Il ne devait rien arriver de grave. L’aube commençait à poindre en Israël. C’était le dernier jour de la fête juive de Souccot. Tout le pays tournait au ralenti. Des Israéliens s’apprêtaient à célébrer en famille. Réunis dans un rave en plein air, des centaines de jeunes, eux, s’étaient promis de danser jusqu’au bout de la nuit.

Ils y étaient presque. Et soudain, le choc. L’horreur absolue.

Des motocyclistes ont surgi de nulle part, armés jusqu’aux dents⁠1. Ils ont tiré, tiré et tiré encore. Paniqués, les jeunes ont tenté de fuir, mais les terroristes arrivaient de tous les côtés, certains juchés sur des motos, d’autres entassés dans des jeeps. Un massacre. Un parmi d’autres.

Au même moment, un déluge de roquettes s’est abattu sur Israël. Les sirènes ont retenti, mais pour des centaines d’Israéliens, il était déjà trop tard. Des terroristes s’étaient infiltrés dans leurs villages, dans leurs kibboutz. Ils ont abattu des passants, en ont kidnappé d’autres. Enfermées dans des abris, des familles angoissées ont espéré pendant des heures des renforts qui n’arrivaient pas.

Il ne devait rien arriver de grave. En Israël, ces histoires d’horreur arrivent, pourtant. Depuis les décennies que ça dure, on devrait s’y attendre, être prêt, en tout temps. Alors, au lendemain de l’offensive du Hamas, le monde en général, et les Israéliens en particulier, s’interrogent : comment se peut-il que personne ne l’ait vu venir ?

Pour les Israéliens, le choc psychologique provoqué par cette attaque tous azimuts est immense. Des observateurs le comparent déjà à celui qu’ont subi les Américains, le 11 septembre 2001.

Sauf que les Américains n’auraient jamais pu imaginer que des terroristes transformeraient des avions civils en armes de destruction massive. Pour eux, l’effet de surprise était total.

Les Israéliens, au contraire, ont malheureusement l’habitude des attentats. Pour cette nation, la menace existentielle est permanente. D’où la légendaire efficacité du Mossad et du Shin Bet, les services de renseignements israéliens, qui se targuent d’avoir des informateurs partout.

Mais voilà qu’on apprend que des milliers de roquettes ont passé sous le nez de ces redoutables agents secrets pour être stockées dans la bande de Gaza, enclave palestinienne ultra-surveillée, sans que personne s’aperçoive de quoi que ce soit. Samedi matin, elles se sont abattues sur des cibles israéliennes. Et la légendaire efficacité du Mossad en a pris pour son rhume.

Avec les moyens du bord – des bulldozers, des bateaux, des parapentes motorisés –, les combattants du Hamas ont percé l’imposante barrière fortifiée qui isole depuis des années les habitants de la bande de Gaza. C’est comme ça qu’ils se sont infiltrés en Israël. Ils ont déjoué les caméras, les capteurs de mouvements au sol, les patrouilles, bref, tout un système de surveillance que l’on disait pourtant très élaboré.

« Le système dans son ensemble a échoué, a admis à CNN l’ancien porte-parole international des Forces de défense israéliennes, Jonathan Conricus. Ce n’est pas une seule composante. C’est toute l’architecture de défense qui, de toute évidence, n’a pas réussi à fournir la défense nécessaire aux civils israéliens. »

Il a comparé l’offensive du Hamas non pas aux attentats du 11-Septembre, mais à un autre carnage américain : « C’est un moment de type Pearl Harbor pour Israël, où il y avait une réalité jusqu’à aujourd’hui, et il y aura une autre réalité après aujourd’hui. »

S’il faut comparer cette offensive-choc à un évènement historique, la guerre du Kippour s’impose presque naturellement. Les parallèles sont frappants… et désespérants. Cinquante ans plus tard, rien n’a changé. La stabilité du Moyen-Orient n’est encore qu’une vue de l’esprit.

PHOTO JALAA MAREY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des obus de mortier sont entassés dans les restes d’un camion militaire datant de la guerre du Kippour de 1973, dans le plateau du Golan, près de la frontière syrienne, en septembre dernier.

Qu’on en juge : le 6 octobre 1973, alors qu’ils s’apprêtaient à célébrer Yom Kippour, les Israéliens se sont réveillés en état de guerre. Comme aujourd’hui, le pays avait été surpris après avoir baissé sa garde. Comme aujourd’hui, l’échec de ses services de renseignements avait été monumental.

À l’époque, la riposte israélienne avait été foudroyante. Celle à laquelle nous devons maintenant nous attendre le sera tout autant.

« Nous sommes en guerre », a déclaré le premier ministre Benyamin Nétanyahou. Le général Rassen Alian a affirmé que le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, avait « ouvert les portes de l’enfer » et qu’il en « subirait les conséquences ».

La riposte a déjà commencé. À Gaza, des immeubles à étages se sont écroulés sous le feu des missiles israéliens. Au moins 200 Palestiniens sont morts. Et ce n’est qu’un début. Benyamin Nétanyahou aura du mal à résister aux pressions de ceux qui réclament une invasion militaire de la bande de Gaza.

Mais que se passera-t-il alors ?

En quoi la réoccupation de cette enclave palestinienne fera-t-elle avancer les négociations de paix au Moyen-Orient ? Une escalade des violences ne risque-t-elle pas d’embraser la région tout entière ? Combien d’autres morts à venir ? Combien d’autres bilans sinistres à dresser ?

On n’en sait rien, mais on peut malheureusement être sûrs d’une chose : tout cela finira mal, encore une fois.

1. Lisez un article du quotidien israélien Haaretz (en anglais ; abonnement requis)