Serait-il possible de construire du logement abordable et, du même coup, réduire l’étalement urbain ? C’est le pari tenté par la MRC de Brome-Missisquoi, inspirée par deux initiatives américaines : la densification urbaine douce et la fiducie foncière communautaire.

L’architecte Alexandre Landry est l’un des initiateurs du projet en démarrage à Sutton. Le logement social, il en fait son cheval de bataille depuis son stage d’étudiant au célèbre Rural Studio en Alabama. C’est d’ailleurs à sa suggestion que le chroniqueur Pierre Foglia avait visité en 2008 ce projet d’architecture innovatrice, créé par un professeur de l’Université d’Auburn.

Le but de Rural Studio ? Apprendre aux architectes à créer de solides maisons à bas coûts pour permettre à une population défavorisée de se loger convenablement sans devoir quitter son milieu. L’expérience a permis la construction de centaines d’habitations depuis sa création.

« C’est là que j’ai réalisé l’impact social de l’architecte », explique Alexandre Landry, véritablement interpellé par la crise actuelle du logement, autant que par la crise climatique.

La solution à ces deux enjeux, selon lui, passe par une densification urbaine « douce », et non par l’imposition de grands immeubles souvent incompatibles avec les alentours.

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L’architecte Alexandre Landry

« Densifier une ville avec des tours de 30 étages provoque souvent, avec raison, une opposition dans les communautés. Il est préférable de remplir doucement les espaces vacants en respectant le caractère de chaque quartier », explique ce professeur invité à l’Université de Montréal.

Avec ses étudiants, M. Landry a passé au peigne fin depuis 2021 les arrondissements de Rosemont–La Petite-Patrie et du Plateau-Mont-Royal pour trouver des lots délaissés par les promoteurs. « Des terrains aux dimensions irrégulières ou placés trop près d’infrastructures », dit-il. Bilan de l’opération : un répertoire de 50 terrains au potentiel inexploité, juste dans le Plateau, pour la construction de petits édifices résidentiels bien intégrés à la trame urbaine.

« Avec une règle de trois toute simple, on pourrait penser qu’il serait possible de créer 60 000 logements abordables de cette façon sur l’île de Montréal », soutient-il.

Forte de ses premiers résultats, l’équipe de recherche d’Alexandre Landry a testé l’an dernier son approche dans différentes municipalités de Brome-Missisquoi. C’est ainsi qu’elle a ciblé des endroits propices à une densification douce, notamment à Sutton.

« C’est à cette étape que je passe le relais », indique-t-il.

Fiducie foncière communautaire

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Avec ses étudiants, Alexandre Landry trouve des lots délaissés par les promoteurs qui pourraient servir à construire des logements abordables.

Le bâton de relais passe dans les mains de Samuel Gervais, cofondateur de Solutions immobilier solidaire (SiS). Cet OBNL est voué à la création de fiducies foncières communautaires (FCC) pour la construction de logements abordables.

« Ce concept, appelé en anglais Community Land Trust, n’est pas réellement nouveau. Il est apparu d’abord à Burlington, au Vermont, à l’époque où le socialiste Bernie Sanders dirigeait la ville », explique M. Gervais. « L’idée s’est propagée en Europe et au Canada anglais, mais son apparition au Québec est récente. »

Voyez une vidéo sur la fiducie foncière communautaire de Bruxelles

La philosophie derrière une FCC : le sol devrait être utilisé pour répondre aux besoins des habitants, et non pas comme un bien spéculatif. De manière concrète, ce principe se traduit par l’acquisition de terrains par la FCC avec l’aide financière de fondations et de différents ordres de gouvernement.

Au fil du temps, la FCC se constitue un stock de terrains sur lesquels elle permet gratuitement à des organismes de construire des logements abordables. Protégés par la fiducie, ces terrains seront à jamais à l’abri de la spéculation foncière.

« De cette façon, on sort l’achat du terrain de l’équation financière. Il ne reste qu’à financer la construction de l’immeuble, ce qui fait baisser le coût du loyer ou facilite l’accès à la propriété, selon la nature du projet », explique Samuel Gervais.

La vente éventuelle de l’immeuble ou des unités est encadrée par une convention de copropriété, ajoute-t-il.

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Sutton est aux prises avec une sérieuse crise du logement.

Projet à Sutton

Ces idées novatrices sont bien accueillies par le maire de Sutton. « C’est ça, la solution ! », s’exclame Robert Benoît, qui cherche depuis son élection en 2021 à résoudre une sérieuse crise du logement qui étrangle l’économie de sa municipalité.

Prisé par les amateurs de ski, ce petit village des Cantons-de-l’Est se trouve en effet au cœur d’une spéculation immobilière débridée.

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Robert Benoît, maire de Sutton

La valeur marchande d’une propriété a bondi de 43 % en 2023. Un condominium situé près du centre de ski se vend 750 000 $ en moyenne. C’est 200 000 $ plus cher qu’à Mont-Tremblant, et 100 000 $ plus cher qu’à Bromont.

Robert Benoît, maire de Sutton, citant une étude récemment réalisée par l’agence immobilière Royal Lepage.

La conséquence est désastreuse pour les entreprises locales qui peinent à trouver de la main-d’œuvre. Les employés des commerces ou de la station de ski, souvent à bas salaire, doivent quitter leur village pour trouver un logement à Cowansville, à Granby ou même à Saint-Jean-sur-Richelieu. « Un appartement à Sutton coûte environ 1300 $ par mois. Même mes directeurs de service n’ont pas les moyens de vivre ici », déplore le maire.

La municipalité s’est donc associée aux équipes d’Alexandre Landry et de Samuel Gervais pour changer les règles du jeu immobilier. Elle fera don à la FCC d’un terrain municipal vacant au début de 2024, près du centre-ville. Une consultation s’amorcera ensuite avec les citoyens pour définir leurs besoins.

« Une densification urbaine provoque une résistance naturelle, avoue Alexandre Landry. Il est important que les citoyens s’approprient le projet de manière à ce qu’il réponde à leurs besoins. »

Le maire Benoît tient cependant à mettre les cartes sur table : « Ce projet est destiné à créer du logement abordable. Pas autre chose. »

Expérience sociale

L’expérience de Sutton est suivie de près par les autorités de la MRC de Brome-Missisquoi, indique sa directrice générale adjointe, Nathalie Grimard. Les besoins en logement – « le taux de disponibilité est descendu à 1 % » – se font criants à la grandeur du territoire, dit-elle, tout en soulignant le manque de diversité des appartements.

« Un quatre pièces et demie ne répond pas aux besoins d’une personne seule ni d’une famille. Ce projet-là tombe à point, car il permet de répondre à des besoins spécifiques d’une communauté, en plus de travailler l’acceptabilité sociale et le logement abordable », souligne-t-elle.

L’idée d’une FCC régionale, qui agirait comme un rempart contre la spéculation foncière, plaît particulièrement à Mme Grimard. « Dans une vingtaine d’années ou moins, on se retrouvera avec quelque chose de vraiment intéressant. »

Une version précédente de cet article omettait de préciser que les chiffres cités par Robert Benoît, maire de Sutton, étaient tirés d'une récente étude de l’agence immobilière Royal Lepage.