Image en noir et blanc de 2023 : l’année fut de loin la plus chaude et la présente pourrait battre ce record ; les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables furent deux fois plus importants que dans les hydrocarbures.

Les capitaux engagés dans la transition énergétique ont atteint un sommet de 1800 milliards US, en progression de 17 % sur un an⁠1. L’électrification du transport en a absorbé le tiers, devançant la production d’énergie renouvelable.

Toutefois, il faudra presque tripler ce montant annuel d’ici 2030, dans un scénario net zéro compatible avec l’Accord de Paris, estime BloombergNEF, une firme de recherche spécialisée dans la transition.

Il est maintenant moins cher de construire des projets de panneaux solaires et d’éoliennes que des centrales thermiques, à peu près partout sur le globe. La Chine, plus grand émetteur de GES, a installé l’an dernier plus de panneaux solaires que l’ensemble du reste du monde.

La guerre en Ukraine, qui a précipité une crise énergétique dans une Europe dépendante du gaz russe, a accéléré la transition de cinq à dix ans, estime The Economist.

En revanche, les États-Unis sont devenus le plus grand producteur d’or noir. Les pétrolières ont reporté aux calendes grecques leurs ambitions climatiques, abandonnant aux investisseurs la responsabilité de rediriger l’argent de leurs généreux dividendes et rachats d’actions dans les énergies d’avenir.

La finance durable progresse malgré des vents contraires. Les règles exigeantes de l’Union européenne favorisent les investissements vert foncé. Aux États-Unis, les assauts de la droite républicaine contre les placements qui adhèrent aux normes ESG (pour environnementales, sociales et de gouvernance), qu’elle associe au « wokisme », forcent un repli tactique.

Les investisseurs institutionnels se concentrent discrètement, mais en force, sur la transition énergétique, encouragés par les avantages fiscaux du président Biden.

Craignant des poursuites par des États conservateurs, une poignée d’institutions comme JP Morgan Chase et Bank of America se sont en outre retirées de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), créée à la COP26 de 2021, sous l’impulsion de Mark Carney.

La performance des 562 institutions encore membres, telles les grandes banques canadiennes, est mitigée, selon le suivi rigoureux du Net Zero Finance Tracker de la Climate Policy Initiative. Gestionnaires de fonds, banquiers et assureurs ont beau ne viser aucune émission nette de GES en 2050, ils doivent aussi adopter des cibles intermédiaires robustes, faire preuve de transparence sur les émissions des entreprises en portefeuille et mener des actions concrètes.

Leurs démarches pour inciter les sociétés industrielles à se décarboner faiblissent aux États-Unis, mais ici, les 45 investisseurs de la coalition Engagement climatique Canada redoublent d’ardeur.

On peut certes blâmer banquiers et investisseurs de ne pas en faire assez dans l’urgence climatique, mais encore faut-il que les gouvernements établissent des politiques incitatrices.

À Ottawa, par exemple, le gouvernement libéral se traîne les pieds dans le dossier de la taxonomie de la transition, soit l’établissement de critères permettant de distinguer les investissements pour verdir des entreprises polluantes de ceux qui prolongent le statu quo. La distinction est subtile, mais critique dans l’industrie canadienne du pétrole et du gaz, qui résiste au virage nécessaire.

Cette taxonomie est essentielle pour diriger les capitaux dans des projets qui feront une réelle différence.

Plus grave encore est la promesse de Pierre Poilievre d’abolir la tarification du carbone, une hérésie aux yeux des économistes de toutes teintes⁠2, quasi unanimes à y voir la manière la moins chère et la moins contraignante de lutter contre les changements climatiques. D’autant que le leader conservateur ne propose aucune solution de rechange.

Au Québec, le gouvernement a confié à Finance Montréal le mandat de coordonner le développement d’une feuille de route en finance durable. L’objectif : recommander des outils pour relever les défis environnementaux qui entraînent des risques, mais ouvrent des occasions d’affaires pour les marchés financiers et les entreprises, en s’appuyant sur un comité consultatif composé d’acteurs des secteurs privé, public et universitaire.

À l’échelle internationale, l’écosystème québécois de la finance durable est de taille modeste, mais diversifié et dynamique. Il se démarque par la collaboration, même entre institutions financières rivales, ce qui a favorisé Montréal pour obtenir l’un des deux centres de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), qui établit des normes pour l’information en matière de durabilité divulguée par les entreprises.

Le grand défi de la finance durable est de canaliser les capitaux privés dans les investissements nécessaires pour contrer le réchauffement climatique. Le Québec doit faire sa part d’efforts, mais simplement balayer le bout de trottoir devant sa porte n’est pas une stratégie suffisante dans ce chantier planétaire.

Avec humilité, mais confiance, notre place financière peut devenir un maillon constructif entre l’Europe, leader incontesté en finance durable, et le reste du Canada, parfois hésitant sous l’influence des États-Unis et du lobby pétrolier. La collaboration qui renforce notre écosystème doit s’intensifier avec nos partenaires, des deux côtés de l’Atlantique.

1. Lisez un rapport sur les investissements dans la transition énergétique (en anglais) 2. Lisez une lettre ouverte d’économistes sur la tarification du carbone au Canada (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue