(Kazan) Un tribunal russe a prolongé vendredi jusqu’au 23 octobre la détention de la journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva, arrêtée cette semaine et qui est devenue le second reporter américain détenu en Russie.

« Par décision de la cour, le délai de détention d’Alsu Kurmasheva est prolongé de 72 heures », a déclaré le tribunal Sovetski de Kazan, dans la région russe du Tatarstan.

La journaliste, qui a été arrêtée mercredi pour avoir violé des obligations liées à son statut d’« agent de l’étranger » imposé par la justice, était présente à l’audience, dans la cage réservée aux accusés et portant un masque FFP2. Elle y a été conduite par des agents encagoulés, ont constaté des journalistes de l’AFP.

La Russie mène une vaste campagne de répression à l’encontre des médias indépendants, ONG, journalistes, avocats et opposants depuis le début de son assaut contre l’Ukraine en février 2022.

Si nombre de militants et de reporters russes ont fui leur pays, d’autres — célèbres ou anonymes — ont été incarcérés. Plusieurs Américains sont aussi détenus, dont le journaliste Evan Gershkovich.

Cinq ans

Les autorités russes, quant à elles, démentent toute forme de « persécution » visant les ressortissants des États-Unis 

« Il y a des ressortissants américains qui violent des lois et contre qui on prend des mesures appropriées », a expliqué le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ajoutant ne pas suivre le cas de Mme Kurmasheva.  

PHOTO PANGEA GRAPHICS (RFE/RL), FOURNIE PAR REUTERS

Alsu Kurmasheva

Le tribunal Sovetski de Kazan a quant à lui indiqué que la journaliste du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) était poursuivie pour des manquements liés à son inscription au registre des « agents de l’étranger », alors qu’elle était engagée dans « la collecte intentionnelle d’informations concernant des activités militaires » pouvant être dommageables pour « la sécurité de la Russie ».

Elle risque jusqu’à cinq ans de prison.

Le président par intérim de RFE/RL Jeffrey Gedmin s’est dit « inquiet » de la prolongation de la détention de Mme Kurmasheva. « Le journalisme n’est pas un crime. Elle doit être immédiatement remise à sa famille », a-t-il ajouté.

Ce statut d’« agent de l’étranger », qui rappelle le qualificatif soviétique d’« ennemi du peuple », impose aux personnes ou entités visées des contraintes administratives et un contrôle financier très lourd.  

Il oblige également à accompagner toute publication, y compris sur les réseaux sociaux, de ce label.  

Certains des critiques les plus respectés du président russe Vladimir Poutine figurent parmi ces « agents de l’étranger », comme le prix Nobel de la Paix et rédacteur en chef du journal indépendant Novaïa Gazeta, Dmitri Mouratov.

Mme Kurmasheva, qui réside d’ordinaire à Prague avec son mari et ses enfants, s’était rendue en Russie pour une « urgence familiale » le 20 mai mais n’avait pas pu repartir car ses passeports américain et russe lui ont été confisqués.

Selon le site internet Tatar Inform, elle avait été condamnée à une amende le 11 octobre dernier pour ne pas avoir déclaré sa citoyenneté américaine aux autorités russes.  

D’après ce média, qui cite des sources policières anonymes, elle a notamment travaillé sur la mobilisation par l’armée d’enseignants.  

Gershkovich

Alsu Kurmasheva, qui a rejoint RFE/RL en 1998, travaille pour son service en langues tatare et bachkire, couvrant ces minorités ethniques de Russie peuplant en particulier le Tatarstan et le Bachkortostan, des régions de la Volga et de l’Oural.

Ayant son siège à Prague, le média RFE/RL est financé par le Congrès américain et avait été fondé pendant la Guerre froide pour contrer la propagande soviétique dans le bloc de l’Est. Il diffuse toujours des contenus en une multitude de langues, souvent sensibles dans des pays dirigés par des régimes autoritaires.

« Je suis venue travailler pour [RFE/RL] car ce média compte pour moi, sa mission d’apporter une information objective à mon peuple, le peuple qui parle ma langue, le tatar, en particulier », expliquait en 2014 Mme Kurmasheva.

Elle est le second journaliste américain à être arrêté en Russie en 2023, après Evan Gershkovich.

PHOTO NATALIA KOLESNIKOVA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Gershkovich

Ce reporter du Wall Street Journal, interpellé le 29 mars en plein reportage, est détenu à Moscou.

M. Gershkovich, qui a aussi travaillé pour l’AFP en Russie par le passé, est accusé d’espionnage, un crime passible de 20 ans de prison, une accusation que lui, Washington, son journal, ses proches et sa famille rejettent.

La Russie n’a jamais étayé ces accusations et l’ensemble de la procédure est classée secrète.  

Ces dernières années, plusieurs citoyens américains arrêtés en Russie ont été libérés après des échanges de prisonniers avec Washington.