Nous avons tous notre endroit préféré dans la maison. Des gens nous font découvrir leur pièce de prédilection.

Un sentiment de plénitude envahit Eve-Marie Laliberté lorsqu’elle emprunte l’escalier en colimaçon pour descendre dans le sous-sol de son duplex, transformé en atelier de céramique d’art.

« Je m’y sens entière », confie cette prolifique artiste montréalaise au milieu de son studio rempli à ras bord d’outils, d’appareils et de matériaux en tout genre. « Cet atelier me stimule tout en permettant de me déposer. Ici, je suis capable de canaliser le trop-plein d’énergie qui me consume chaque jour. »

Une effervescence artistique flotte en effet dans cet ancien logement, annexé à l’époque à un espace de rangement. Des moules, des glaçures et des blocs d’argile engorgent les étagères, à quelques pas de distance de deux puissants fours. Un vieil établi datant de 1950, taché et écorché, témoigne de son utilisation intensive.

Plus loin, les traces de terre au fond des cuves et des lavabos rappellent les gestes à la fois répétitifs et créatifs de la céramiste.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Quelques créations de l’artiste céramiste Eve-Marie Laliberté

Dans une seconde pièce, un étalage de jardinières colorées, de petites lampes de table originales et de fine vaisselle côtoie un prototype de suspension. « Je n’ai jamais su me cantonner à faire une seule affaire », s’esclaffe cette artiste citée l’an dernier pour le prix François-Houdé de la Ville de Montréal.

Le reste de l’espace est occupé par l’ordinateur, une vaste bibliothèque, une grande table sur roulettes, un plan de travail pour l’emballage et divers présentoirs pour les marchés d’artisans.

À son image

  • L’espace est multifonctionnel, à l’image de l’artiste.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    L’espace est multifonctionnel, à l’image de l’artiste.

  • Des moules engorgent les étagères.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Des moules engorgent les étagères.

  • Quelques outils prêts à être utilisés.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Quelques outils prêts à être utilisés.

  • Chaque chose à sa place !

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Chaque chose à sa place !

  • Deux puissants fours

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Deux puissants fours

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Pour parvenir à conjuguer ses envies immédiates, cette « hyperactive assumée » a dû optimiser cet espace somme tout limité. Non seulement pour satisfaire son besoin de « tout faire en même temps », mais également pour éviter de perdre sa concentration.

On m’a déjà dit que j’avais besoin d’une gratification immédiate. Je pense vite, je bouge vite et j’ai besoin de résultats rapides. Mon TDAH ne me permet pas non plus d’être bordélique, sinon je suis facilement distraite. J’ai donc créé un espace multifonctionnel à mon image.

Eve-Marie Laliberté

Derrière des apparences d’atelier se cachent en effet une salle de classe, une chaîne d’emballage, un studio photo, un bureau administratif, une bibliothèque… ou encore une chambre d’amis. « Le tableau dissimule un lit mural », glisse l’artiste qui a dessiné la plupart de ses meubles, tables et établis aux multiples fonctions. « J’ai agrandi de l’intérieur. »

Une grande partie du mobilier provient aussi de la famille ou de ventes de brocante. Ici et là, une vieille commode, une ancienne table de salon et un classeur démodé forment un élégant décor éclectique et fonctionnel. Un robuste coffre d’une vieille tante est ainsi devenu une chambre humide pour conserver les pièces avant la cuisson.

« J’aime la chaleur des vieilles choses. Elles ont de l’histoire », confie celle pour qui cet atelier est l’aboutissement d’un cheminement personnel.

Choisir sa voie

Conceptrice graphique de formation, Eve-Marie Laliberté a découvert l’art de la céramique au détour d’une activité de loisir. « À la minute où j’ai mis les mains dans la terre, j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé ma voie. Cela a fait ‟wow” dans ma tête », se souvient-elle.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

D’abord loisir, la céramique est devenue une véritable passion pour Eve-Marie Laliberté.

Quand je conçois une image à l’ordinateur, l’écran et la souris créent une interférence avec ce que je veux faire. Quand j’ai les mains dans la terre, je construis directement ce que mon inspiration me pousse à créer.

Eve-Marie Laliberté

Une légère poussée du destin lui a cependant été nécessaire pour assouvir sa passion. À 43 ans, alors qu’elle se préparait à lancer avec un ami une boîte de communication graphique, elle s’est rendu compte qu’elle faisait fausse route. « Je me suis aperçue que nous ne voulions pas la même chose, lui et moi. Cela m’a forcée à me demander ce que je voulais. Et la réponse, c’était la céramique », raconte-t-elle.

Sans surprise, Mme Laliberté s’était déjà créé un petit atelier dans sa maison. « J’ai toujours eu besoin d’un coin de création, que ce soit dans ma chambre d’enfant ou plus tard dans mes appartements. Quand j’ai emménagé ici, je m’étais immédiatement dit que cet espace ferait un beau petit atelier. »

Au fil du temps, ledit atelier est devenu le véritable studio de création qu’il est aujourd’hui. Il a aussi permis de faire la paix, peu à peu, avec un souvenir douloureux.

« Quand mes parents se sont séparés durant mon enfance, j’ai habité avec ma mère et ma sœur dans un petit appartement dans un sous-sol à Longueuil. Ce fut des années difficiles. Je m’étais juré de ne jamais plus habiter dans un sous-sol », confie-t-elle avec émotion.

« Aujourd’hui, je comprends que la pièce n’est pas importante pour ce qu’elle est », ajoute-t-elle devant une série de photos accrochées au mur, rappelant des moments heureux : son filleul, un camp scout à 16 ans, son mariage, une excursion de kayak à Vancouver, un dessin fait à l’adolescence…

« Une pièce est importante pour ce qu’on en fait, conclut-elle. Je ne possède pas d’objets luxueux dans cet atelier, mais je suis gâtée pourrie. Pour moi, ici, c’est le Ritz. »