L’aveu de lâcher-prise de la papesse du rangement Marie Kondo n’a pas sonné le glas du désencombrement. Comment embrasser le mouvement sans contribuer à remplir les dépotoirs d’objets qui n’allument plus en nous d’étincelle de joie ? Pistes de réflexion.

Même si, après avoir entretenu l’obsession pour le désencombrement avec ses livres et ses émissions de téléréalité sur Netflix, Marie Kondo a jeté du lest en déclarant avoir abandonné l’injonction à la perfection et vivre dans une maison en désordre.

Même si le désordre et l’accumulation tentent de prendre leur revanche, donnant même naissance au « Cluttercore », une tendance remarquée sur TikTok qui rejoint particulièrement la jeune génération, le minimalisme, avec ses nombreuses promesses de bien-être, continue de susciter l’envie chez plusieurs, alors que la fièvre du ménage du printemps se fait sentir.

En février, le défi minimaliste organisé par Marie-Sophie Berruex (Marie-So La Minimaliste) a suscité un fort engouement sur Facebook, générant des centaines de commentaires sous chacune de ses publications quotidiennes, dans lesquelles elle sensibilise ses abonnées aux effets négatifs de l’encombrement, tout en les invitant à mener une réflexion profonde sur leur consommation et son impact. Vêtements, ustensiles de cuisine, outils, jouets : au terme du mois, les participantes – la pression du rangement repose encore majoritairement sur les femmes – se sont délestées de plus de 400 objets.

Quel est l’impact de cette tendance au désencombrement sur l’environnement ? Ses effets, particulièrement sur le volume de déchets générés, sont difficiles à quantifier.

« Il n’y a pas de données scientifiques qu’on peut rattacher à ce phénomène », indique Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets. « Ça fait plusieurs années qu’on travaille là-dessus, en dilettante, mais on ne peut pas vraiment monter de dossier ultra technique. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Souvent, c’est un cheminement personnel qui va plus loin. Les gens vont se rendre compte qu’on est dans une société de surconsommation, que les objets n’apportent pas nécessairement de bonheur.

Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Une prise de conscience qui peut ainsi mener à une baisse de la consommation et, par ricochet, à la génération future de déchets.

Or, vécue autrement, cette démarche ne fera qu’alimenter le cycle de la consommation et contribuera à gonfler le volume de matières qui sont envoyées à l’enfouissement. Le mois dernier, l’ONU alertait la population sur la quantité de déchets qui ne cesse de croître dans le monde.

« Beaucoup de gens pensent qu’il n’y a pas de mal à consommer tant que l’on « donne » ce dont on ne veut plus », déclarait à CBC en 2022 Myra J. Hird, professeure en études environnementales à l’Université Queen’s et autrice du livre Canada’s Waste Flows. Or, ajoutait-elle, « la réalité est que la plupart des produits dont nous nous débarrassons au Canada vont au dépotoir ».

Consultez l’article de la CBC (en anglais)

Pour Karel Ménard, la situation est plus complexe. « Ça demande un certain effort personnel de se séparer de biens avec lesquels on a été en contact pendant des années et avec lesquels on a vécu certaines expériences », indique celui qui confie encore posséder le manteau de cuir acheté avec sa première paie. « Les gens vont s’assurer qu’ils aient une deuxième vie. Certains peuvent dire qu’on fait juste déplacer un déchet en le donnant à quelqu’un d’autre pour qu’il le gère, mais l’idée, c’est d’y donner une suite en ne remplaçant pas ce bien-là. Donc par attrition, il y aura certainement de moins en moins de matières et de biens en circulation. »

Il convient néanmoins que certains biens de peu de valeur devront être jetés. Surtout, donner ces objets à des organismes de bienfaisance ne leur garantit pas une nouvelle vie, puisque la plupart sont ensevelis sous les dons, particulièrement les vêtements. « Éventuellement, ce qu’on donne pourrait se retrouver aux poubelles, mais c’est peut-être moins grave que de le mettre nous-mêmes dans les poubelles », pense-t-il.

Éviter les pièges

Pour Hélène Boissonneault ainsi que pour plusieurs autres spécialistes en désencombrement qui orientent leur approche vers le minimalisme, il est impératif qu’une telle démarche s’accompagne d’une réflexion profonde, à long terme.

« On a beau désencombrer, si on se réencombre, ça va être une roue qui tourne », observe Mme Boissonneault, cofondatrice d’Effet PH, une entreprise qui propose des formations et des conférences sur le désencombrement et autres sujets en lien avec le minimalisme. Lors de ses formations, elle aborde les pièges qui peuvent mener à une hausse de la consommation.

PHOTO FOURNIE PAR ELISE MARTINEAU

Hélène Boissonneault, cofondatrice d’Effet PH

Beaucoup de gens vont faire ce que j’appelle le « un-un », c’est-à-dire que s’il y a une chose qui sort, il y a une chose qui peut rentrer. Le vide n’est pas naturel chez l’humain. Il est là, le piège. Il faut accepter ce vide.

Hélène Boissonneault, cofondatrice, Effet PH

Un autre piège, selon celle qui a suivi une formation en psychologie et en changement de comportement, est de confondre organisation et désencombrement. « En organisant, on va bien sûr être mieux dans notre maison parce qu’on va trouver les choses plus facilement, mais pour organiser, les gens vont souvent consommer des produits (comme des accessoires et des meubles de rangement). »

De plus en plus d’espace

À ses yeux, conserver des objets superflus n’aide en rien l’environnement. En les offrant à quelqu’un, on peut éviter que cette personne aille en magasin se procurer des articles neufs. Mais, surtout, un objet qui ne sert pas occupe de l’espace. « On occupe des espaces beaucoup trop grands pour entreposer des choses qui ne servent pas, constate-t-elle. Ça coûte cher environnementalement parlant. » Elle ajoute que l’on conserve beaucoup de biens « au cas où », parce que de les savoir à portée de main est sécurisant.

Entre 1990 et 2021, la superficie moyenne des logements a augmenté de 23 % au Québec, passant de 108 m⁠2 à 133 m⁠2, selon des données de l’Office de l’efficacité énergétique publiées dans l’édition 2024 du rapport État de l’énergie au Québec. « La superficie de plancher à chauffer a continué d’augmenter plus vite que la population », note le rapport. En plus d’être de plus petite taille, les appartements nécessitent 28 % moins d’énergie par mètre carré, par année, qu’une maison unifamiliale.

Consultez le rapport État de l’énergie au Québec

Et c’est sans compter les unités d’entreposage qui, utilisées pour répondre à un besoin temporaire, se transforment parfois en location à long terme.

Le minimalisme, un eldorado ?

Il n’est toutefois pas certain que l’adoption d’un mode de vie minimaliste entraîne directement une diminution de l’empreinte carbone des ménages.

Une revue de la littérature scientifique, réalisée en 2023 par des chercheurs en psychologie australiens, pointe que bien que le minimalisme pourrait offrir des avantages en termes de bien-être, les recherches sur les émissions de carbone ne sont pas concluantes.

Même si les études portant sur l’empreinte carbone des modes de vie à faible consommation, comme la simplicité volontaire, tendent à soutenir cette possibilité, les chercheurs indiquent qu’il est aussi possible que « les minimalistes augmentent leur consommation non matérielle, mais plus intensive en carbone, par exemple en voyageant plus souvent à l’étranger ».

Ils affirment aussi que le désencombrement peut être pratiqué pour faire de la place pour d’autres biens, ce qui entraîne un cycle continu d’achats et de purges.

Pour que le désencombrement ait un effet durable, il doit être motivé par des raisons émotives et non par un effet de mode, croit Hélène Boissonneault. « En allant chercher le pourquoi je veux désencombrer et le pourquoi j’encombrais, c’est ce qui va probablement permettre au processus d’être plus efficace à long terme. »

Conseils pour se débarrasser d’objets intelligemment

  • Privilégier les dons directs à un membre de son entourage qui en a besoin
  • Les vendre ou les offrir gratuitement sur des groupes Facebook tels que As-tu ça toi ? Veux-tu ça toi ? ou Buy Nothing
  • Les apporter dans un organisme de réemploi à vocation sociale ou une ressourcerie
  • Jeter les objets abîmés ou, mieux, les réparer avant de les donner
En savoir plus
  • Minimalisme
    Mode de vie choisi qui se caractérise par la possession de peu de biens et une acquisition réfléchie.