C'est l'histoire d'un homme qui croyait impossible de trouver une maison de campagne dans les Cantons-de-l'Est à un prix abordable. L'histoire d'une vieille école de rang qui est passée bien près de la démolition. L'histoire d'un coup de foudre, de travaux titanesques et d'une restauration époustouflante.

Ça s'appelle un coup de foudre: il s'est écoulé moins de 24 heures entre le moment où Bruno Morin est passé devant une vieille école de rang et le dépôt d'une offre d'achat. Pas le temps d'inspecter. Cela faisait si longtemps qu'il cherchait une maison de campagne dans les environs... Et de toute façon, «aucun professionnel ne m'aurait conseillé d'acheter. C'était en bien trop mauvais état! « On pourrait penser que l'homme s'est bien fait avoir, en lisant la longue, très longue, trop longue liste de travaux qu'il y avait à faire. Trois ans plus tard, il a prouvé le contraire. Et il fait même des jaloux...

Bruno Morin a une formule-choc pour résumer l'état de la maison qu'il a achetée à Stukely-Sud en 2008: «Tout était pourri, vieux et croche.» Point à la ligne et sans exagération. Certes, il se doutait bien que cette vieille école de rang, construite en 1884, n'était pas en bon état, mais il ne pensait tout de même pas qu'elle était en SI mauvais état.

Il a fallu installer un drain français, refaire l'électricité et la tuyauterie - et ça, ça veut dire repasser un à un tous les fils électriques et les tuyaux de la maison - et redresser la structure quand on a constaté que deux murs avaient dévié de près d'une dizaine de centimètres de l'axe des fondations et que le plancher était en train de s'écrouler! Les murs étaient recouverts de couches successives de contreplaqué et de tapisseries aux couleurs plus éclatées et mal agencées les unes que les autres, le plafond avait été abaissé et le rez-de-chaussée, mal divisé en une multitude de petites pièces sombres.

Le seul remède possible, mis à part la démolition qu'auraient conseillée bien des professionnels? Tout arracher pour repartir sur des bases saines.

Fait rare, la première chose que ce nouveau propriétaire a faite après être passé chez le notaire a donc été de commander un conteneur pour y envoyer la montagne de débris qu'il comptait sortir de sa maison aux dimensions pourtant pas si imposantes. C'est dire tout ce qui devait être retiré. «Nous avons littéralement désossé la maison pour en retrouver le squelette, raconte Bruno Morin. Nous avons passé deux mois à démolir, ça a été la période la plus difficile, la plus déprimante des travaux, mais le moral a repris du mieux quand on a arrêté de sortir de la «cochonnerie» et qu'on a pu commencer à reconstruire.»

Le retour de la lumière

Après trois ans de travaux, le résultat est épatant. Le rez-de-chaussée a été entièrement laissé à aire ouverte. Disparues, les divisions qui assombrissaient inutilement la maison; la lumière est devenue la reine des lieux. Les murs et les plafonds ont retrouvé leur revêtement d'origine, en fines lattes de pin peintes d'un délicat blanc crème, dont les lignes régulières créent un style graphique plus contemporain.

M. Morin a choisi de ne pas mettre trop d'accent sur la vocation historique de l'édifice. Son rêve, c'était d'avoir un pied-à-terre à la campagne, pas nécessairement de vivre dans une vieille école. Les «traces scolaires» avaient d'ailleurs très peu résisté au passage des propriétaires successifs, et il aurait fallu courir les antiquaires pour retrouver des souvenirs d'une époque révolue. M. Morin a préféré n'y faire que quelques clins d'oeil, le plus ingénieux étant d'avoir recouvert les portes des trois placards dans l'entrée de peinture ardoise. Un enfant de 7 ans a dessiné spontanément à la craie la silhouette d'une petite école sur la porte du centre, scellée ensuite d'un coup de vernis mat. Un décorateur professionnel n'aurait pas visé plus juste.

Pour adoucir les soirées plus fraîches, un foyer a été ajouté sur le mur du fond et au-dessus duquel on a accroché l'une des deux seules toiles de la pièce, signée Lorraine Auger (lorraineauger.com) (Ogée). La plupart des luminaires vintage ont été trouvés chez Bernard Lanteigne (www.lostvintage.ca). Les décorations sont peu nombreuses; le style, monochrome. Mais les éclats de couleur sont inutiles, la nature si belle transformant chaque fenêtre en un tableau remarquable. Le côté sud de la maison donne sur le mont Orford; le côté est, sur un pâturage occupé par de jolies vaches brunes. Il n'y a nul voisin visible dans ce secteur fermier et cela ne devrait pas changer. Dans ces conditions, même si le terrain est relativement petit autour de la maison - 32 000 pieds carrés- , il paraît immense.

Le premier étage, en pignon, garde le même esprit que le premier, lui aussi en lattes fines de pin de couleur crème. L'escalier aboutit dans un petit boudoir qui se transforme rapidement en chambre d'amis, car le divan est en fait un lit double à demi encastré dans une bibliothèque basse fermant le bas de la pente du toit. Il suffit de tirer légèrement sur le matelas à roulettes et de replacer les oreillers à l'heure du coucher. Le plancher, très irrégulier, a été judicieusement habillé de peaux de vache.

La salle de bains d'origine a été déplacée à l'étage, pour plus d'intimité, mais il a fallu mettre une croix sur la baignoire, faute d'espace, et opter pour une douche en coin. La chambre principale est au sud, de belle taille, avec un petit coin pour travailler au besoin, et elle s'agrandira sous peu.

Car maintenant que le gros des travaux intérieurs est terminé - il ne reste plus que quelques finitions à faire, les cadres de fenêtres, le recouvrement du plancher du rez-de-chaussée, entre autres -, Bruno Morin caresse déjà de nouveaux projets d'améliorations. Il rêve d'ajouter au rez-de-chaussée une véranda carrée, près de la porte d'entrée principale, côté ouest, tout en fenêtres et moustiquaires. Le toit servira de terrasse, à laquelle on accédera directement depuis la chambre principale.

Les autres projets incluent l'ajout d'une petite terrasse à l'arrière et le remplacement de la porte-fenêtre par des fenêtres plus fidèles à l'architecture initiale de l'école. Une chambre d'amis indépendante vient d'être terminée, installée dans un petit cabanon dont les portes vitrées donneront sur le jardin. Puis, on s'attaquera à la toute fin au revêtement extérieur, probablement en larges planches de bois verticales, peintes en gris foncé, pour une touche supplémentaire de modernisme. «On s'inspire beaucoup des livres d'architecture, on prend beaucoup de photos des détails et des idées qu'on aime quand on voyage», note son complice Benoît Geoffroy, qui précise que les deux ont un très gros faible pour les maisons du Maine.

Une aide précieuse

Au total, les travaux atteindront presque la moitié du prix d'achat de la maison, qui a coûté moins de 100 000$. Ils auront requis des centaines d'heures et les coups de main utiles d'amis et, surtout, du frère entrepreneur de Bruno Morin. Tout cela, en continuant de travailler à temps plein à Montréal. «Ça a été beaucoup, beaucoup de boulot. Nous avons eu quelques périodes de découragement au début, mais je ne regrette rien. Je n'aurais jamais pu réaliser mon rêve autrement», dit maintenant Bruno Morin, qui est passé bien près de jeter l'éponge après plusieurs mois de recherches, convaincu qu'il n'arriverait jamais à trouver un toit à la hauteur de ses moyens financiers dans les Cantons-de-l'Est.

«Quand j'ai vu les premières photos de la maison, j'étais complètement découragé, note Benoît Geoffroy. Bruno, lui, avait eu une vision, mais j'avais peur de ne pas aimer autant que lui. Mais je me suis investi et j'aime ça autant maintenant. La maison se vit bien, elle est confortable, on y est bien partout.» Les deux hommes pourront aussi se vanter d'être devenus très, très habiles de leurs 10 doigts au fil des derniers mois. Vivre dans une vieille école leur aura finalement permis d'apprendre beaucoup!

Comme s'ils n'avaient pas déjà assez de travail avec la maison, Bruno et Benoît ont aussi mené de front l'aménagement des jardins. Ils ont planté des dizaines de variétés de plantes, d'arbres et d'arbustes depuis leur arrivée à Stukley-Sud. «L'intimité, on ne veut pas en manquer quand on est à la campagne! «, dit Benoît Geoffroy. Les anciens propriétaires ne devaient pas avoir la même vision, car ils n'avaient rien planté ou presque. C'est à peine si deux arbres matures étaient sur pied à l'arrivée de Bruno Morin et de son conjoint. La priorité a été donnée aux espèces indigènes, comme le thé du Labrador, les iris versicolores et l'argousier, au joli feuillage argenté, mais la maison repose aussi dans de charmants buissons de rosiers et de généreuses pivoines. Le terrain a été nivelé et la pente menant à la rue, adoucie. Maintenant, lorsque l'on s'assoit dans l'une des six chaises Adirondack installées autour d'un petit feu de camp, devant la maison, dans l'axe du mont Orford, c'est à peine si l'on peut distinguer la route où, d'ailleurs, il ne passe que de rares voitures. Et dire que Montréal n'est qu'à 1 h 15 de là...