Isabelle Racicot et Martine St-Victor sont de retour au micro de la balado A seat at the Table, sur CBC. En pleine résurgence du mouvement Black Lives Matter, les deux femmes ont plus que jamais envie de participer à la discussion publique sur le racisme. Et elles n’ont pas peur d’aborder les vraies questions.

Dans la vie, l’animatrice Isabelle Racicot et la stratège en communications Martine St-Victor sont deux grandes amies qui se parlent au téléphone tous les jours.

Depuis l’assassinat de George Floyd, leurs échanges quotidiens étaient ponctués de longs silences. Des silences remplis de tristesse, de découragement et de colère face aux évènements qui se déroulent depuis des mois, plus particulièrement aux États-Unis, mais ici aussi.

« Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un homme noir est assassiné par la police, observe Martine St-Victor. Ni la dernière. Depuis George Floyd, il y a eu d’autres incidents qui ne se sont pas terminés par des morts. Il y a des jours où je trouve ça lourd et l’affaire Jacob [à Kenosha] m’a presque achevée. Quant à la convention républicaine, elle m’a fait peur. »

Les deux amies avaient animé une balado à la CBC en 2017. Le dernier épisode portait sur les évènements de Charlottesville et l’affaire Kaepernick. Avec la nouvelle vague de manifestations du mouvement Black Lives Matter, il est devenu évident qu’elles n’allaient pas se contenter de ventiler au téléphone.

Le témoignage de Maya Johnson, journaliste à CTV, qui a témoigné dans les réseaux sociaux de son parcours professionnel et du racisme qu’elle a subi, nous a convaincues qu’on devait profiter de la tribune qu’on avait pour poursuivre la discussion.

Isabelle Racicot, coanimatrice de la balado A seat at the Table

Un coup de fil à la CBC et l’affaire était réglée. « Ça n’a pas pris deux jours ouvrables, raconte Martine St-Victor. Ils ont tout de suite embarqué et nous ont entourées d’une équipe web et réseaux sociaux vraiment riche. On s’est senties très appuyées. »

Un contexte différent

Les deux complices reprennent donc le micro trois ans plus tard et constatent que le contexte a complètement changé. « Il y a quatre ans, quand le joueur de football Colin Kaepernick s’est agenouillé pendant l’hymne national, il n’a pas été capable de se retrouver une place au sein d’une équipe par la suite, souligne Isabelle Racicot. Nous reprenons notre balado au moment où des joueurs de plusieurs ligues sportives boycottent des matchs en pleines séries éliminatoires. »

Racicot et St-Victor proposent six épisodes durant lesquels elles abordent des sujets aussi variés que la diversité au hockey, l’engagement politique ou le racisme dans les médias. Parmi leurs invités : le joueur de hockey Anthony Duclair, l’écrivaine Roxane Gay, l’écrivaine Robyn Menard, la fondatrice de la section canadienne de Black Lives Matter, Sandy Hundson, et le chef Marcus Samuelsson, qui sera le rédacteur en chef invité du numéro de Noël du magazine culinaire Bon Appétit cette année.

« Durant la première saison, nous n’avions pas de programme, affirme Isabelle Racicot, mais cette fois, nous en avons un. » L’objectif des deux amies est clair : elles souhaitent donner une tribune à des gens qui ont réfléchi au racisme. « Nous aussi voulons apprendre », notent-elles. « On challenge nos propres positions, on se remet en question », ajoute Isabelle Racicot.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Isabelle Racicot

Ce n’est pas parce que nous sommes toutes les deux Noires que nous comprenons tout et savons tout. Nous sommes en position d’écoute, d’humilité et d’empathie.

Isabelle Racicot, coanimatrice de la balado A seat at the Table

Les deux animatrices disent aussi être en mode solutions : bien sûr, elles trouvent parfois lourd qu’on se tourne toujours vers les Noirs pour régler les problèmes de racisme et pour éduquer les autres. « Je n’ai pas le monopole de la connaissance parce que je suis Noire, lance Martine St-Victor. Les gens doivent faire leurs propres recherches. » Mais en même temps, elles sentent toutes deux une responsabilité. « Dans quelques années, on me demandera peut-être : “Qu’as-tu fait pour changer les choses et faire une place aux voix des Noirs ?” », souligne Isabelle Racicot.

Changement de ton

Pour Isabelle Racicot, 2020 pourrait bien être une année charnière. Celle qu’on a connue à MusiquePlus et à l’émission d’actualités artistiques Flash, qu’on a vue durant plusieurs années à Deux filles le matin et qu’on a écoutée à la radio commerciale a adopté un ton beaucoup plus engagé au cours des derniers mois. Dans le prologue de la balado, elle explique que depuis l’assassinat de George Floyd, elle a décidé d’en finir avec les réponses « politically correct » à ceux et celles qui lui posaient des questions sur le racisme. Plus question de s’autocensurer pour éviter que les gens se sentent mal à l’aise. Oui, elle a vécu des incidents racistes dans sa carrière, et elle n’a plus envie de faire semblant que tout va bien. En plus de coanimer A seat at the Table, Racicot a animé une table ronde sur le racisme pour le numéro de septembre du magazine Elle Québec. Elle produit également un documentaire sur le racisme qu’on pourra voir sur les ondes d’ICI Radio-Canada en novembre, un autre projet qui s’est réglé en quelques jours.

« Tout ça vient de la mère en moi qui sentait que je devais faire quelque chose, assure-t-elle. Ça me permet de m’éduquer moi aussi. »

Si les deux amies sentent que le vent a tourné, que la société semble plus ouverte à avoir des conversations un peu plus difficiles sur le racisme, elles demeurent tout de même méfiantes. « Je suis optimiste, mais il faut que les efforts ne soient pas que cosmétiques, ils doivent être accompagnés de budgets », note Martine St-Victor. « J’ai peur d’être trop optimiste, et qu’il y ait un backlash, répond pour sa part Isabelle Racicot. Dans 12 mois, on verra ceux et celles qui ont vraiment été sincères. »