invitée — et elle a été membre de la communauté Warmshowers qui permet à des cyclotouristes de prendre des douches chaudes. « Si je peux aider quelqu’un dans mon appart, pourquoi pas ? »

« Pourquoi chaque maison a sa propre tondeuse ? J’ai toujours trouvé étrange cette façon de fonctionner. »

Elle cite en exemple le groupe Facebook Le comité social qui permet aux gens de Kamouraska de s’échanger des services. « Il m’est arrivé souvent de demander à des gens de transporter des œuvres à Montréal. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Marie-Chloé Duval dans son atelier du quartier Ahuntsic à Montréal

Elle se désole de ne plus voir de gens faire du pouce. Dangereux ? « Il y a du danger partout, répond-elle. J’ai du jugement et je m’écoute. Si je ne le sens pas, je ne le fais pas. Mais je refuse de vivre dans un monde où on a peur de tout le monde, et cela m’a bien servie à date. »

« Ce sont de belles rencontres humaines », insiste-t-elle.

C’est par ailleurs au cœur de sa démarche comme peintre : comment une rencontre fortuite peut changer le cours de notre existence.

Appel aux lecteurs

Pour ceux et celles qui ont fait de l’autostop, quels sont vos plus beaux souvenirs sur le pouce ? Vos rencontres les plus mémorables ?

Écrivez-nous pour nous raconter vos souvenirs d’autostop