Dans une mare d’uniformes noirs, le code vestimentaire recommandé par les organisateurs du Salon Complètement design, Karim Rashid se pointe vêtu de blanc des pieds à la tête. Le designer industriel canado-américain, qui était l’un des conférenciers-vedettes de l’évènement tenu en mars dernier, n’est pas de ceux qui suivent le troupeau. C’est justement cette caractéristique qui l’a élevé au-dessus de la masse à l’international, où il brille par ses créations innovantes. Rencontre éclair avec une légende du design.

« En 2000, j’étais sur un panel avec six architectes. Nous étions tous revêtus de noir. À partir de ce moment, j’ai décidé que je ne voulais plus faire partie de cette uniformité. » Depuis, Karim Rashid porte du blanc, et parfois du jaune, nous dit-il dans toute sa flamboyance.

La sobriété ne fait pas partie des critères de conception de ce créateur, dont la dégaine est un sympathique croisement entre Tintin et Elvis (il nous pardonnera cette référence au passé). Ce n’est pas non plus le mot qui vient à l’esprit en pensant à son œuvre : ce qui émane de ce cerveau fertile ne passe pas inaperçu et c’est tant mieux. Karim Rashid conçoit le design de demain.

Créer pour l’avenir

« Longtemps, je me suis questionné sur ce qui différenciait le style du design. J’ai fini par en tirer cette conclusion : le design, c’est l’évolution et le progrès. Il ne cherche pas à emprunter au passé ou à l’imiter, contrairement au style. » Il ne fait aucun doute que le travail de Karim Rashid relève de l’un et pas de l’autre. Calé en histoire de l’art et particulièrement du design, il est néanmoins en perpétuelle quête pour en faire abstraction. Les styles finissent par se ressembler. Il transcende.

La véritable création, dit-il, puise dans les références contemporaines – les besoins et connaissances actuelles, la technologie d’aujourd’hui, ses plus récents matériaux, ses utilisations et interfaces. Elle va de l’avant et façonne l’avenir, en plaçant l’expérience et le ressenti au-dessus du reste, et l’humain à l’épicentre.

Mon but ultime, comme designer, est de participer à construire un monde différent, un monde meilleur. À notre époque, le progrès doit passer par le fait de produire beaucoup moins, mais mieux. On ne peut plus se contenter de créer des choses qui sont jolies, sans être pertinentes.

Karim Rashid, designer

« Le contexte actuel pousse le marché à la prudence, poursuit-il. On veut des valeurs sûres et puiser dans les succès passés, mais c’est justement dans ces moments qu’il faut prendre des risques et chercher d’autres avenues. »

En constante évolution

  • Tabouret Ego, pour Riva 1920 (Italie, 2024)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Tabouret Ego, pour Riva 1920 (Italie, 2024)

  • Baume à lèvres Crystal, pour EOS (É.-U., 2017)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Baume à lèvres Crystal, pour EOS (É.-U., 2017)

  • Canapé Heartbeat pour Nienkamper (Canada, 2019)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Canapé Heartbeat pour Nienkamper (Canada, 2019)

  • Cuisine Korpus, Kreate by Karim (Chine, 2017)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Cuisine Korpus, Kreate by Karim (Chine, 2017)

  • Concept CELL (É.-U., 2022)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Concept CELL (É.-U., 2022)

  • Chaise Mystic (É.-U., 2002)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Chaise Mystic (É.-U., 2002)

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Parmi les clients de Karim Rashid figurent les Umbra, Veuve Clicquot, Kenzo, Hugo Boss, Samsung et 3M de ce monde. S’y ajoutent des édifices, des décors, du mobilier et des objets hétéroclites semés autour du globe. Le designer tire dans tous les sens et laisse sa marque sur son époque avec des créations uniques. Avec 4000 designs dans 40 pays et 300 prix derrière la cravate, sa réputation n’est plus à construire.

Pourtant, lorsqu’on lui demande de désigner celle qu’il affectionne parmi toutes ses créations, il nous avoue détester la question.

J’ai dessiné tellement de projets… Je ne veux me sentir fier d’aucun d’eux. Est-ce que j’en regarde certains en me disant que j’aurais pu les faire différemment ? Absolument. Ceux qui me branchent sont les plus récents.

Karim Rashid, designer

Sa meilleure pièce est encore à venir, croit-il en toute cohérence, en s’accordant le droit et le devoir d’évoluer sans se reposer sur ses lauriers.

  • Concept Koaster (É.-U., 2020)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Concept Koaster (É.-U., 2020)

  • Montre numérique Alessi (Italie, 2011)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Montre numérique Alessi (Italie, 2011)

  • Prizeotel Berlin (Allemagne, 2022)

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    Prizeotel Berlin (Allemagne, 2022)

  • Lavabo en silicone Bubble, pour Glass Design (Italie, 2021)

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE KARIM RASHID

    Lavabo en silicone Bubble, pour Glass Design (Italie, 2021)

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« La bonne question, pour reprendre [le peintre américain] Frank Stella, serait de me demander ce que j’aimerais créer », propose-t-il.

« D’accord. On vous la renvoie : que rêvez-vous encore de dessiner ? », demande-t-on, témoin d’une étincelle dans le regard dont on ne captera qu’une infime partie de l’essence.

« J’aimerais concevoir une petite voiture électrique, urbaine, mais ce n’est pas facile de mettre la main sur un tel projet. En ce moment, j’essaie aussi de faire aboutir une collection de lunettes. J’en ai fait par le passé, mais j’ai de nouvelles idées. Et puis, j’espère lancer ma propre gamme de vêtements et créer une petite galerie d’art qui aborderait la question de l’art en architecture… », énumère le créateur, le cerveau visiblement en ébullition. J’ai plein d’idées qui tournent autour du design de demain. »

PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA COMMONS

Chaise Blow Up par Gaetano Pesce

« Et dans le passé (on ose), y a-t-il une création que vous aimeriez avoir signée ? »

« Il y en a plusieurs, réfléchit-il. Si j’ai à en choisir une, ce serait la chaise Blow up, par Gaetano Pesce [1967]. » Jamais reproduite depuis, la chaise en question du designer, disparu le 3 avril dernier, arrivait emballée sous vide et reprenait sa forme lorsqu’on ouvrait le sac. Inaugurer la sienne était un évènement et une occasion de se réunir entre amis. « L’élément de surprise, le côté évènementiel, le dernier cri de la technologie et le jamais vu de cet objet… j’adore ! », s’esclaffe Karim Rashid en ajoutant que cette création remplit tous ses critères.

« Il y a aussi quelque chose de très doux dans ce design qui est pensé comme une extension du corps. En tant qu’humains, nous sommes fragiles, asymétriques, volatils… » L’œuvre de Karim Rachid ne le sera sûrement pas.