L’initiative à vocation écologique et sociale est loin de faire l’unanimité

Il est un peu plus de 17 h et le soleil commence à se coucher sur la ville de Montpellier, dans le sud de la France. Comme chaque jour, Catherine reprend son vélo pour retourner à la maison après une journée de travail. On pourrait croire que les 20 degrés qu’affiche, anormalement, le thermomètre en cette fin décembre la poussent à pédaler, mais il n’en est rien. « Ça me permet de me déplacer plus facilement tout en faisant mon sport quotidien », dit-elle à la blague.

Pourtant, depuis le 21 décembre dernier, elle pourrait, comme les quelque 500 000 résidants de la grande région de Montpellier, utiliser les transports en commun, bus et tramways, sans devoir dépenser le moindre euro. « C’est une bonne chose, je pense que ça va dépolluer un peu la ville », note Catherine.

Vendue comme « écologique et sociale » par le maire de gauche de la ville, cette mesure est une promesse de campagne. Michaël Delafosse espère ainsi réduire le nombre de voitures en circulation en donnant un coup de pouce aux ménages de sa ville, qui enregistre un taux de pauvreté de 26 %, contre environ 15 % au niveau national. « Les mesures contre les changements climatiques sont souvent mal vécues et perçues par les plus modestes, qui ont l’impression que c’est toujours les mêmes qui trinquent. C’est pourquoi nous voulions quelque chose qui conjugue les deux », explique Julie Frêche, vice-présidente déléguée aux transports de la métropole.

La gratuité, à quel prix ?

Cette gratuité avait déjà commencé de façon partielle au cours des dernières années, notamment les fins de semaine, ou encore pour les plus jeunes et les aînés. Malgré tout, les avis sont partagés.

Si c’est gratuit, mais que c’est pourri, c’est contre-productif.

Alenka Doulain, élue municipale de l’opposition

« Si vous demandez aux citoyens pourquoi ils ne prennent pas les transports en commun, le prix n’est pas le facteur numéro un, mais c’est plutôt en raison de la mauvaise qualité du service », soutient Mme Doulain, qui regrette aussi que la mesure n’inclue pas les travailleurs qui vivent hors de la métropole.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La Ville a promis d’ajouter plusieurs dizaines de rames de tramway et de bus dans les prochains mois, mais c’est loin de rassurer le Comité des usagers des transports en commun de la ville. « On déshabille Paul pour habiller Jacques », déplore Samuel Grisvard, un membre du comité. « Il y a déjà une dégradation du service depuis plusieurs années avec des bus saturés, des retards qui s’accumulent et des gens laissés à quai aux heures de pointe. On a peur que la gratuité empire la situation. Il aurait dû y avoir une meilleure anticipation. »

Autre point de discorde, celui du financement. La métropole évalue le coût de cette mesure à environ 30 millions d’euros par an (près de 44 millions CAN) et assure qu’il n’y aura pas d’augmentation des taxes.

La Ville entend miser notamment sur son attractivité économique, en espérant que le versement mobilité (taxe payée en France par les entreprises de 11 salariés et plus) finance une bonne partie de la mesure. « Quand on se prive de 30 millions d’euros par an sans vraiment savoir d’où on le prend, le risque est très grand », s’inquiète Alenka Doulain.

Une mesure vraiment efficace ?

« Ce genre de mesures, qui n’embêtent pas les automobilistes, ont la faveur du public, mais sont peu efficaces, car elles ne traitent pas le problème à la source, celui de réduire le trafic automobile et sa pollution », soutient Frédéric Héran, économiste des transports.

On s’aperçoit systématiquement que ce sont toujours, d’abord et de loin, les cyclistes qui sont attirés, ensuite les piétons et loin derrière les automobilistes, qui sont en fait très peu conquis par cette mesure.

Frédéric Héran, économiste des transports

Frédéric Héran a comparé des données publiques sur les modes de déplacement avant et après la gratuité des transports dans six villes européennes qui l’ont déjà appliquée. « Un parent qui déposait en voiture son enfant à l’école avant peut maintenant l’inciter à prendre le bus gratuitement tout en continuant de faire son trajet en voiture. » Le chercheur pense que d’autres mesures sont plus efficaces, comme un aménagement cyclable qui réduit la place de la voiture, une réduction de la vitesse autorisée ou encore la fermeture de rues à la circulation.

Une chose est sûre, Montpellier étant la plus grande ville d’Europe à avoir mis en place la gratuité des transports en commun, les conséquences de cette mesure seront scrutées à la loupe. Pourrait-on voir la même chose au Québec ? La Ville de Montréal a indiqué par courriel être « favorable à toutes les mesures visant à bonifier l’utilisation du transport collectif, dont les incitatifs financiers », tout en soulignant que les sociétés de transport dans la province « sont encore trop vulnérables au manque de financement du gouvernement du Québec ».