Si l’escalade de la violence au Proche-Orient vous a fait quelque peu oublier la guerre en Ukraine, comptez sur Maria Alyokhina, figure de proue du groupe protestataire Pussy Riot, pour vous remettre les idées en place.

L’artiste féministe russe vient de débarquer à Montréal avec plusieurs de ses amies et collaboratrices pour une exposition, un spectacle et une grosse dose de rébellion contre Vladimir Poutine et sa terrible invasion du voisin de la Russie.

Et si vous pensez être spectateur de tout ça, détrompez-vous. La tournée nord-américaine de Pussy Riot, dont Montréal est le premier arrêt, espère réveiller les contestataires qui dorment en chacun de nous. « C’est important pour nous de venir en Amérique du Nord, mais encore plus aux États-Unis à la veille des élections de l’an prochain. Notre histoire de protestation, elle s’est déroulée en Russie, mais on dit toujours que ce qui s’est passé en Russie peut arriver n’importe où. On veut dire aux gens que c’est important de se battre pour leurs droits, pour leurs libertés », dit Maria Alyokhina.

L’artiste moscovite est déjà à Montréal, à moins de deux kilomètres des locaux de La Presse, mais elle préfère tenir cette conversation à distance, par visioconférence. Derrière elle, les employés du Musée d’art contemporain de Montréal accrochent les œuvres de l’exposition Velvet Terrorism, qui sera inaugurée mardi et qui raconte l’épopée du collectif Pussy Riot, de sa création en 2011 à aujourd’hui.

Et quelle épopée ! Les artistes féministes encagoulées ont toujours eu le don de marquer les esprits avec leurs performances coup de poing. C’est leur prière punk, dans l’immense cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, qui les a fait connaître au monde entier en 2012. « Vierge Marie, mère de Dieu, bannis Poutine ! », ont-elles entonnée en se tenant devant l’iconostase de cette église, emblème d’une Nouvelle Russie qui préférait reconstruire des temples à grands frais que nourrir sa population affamée. « Le chef du KGB, le Saint en chef, amène les protestataires en prison sous escorte. Ne fâchez pas Sa Sainteté, mesdames. Continuez à faire l’amour et des bébés », dit le premier couplet de la prière.

Visionnez la prière punk de Pussy Riot

Elles ne croyaient pas si bien dire. Maria Alyokhina, Nadia Tolokonnikova et Yekaterina Samoutsevich, trois des quatre participantes, ont été arrêtées dans les semaines suivantes. Elles n’avaient pas 25 ans.

Étonnamment, Maria Alyokhina rit aujourd’hui quand elle repense à cet épisode de sa vie militante. Son visage diaphane s’éclaire.

La première fois que j’ai senti l’absurdité de la situation en Russie, c’était lors du procès qu’on nous a intenté pour la prière punk à la cathédrale. C’était vraiment l’fun. En cour, les avocats de l’État utilisaient un langage du Moyen Âge au XXIsiècle et tout le monde pouvait le voir. Ils appelaient le féminisme un ‟péché mortel” et ça a été consigné dans les documents de la cour de Moscou.

Maria Alyokhina, membre de Pussy Riot

« C’était l’fun, mais c’est devenu très clair dès le début de cette cause que le prix pour notre performance serait un véritable emprisonnement », note l’artiste qui, avec Nadia Tolokonnikova, a été condamnée à deux ans de détention dans une colonie pénale qu’elle appelle le « goulag », en référence aux camps de détention de la période soviétique.

La pression internationale a fait son œuvre et un an plus tard, elles étaient amnistiées par Vladimir Poutine. Elles ont aussitôt recommencé leur contestation artistique. Le monde entier a pu les voir se faire battre à coups de fouet par des cosaques lorsqu’elles sont intervenues pendant les Jeux olympiques de Sotchi. Cette scène digne du Moyen Âge (encore une fois) n’a été qu’un des épisodes de violence qu’ont essuyé les membres de Pussy Riot pour avoir défié à répétition le chef du Kremlin et sa cour.

Cette violence physique a été accompagnée d’une campagne tous azimuts de propagande et de désinformation. Aujourd’hui, Maria Alyokhina juge que c’est « l’arme la plus puissante » dont dispose la Russie contre ses citoyens, mais aussi contre le reste du monde.

« En Russie, nous avons dû souvent prendre le temps d’expliquer aux gens que nous n’avions pas protesté nues dans une église contre Dieu (comme le colportait la télévision), mais que nous étions habillées et que nous protestions contre Poutine. Ça vaut la peine parce que chaque fois que les gens comprennent ce que nous faisons, ils nous soutiennent. Beaucoup de Russes détestent Poutine », explique l’artiste.

Les gens me demandent toujours pourquoi les Russes ne protestent pas. Il suffit d’avoir suivi la Russie cinq ans avant la guerre pour comprendre. Les Russes ont protesté, mais ont été battus, empoisonnés, emprisonnés et mis à la porte du pays.

Maria Alyokhina, membre de Pussy Riot

« Ça a fini avec une invasion à grande échelle au moment où toute l’opposition était soit morte, soit derrière les barreaux ou en exil », résume-t-elle.

Condamnée à nouveau pour avoir soutenu d’autres dissidents russes en plus de s’être opposée à l’annexion de la Crimée et à la guerre russe dans l’Est ukrainien, Maria Alyokhina était en prison quand le président russe a annoncé qu’il s’apprêtait à envahir l’Ukraine. Elle a été témoin à distance de la répression des manifestations antiguerre et de l’imposition des lois de censure.

Assignée à résidence, étiquetée « ennemie du peuple » avec sa partenaire de vie, Lucy Shtein, elle a finalement décidé de fuir la Russie en avril 2022. Déguisée en livreuse de restaurant, elle a échappé à la vigilance des policiers qui entouraient sa résidence et pu se rendre en Biélorussie. L’artiste islandais Ragnar Kjartansson a obtenu un titre de voyage qui a permis à Maria Alyokhina de rejoindre l’Europe. Ensemble, ils ont monté l’exposition qui se déplace maintenant à Montréal.

Comment vit-elle l’exil, elle qui y a résisté pendant de longues années ? « Je passe beaucoup de temps à l’étranger depuis 2014, pour faire des spectacles, donner des conférences ou parler à des politiciens, mais là, c’est la première fois que je ne rentre pas en un an et demi. Je rêve sans arrêt que je rentre pour passer un peu de temps à la maison. Que j’ai une vie normale, que je ne suis pas sur la liste des personnes les plus recherchées de Russie. Et je me réveille à l’étranger. Je n’ai pas construit une deuxième maison dans un autre pays. Je vis avec une valise et dans un sac. Je continue à faire ce que je fais. J’aimerais aider l’Ukraine encore plus que je le fais maintenant. C’est une émotion très forte pour moi. Je veux aider ce pays, les Ukrainiens le méritent, et j’ai tellement honte de ce que l’armée russe a fait et fait encore. C’était prévisible, cette guerre, mais en tant qu’humain, je ne peux pas rester les bras croisés et regarder ce qu’ils font. C’est horrible, inacceptable et ça doit arrêter. »

Parole de Pussy Riot.

Pussy Riot à Montréal

L’exposition

Le Musée d’art contemporain, dans ses locaux temporaires de Place Ville Marie, présentera l’exposition Velvet Terrorism : Pussy Riot’s Russia (Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot) du 25 octobre 2023 au 10 mars 2024. Maria Alyokhina prononcera une conférence inaugurale avec l’artiste islandais Ragnar Kjartansson, instigateur de l’exposition originale, le 25 octobre à 18 h au Gesù. Le lendemain, l’artiste guidera le public à travers l’exposition à 17 h 30.

Consultez le site web de l’exposition Velvet Terrorism : Pussy Riot’s Russia

La performance multimédia

Tiré du livre de Maria Alyokhina, Riot Days est un spectacle multimédia racontant l’histoire des Pussy Riot. Il sera présenté au théâtre Rialto le 1er novembre à 20 h.

Consultez le site web du concert Riot Days