« Attaque barbare ». « Carnage ». « Massacre ». Geste « inacceptable ». Tous les mots ont été utilisés, mardi, pour qualifier l’explosion qui a tué des centaines de Palestiniens, selon les premiers rapports, dans l’enceinte de l’hôpital Ahli Arab, au cœur de la ville de Gaza.

On a envie d’en rajouter. Une attaque à coup d’armes lourdes contre un hôpital viole non seulement le droit humanitaire et le droit de la guerre, qui protègent les installations et le personnel de la santé de toutes velléités belliqueuses, mais c’est aussi un manque grave de décence humaine.

Dans ce cas-ci, l’hôpital centenaire financé par l’Église anglicane était également un lieu de refuge pour ceux qui fuient les bombardements israéliens, mais qui sont incapables de faire leur chemin jusqu’au sud de la bande de Gaza. Les photos de sacs mortuaires alignés, d’enfants couverts de sang et de parents en larmes sont insoutenables.

Pour le moment, on ne sait pas qui a fait ça. Le brouillard de la guerre s’est soudainement épaissi après ce drame.

Le ministère de la Santé de la bande de Gaza a immédiatement accusé Israël. Puisque l’organisation est liée au Hamas, responsable des attentats terroristes qui ont fait plus de 1300 morts en Israël le 7 octobre, disons qu’on ne croit pas ses affirmations sur parole.

L’armée israélienne, pour sa part, affirme que l’explosion est l’œuvre du Djihad islamique palestinien, un autre groupe armé actif dans la bande de Gaza. Selon Israël, le groupe aurait raté sa cible en lançant un barrage de roquettes vers Israël. Vous me permettrez de ne pas croire Tsahal sur parole non plus. Les bombardements israéliens des derniers jours ont tué des centaines de civils. Mardi, les Nations unies ont levé le ton après que des frappes israéliennes ont tué au moins six personnes dans une école se trouvant dans le camp de réfugiés al-Maghazi. L’établissement, administré par l’organisation internationale, est lui aussi censé être hors d’atteinte.

Une enquête d’une source indépendante sera nécessaire pour établir les faits entourant la terrible attaque de l’hôpital Ahli Arab, dont nous ne connaissons pas encore toute l’ampleur. Malgré le manque de certitudes, on peut déjà constater que l’évènement marque un tournant dans le conflit.

La colère a éclaté dans les rues de Cisjordanie, l’autre territoire palestinien où vivent, sous occupation israélienne, près de 3 millions de personnes.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui a décrété trois jours de deuil, a décidé d’annuler sa rencontre avec Joe Biden prévue ce mercredi. Les autres leaders arabes, qui devaient aussi s’entretenir en personne avec le président américain, lui ont emboîté le pas.

Ça chauffe aussi au Liban où le Hezbollah, allié du Hamas, a décrété la tenue d’une « journée de colère » ce mercredi. On craint depuis le début des violences que le Liban soit aspiré dans les hostilités. L’explosion à l’hôpital pourrait être l’appel d’air tant redouté, malgré les faits difficiles à établir.

S’il y a beaucoup d’inconnues dans cette affaire et que la prudence est de mise, il y a aussi beaucoup de faits troublants qu’il est impossible d’ignorer.

La situation humanitaire et sanitaire dans la bande de Gaza, où vivent plus de deux millions de personnes, se détériore à une vitesse folle depuis que le gouvernement d’Israël a décidé d’y imposer un siège complet au lendemain des attaques meurtrières du Hamas, qui gouverne l’enclave palestinienne. Il n’y a pas d’électricité, sauf pour l’apport de génératrices, mais ces dernières sont à la veille de manquer d’essence. Il ne reste presque plus d’eau potable, et les magasins sont sur le point de manquer de nourriture.

Ce n’est pas le Hamas qui le dit, ce sont les Nations unies qui tentent désespérément d’expédier de l’aide humanitaire dans l’enclave, dont les entrées sont bouclées.

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Camions d’aide humanitaire bloqués à la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza

Les hôpitaux et les organisations médicales sonnent eux aussi l’alarme de toutes leurs forces. Mardi, quelques heures avant l’explosion à l’hôpital Ahli Arab, le président de Médecins sans frontières international, Christos Christou, a mis en ligne une vidéo dans laquelle il exposait la situation dans l’enclave palestinienne. « C’est une catastrophe. Les hôpitaux et les cliniques qui n’ont pas été évacués fonctionnent à peine. Il n’y a pas d’électricité, pas de fournitures médicales. Les patients risquent leur vie en se déplaçant ou en restant. Dans les deux cas, ils risquent de mourir sans recevoir de soins », a dit le chirurgien d’origine grecque en fixant la caméra.

Dans un communiqué mis en ligne le 14 octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dénoncé l’ordre d’évacuer les cliniques et les hôpitaux du nord de Gaza émis par les autorités israéliennes, qualifiant l’évacuation forcée de « peine de mort pour les malades et les blessés ». L’OMS a demandé le renversement de l’ordre, mais ce dernier n’est jamais venu.

La même organisation, qui opère un site de surveillance pour répertorier les attaques proscrites internationalement contre les établissements de santé et le personnel médical et ambulancier, n’a pas documenté qu’une seule violation de cette norme internationale depuis le 7 octobre dans les territoires palestiniens, mais bien 133. Avant l’explosion à l’hôpital de Gaza, mardi, l’OMS répertoriait déjà 22 morts en neuf jours parmi les patients et le personnel d’établissements de santé qui ont été la cible de ces violations.

Tout cela est plus qu’inquiétant et mérite des condamnations internationales aussi claires que celles formulées mardi – dans les capitales occidentales comme dans celles du monde arabo-musulman – après l’annonce de la tragédie de l’hôpital Ahli Arab.

Consultez le site de surveillance de l’OMS