Elles sont apparues dans les rues de mon quartier peu après mon retour de reportage en Israël, le mois dernier : les affiches des otages de Gaza, visages souriants surmontés du mot KIDNAPPÉS sur fond rouge. Elles ont tenu le coup quelques jours avant d’être arrachées ou barbouillées de feutre noir : « Propagande ! » « Israël génocidaire ! »

Le scénario s’est répété dans d’autres quartiers, d’autres villes, d’autres pays. Les réseaux sociaux débordent de vidéos de ces membres de la gauche propalestinienne déchirant rageusement ces affiches, considérées comme une vulgaire opération de relations publiques orchestrée par Israël.

C’est un peu ironique, parce qu’en Israël, justement, ce sont plutôt les partisans de la droite dure qui détestent ces affiches. Ils jugent ces otages embarrassants, parce qu’ils empêchent l’armée israélienne de se consacrer à son principal objectif de guerre : l’éradication totale et complète du Hamas.

C’est aussi désespérément triste qu’on s’acharne autant sur ces affiches. Ces otages-là sont bien réels.

Depuis les attaques du 7 octobre, leurs proches ont remué ciel et terre pour ne pas qu’on les oublie. Sans relâche, ils ont sommé le gouvernement israélien de déployer tous les efforts pour les ramener à la maison. Avec le succès – inespéré – que l’on voit aujourd’hui.

Au cœur de ce mouvement citoyen, il y a un homme : Avichai Brodutch.

L’agriculteur habite le kibboutz Kfar Aza, à quatre kilomètres de la bande de Gaza. Le matin du 7 octobre, sa petite voisine de 4 ans, Avigail, s’est précipitée chez lui, couverte de sang. Avichai Brodutch l’a mise à l’abri, avec sa femme et ses trois enfants, avant d’aller défendre le kibboutz.

Quand il est revenu, il ne restait plus que le chien.

PHOTO FOURNIE PAR AVICHAI BRODUTCH, ARCHIVES REUTERS

Avichai Brodutch devant le ministère de la Défense d’Israël, le 14 octobre

Je l’ai rencontré dix jours plus tard, sur un trottoir de Tel-Aviv. Il s’était mis en tête de camper là, devant le ministère de la Défense, seul avec son chien. « Je me suis assis sur une chaise avec une petite affiche qui disait : “Ma famille est à Gaza” », m’avait-il raconté, déterminé à rester sur ce trottoir jusqu’à ce que sa femme et ses trois enfants lui soient rendus.

Il y sera resté… 51 jours.

PHOTO FOURNIE PAR LE SCHNEIDER CHILDREN’S MEDICAL CENTER, REUTERS

Retrouvailles entre les enfants d’Avichai Brodutch et leur chien

Lundi, Ofri, 10 ans, Yuval, 9 ans, et Oriya, 4 ans, ont enfin pu quitter Gaza avec leur mère, Hagar. La petite Avigail, dont les parents ont été tués le 7 octobre, les accompagnait. Ils font partie des 62 otages – et des 180 prisonniers palestiniens – libérés depuis le début de la trêve négociée entre Israël et le Hamas, trêve qui dure presque miraculeusement depuis vendredi.

Quand j’ai rencontré Avichai Brodutch à Tel-Aviv, il n’était plus seul avec son chien. Des centaines de personnes s’étaient jointes à lui, couvrant les murs du ministère de la Défense de portraits d’otages, distribuant des fleurs, de l’eau et de la nourriture, enchaînant les interviews avec la presse internationale.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Affiches de personnes détenues par le Hamas placardées près du ministère de la Défense israélien, à Tel-Aviv

La campagne a pris de l’ampleur. Des familles d’otages ont rencontré les dirigeants étrangers dans les capitales occidentales. Le frère d’Avichai Brodutch, Aharon, un résidant de Toronto, a tenu une conférence de presse à Ottawa. En Israël, une grande marche s’est organisée entre Tel-Aviv et Jérusalem. Des milliers de personnes y ont pris part – avec, toujours, le même message : ramenez-les à la maison.

Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou n’a pas eu le choix de tendre l’oreille. Il a fini par ajuster les objectifs militaires d’Israël : désormais, il ne s’agit plus seulement d’annihiler le Hamas coûte que coûte. Le retour des 240 otages est devenu, lui aussi, une priorité nationale.

Sans la pression des familles, sans leurs campagnes acharnées, sans ces affiches omniprésentes, la trêve actuelle n’aurait donc peut-être pas eu lieu.

Contre toute attente, la délicate opération d’échange de prisonniers fonctionne. Tellement bien, en fait, qu’on a décidé de prolonger la trêve de 48 heures. Il faut espérer que ça tienne plus longtemps encore, tant qu’il y aura des otages à Gaza.

Mais que se passera-t-il quand il n’y aura plus personne à échanger ?

Après la trêve, le premier ministre Nétanyahou a promis de reprendre la guerre là où il l’avait laissée. Il n’a pas renoncé à éradiquer le Hamas, pour l’empêcher de commettre d’autres massacres en Israël.

Le problème, c’est que personne ne semble savoir exactement ce que signifie « éradiquer le Hamas ».

Depuis trop longtemps déjà, la riposte israélienne est terriblement disproportionnée. Dans la bande de Gaza, les frappes israéliennes auraient tué plus de 14 500 civils, dont 6000 enfants. Des quartiers entiers ont été rasés. Les combats ont forcé des centaines de milliers de Gazaouis à quitter leur maison. La crise humanitaire qui sévit là-bas est catastrophique.

Et même si Tsahal parvenait à éliminer les combattants du Hamas jusqu’au dernier, le Hamas renaîtrait presque aussitôt de ses cendres. Il trouverait de nouveaux combattants parmi les jeunes en colère et sans espoir. Dans les ruines de Gaza, il ne risquerait pas de manquer de recrues.

Il faut trouver une autre solution. Politique. J’ignore si c’est vraiment possible, dans l’état actuel des choses. Mais pour la première fois depuis le 7 octobre, cette trêve donne un souffle d’espoir.