L’année électorale 2024 sera celle où un candidat à la présidence américaine tentera un coup d’État constitutionnel au vu et au su de tout son pays.

Il ne s’en cache même pas : Donald Trump remet en question le fondement philosophique et juridique des États-Unis. Devant une cour d’appel fédérale il y a deux semaines, ses avocats ont plaidé qu’un président jouit d’une immunité totale pour ses actions pendant sa présidence. Même s’il fait assassiner un opposant politique, il ne peut être poursuivi en justice, ont dit ses avocats, qui visent à faire annuler le procès pour avoir tenté d’empêcher la certification de l’élection de 2020 – et les autres.

Ce premier procès est censé commencer au mois de mars. Mais il faut attendre la réponse des juges sur l’immunité, question qui se retrouvera inévitablement en Cour suprême, ce qui peut prendre des semaines, et plus probablement des mois.

L’argument de Trump est que la peur d’être poursuivi en justice pourrait mener à de l’autocensure, en limitant la capacité d’action d’un président. Par exemple, dit Trump, Harry Truman, qui a fait lâcher deux bombes atomiques sur le Japon en 1945, ne l’aurait peut-être pas fait s’il avait craint une poursuite éventuelle. L’exemple ne tient pas la route, puisque c’est un cas d’action militaire en situation de guerre – sans compter que les attaques d’Hiroshima et de Nagasaki sont par ailleurs des crimes de guerre aux yeux d’aujourd’hui, mais c’est une autre histoire. Ce qui est reproché à Trump, ce sont des crimes de droit commun commis pour son avantage personnel. Il existe une immunité relative pour les affaires civiles pendant qu’un président est en fonction, et encore. Mais évidemment, on n’a jamais connu dans l’histoire américaine de cas de président poursuivi devant une cour criminelle tentant de se faire élire, quel que soit le moment où les infractions ont été commises.

L’immunité comme la définit Trump donnerait un pouvoir exorbitant au président et le placerait au-dessus des lois, tel un monarque. Ce qui évidemment va à l’encontre du principe même de la république des États-Unis après la Révolution : l’égalité de tous devant la loi.

Je n’imagine pas que la Cour suprême soutienne une telle vision, aussi conservatrice soit-elle.

Ce qui est le plus probable est que Trump soit forcé d’avoir ce procès, en plus des trois autres affaires criminelles. Mais quand ? Avant l’élection ou après ?

Si, comme je pense, la Cour suprême rejette sa théorie de l’immunité absolue du président, Trump-le-candidat se trouvera alors à demander l’immunité aux électeurs américains.

Trump a déjà convaincu le noyau dur de ses fans que les quatre poursuites criminelles contre lui sont le fruit d’une vengeance politique de la Justice. Non seulement l’accumulation des accusations ne lui a pas nui, mais elle lui a permis de cimenter l’idée chez plusieurs que les procureurs comme les juges sont au service des démocrates.

En toute logique, donc, une fois au pouvoir, il entend utiliser ses pouvoirs pour faire annuler les procédures des procureurs fédéraux. Il a même dit qu’il utiliserait ses pouvoirs pour punir ses adversaires.

Il n’a pas réussi à le faire dans son premier mandat. Il est loin d’être acquis qu’il puisse le faire dans un éventuel deuxième mandat ; le ministère de la Justice américain, quoi qu’on en dise, a une tradition d’indépendance et de respect de la règle de droit. L’indépendance judiciaire est bien ancrée aussi, malgré toutes les divisions idéologiques. Ce n’est pas pour rien que Trump a échoué dans toutes ses tentatives judiciaires pour empêcher la certification du résultat électoral de 2020.

Il n’en reste pas moins que le représentant du Parti républicain, incroyablement, avancera devant le peuple américain avec le projet d’attaquer l’essence même du système politique.

Il est déjà extraordinaire qu’un homme ayant fomenté une annulation du résultat électoral soit candidat à l’élection suivante. Il est encore plus incroyable que ce président défait, le seul dans toute l’histoire de la république à n’avoir pas accepté le résultat mathématique de sa défaite, soit de nouveau choisi par son parti. Et avec quelle facilité !

Car il faut se faire à l’idée : même si des financiers républicains ont englouti des centaines de millions pour le bloquer, il n’y a plus personne pour empêcher Donald Trump de devenir le candidat républicain à l’élection de novembre.

Si Nikki Haley, sa dernière rivale, le bat miraculeusement ce mardi soir au New Hampshire, on ne voit pas trop comment elle pourra ensuite obtenir plus de délégués pour le reste de la course. Une course finie avant de commencer.

Une course où Trump a ridiculisé ses adversaires, mais où ses adversaires ne l’ont jamais vraiment attaqué – sauf Chris Christie. Comme s’ils étaient hypnotisés par le leader de ce qui est devenu une sorte de secte. Le plus pathétique est évidemment Ron DeSantis, que Trump a traité d’idiot sans arrêt. DeSantis a prouvé qu’il l’est, en déclarant forfait dimanche et en appuyant Trump aussitôt.

Résultat : dans quelques mois, un homme sur le point (peut-être) d’être condamné par une cour criminelle aura de fortes chances d’être élu président.

Qu’il soit élu ou non, Trump, par la nature même de sa candidature, mettra un stress énorme sur le système politique et judiciaire, qu’il menace d’endommager sérieusement.

Les États-Unis en ont vu d’autres, c’est vrai, et le pire n’arrive pas toujours. Mais telle qu’elle se présente aujourd’hui, l’année 2024 risque d’être le plus grand test pour la Constitution américaine depuis la guerre civile.