J’ai beaucoup réfléchi ces derniers temps au pouvoir et à l’influence. À ce qui les distingue, notamment, et à leurs effets sur nous.

Tout a commencé avec la récente publication par le magazine L’actualité d’un palmarès des 100 Québécois les plus influents. C’est l’équipe du mensuel qui a dressé la liste, selon une méthodologie bien expliquée. Les personnalités devaient jouir d’une influence dépassant les limites de leur milieu, et leur ascendant devait s’exercer ici, au Québec. Trois critères s’ajoutaient : le pouvoir de l’institution à laquelle est liée la personne, son leadership et son charisme. Puis, beaucoup plus subjectif : sa volonté de faire avancer les choses, de remettre en question le statu quo, d’utiliser son influence pour changer la société. Ce qui laisse entendre que le progrès doit se faire dans le « bon » sens, selon L’actualité…

Ces exercices sont toujours stimulants, challengeants.

Nous évaluons, comparons, ajoutons ou retirons telle ou telle personne, poussons les hauts cris. Loin de moi l’idée de le critiquer : ce palmarès sert à mesurer l’air du temps. Les critères, je le répète, sont bien exposés et engendrent des résultats cohérents.

C’est aussi un palmarès aspirationnel, à l’image du mensuel, qui aime présenter des portraits d’acteurs de la société qui la propulsent. En ce sens, cette liste valorise les personnalités qui font bouger les choses particulièrement (mais pas que) à gauche. On a certes reproché à L’actualité son portrait blanc, vieux (75 % des personnalités ont plus de 50 ans), et masculin à 66 %.

C’est un instantané de l’influence dans une société qui change, mais qui résiste aussi. Et il provoque certaines remises en question.

Le pouvoir n’est pas l’influence. Il la regarde de haut, un brin méprisant. Il est plus enraciné, installé dans les institutions politiques et dans la possession des richesses. Il est un système.

C’est pourquoi les politiciens du palmarès ne sont pas tous égaux. Ceux en position d’autorité disposent d’un pouvoir réel : celui de créer des lois, de donner une impulsion concrète, de décider ce qui marquera nos vies pour les années à venir. Alors que les politiciens de l’opposition exercent une influence.

Et si les politiciens au pouvoir sont marqués idéologiquement, leur vision du monde teinte leur mandat, dessine les contours plus fermes d’une société différente, qu’elle nous plaise ou non. Pensons au pouvoir de Valérie Plante qui l’autorise à remodeler Montréal, pour le meilleur ou pour le pire, à celui de Justin Trudeau qui transforme le Canada avec son idéologie postnationale. Leur pouvoir dépasse largement l’influence : il est structurant.

Le pouvoir n’est ni nécessairement bon ni forcément néfaste. Il est surtout indiscutable. Il avance, dessinant les contours de l’ordre social. Ses effets sont durables et décisifs.

Le pouvoir peut aussi parfois être intangible, diffus. Pensons au pouvoir d’annulation, aux campagnes de bannissement. Ce pouvoir se terre dans la rumeur, dans la machine médiatique, dans l’air du temps. C’est un pouvoir qui broie des individus, mais qui transforme aussi les mentalités.

Sur l’influence, il y a beaucoup à dire.

En démocratie, elle est partout, agit sur tous, dans toutes les sphères. Elle se déploie à travers des institutions, des tribunes intellectuelles, médiatiques, morales. L’influence est fluctuante. Un influenceur peut avoir été déterminant, mais voir progressivement sa force de frappe se déliter.

À quoi mesure-t-on l’influence ? Elle est extrêmement complexe, multiforme. Et il faut convenir qu’elle ne s’exerce pas qu’à travers les individus.

L’influence peut être un mouvement ou une idée. Pensons aux « complotistes », aux « antivax ». Ils ont été une force d’influence non négligeable au Québec, qui a marqué certaines personnes à jamais.

L’influence ne s’exerce pas que de manière constructive. J’ai souligné l’aspect généralement positif du palmarès de L’actualité. Oui, on est nombreux à vouloir que de jeunes féministes nous poussent vers le meilleur. Mais comment taire l’influence de phénomènes comme les mouvements masculinistes et autres Andrew Tate de ce monde sur de jeunes hommes d’ici ? Ne pas regarder cette influence en pleine face cause des ravages. Les réseaux sociaux représentent une autre influence majeure et pas toujours bienveillante dans nos vies. Oui, il arrive que l’influence soit maléfique et toute croche.

On parle de l’influence des Québécois sur les leurs, mais des personnalités étrangères et leurs idées fortes influencent aussi nombre de nos concitoyens, voire l’air du temps. Trump exerce une puissante séduction sur la pensée sociale et politique de nombreux Québécois. Il a décomplexé et libéré une certaine parole, le mensonge, et la défiance face aux élites.

Notre société est en pleine reconfiguration, particulièrement depuis la pandémie. Ce palmarès nous aide à en clarifier le portrait. Mais il faut aussi inclure dans la photo de groupe ce qui nous trouble, nous déplaît, car ça nous influence aussi. Il faut faire face à ce qui nous hante pour pouvoir réagir.

En terminant, j’ajouterais au palmarès la catégorie « influenceurs disparus ». J’aime égoïstement penser qu’un Serge Bouchard, par son ouverture d’esprit, son savoir généreux, sa curiosité, nous influence encore…

Consultez « Le palmarès des 100 personnes les plus influentes du Québec » sur le site de L’actualité Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue