C’est presque lassant, à la fin : encore une série d’accusations criminelles contre un ancien président des États-Unis ??

Bof !

Voilà pourtant la plus sérieuse et la plus dangereuse affaire à laquelle devra faire face Donald Trump.

Il n’est pas superflu de souligner que dans cet État républicain qu’est la Géorgie, la procureure a monté sa preuve et déposé les accusations « comme dans n’importe quel dossier », à l’abri de toute pression partisane. Dossier qui a été autorisé par un grand jury de citoyens ordinaires. Difficile de prétendre que c’est « le procureur de Joe Biden » qui accuse Donald Trump.

Mais si ces accusations sont plus dangereuses pour l’ex-président, c’est d’abord à cause de la nature même des accusations : c’est en chef de gang que la dénonciation criminelle dépeint Donald Trump. Avec une preuve très détaillée d’un complot véritable.

Avant cette semaine, on pouvait être tenté de croire que la preuve se résumait à un appel de Trump au secrétaire d’État républicain de la Géorgie, Brad Raffensperger. L’appel, enregistré et diffusé en janvier 2021, prouve que Trump lui demandait de « trouver » 11 780 votes – il avait perdu l’État par 11 779. Bref, de changer le résultat. On se souvient aussi des simagrées de Rudy Giuliani.

Mais la preuve est beaucoup plus élaborée et fait état de nombreuses fausses déclarations des avocats de Trump, de pressions, de menaces sur des employés de l’État, de réunions, d’appels, de groupes de faux électeurs, etc. C’est franchement très gros.

Et pour finir, c’est en vertu d’une loi redoutable que toute sa bande de 19 se retrouve devant la justice : la loi RICO.

Quand il a été question d’une première « loi antigang » au Canada, au tournant de 2000, un modèle entre tous faisait saliver nos procureurs fédéraux : la loi RICO américaine.

Adoptée en 1970, elle avait été élaborée spécifiquement pour lutter contre la mafia établie à New York. Elle prévoit des peines sévères pour des personnes impliquées dans des activités de « racket », ce qui inclut toutes espèces d’escroqueries, ou d’organisations « corrompues ».

La plupart des États américains ont maintenant leur version de cette loi fédérale. Dont la Géorgie.

Plusieurs chefs mafieux ont été condamnés en vertu de la loi RICO, le plus célèbre étant le parrain new-yorkais John Gotti.

Le parrain montréalais Vito Rizzuto, après avoir échappé pendant 40 ans à la justice canadienne, a été emprisonné aux États-Unis pour des assassinats au profit de la famille Bonanno. Mais il n’a pas été poursuivi pour homicides : il a été poursuivi en vertu de la loi RICO.

Au fil des ans, cette loi-marteau a été utilisée contre toutes sortes de groupes de personnes s’associant pour une fin criminelle commune.

Dans le cas de Trump, les 19 font face à différentes accusations « ordinaires » (parjure, faux, incitation à violer son serment…). Mais ils sont aussi accusés d’avoir violé la loi RICO de l’État. C’est-à-dire d’avoir fait partie d’une organisation dont le but était de renverser le résultat de l’élection présidentielle par diverses manœuvres illégales.

La loi accomplit plusieurs choses : elle rend la preuve d’un complot criminel plus facile à faire, car il n’est pas nécessaire de démontrer que chaque membre de cette « organisation » savait en détail ce que les autres faisaient. Il faut démontrer qu’ils travaillaient dans ce but illégitime commun. Tous se trouvent liés par une sorte de courroie juridique dont ils doivent se déprendre – si la preuve est bonne.

La loi RICO géorgienne prévoit aussi des peines automatiques sévères – 5 ans minimum. Une énorme pression pèse donc sur chacun des accusés. Voilà qui facilite le retournement de vestes. Les procureurs calculent qu’un certain nombre d’accusés voudront collaborer avec la justice en échange d’un retrait d’accusations ou d’un arrangement quelconque.

Ce n’est pas autrement qu’on a réussi à faire condamner des patrons du crime organisé.

Ça ne veut pas dire que la preuve n’est pas solide dans les trois dossiers fédéraux (paiements de l’actrice porno avec la caisse électorale, possession illégale de documents top secret et tentative d’empêcher la certification du vote). Simplement, si un seul dossier peut l’emmener en prison, ce sera celui de Géorgie.

Donald Trump a un autre problème qui n’est pas si insignifiant : quel avocat voudra prendre cette cause ? Des centaines, bien sûr. Je veux dire : quel bon avocat voudra gérer un tel dégât ?

N’oublions pas que cette affaire arrive en même temps que trois autres. Et que Trump est le pire client imaginable : il parle sans arrêt, s’incrimine, ment, intimide les témoins, insulte juges et procureurs… Bref, il est ingérable.

On notera aussi que ça finit presque toujours très mal pour les avocats de Trump, historiquement. Michael Cohen, avocat de la Trump Organization, a fait de la prison pour avoir trop aidé son boss. Trois des accusés en Géorgie, en premier lieu Rudy Giuliani (qui s’est rendu célèbre comme procureur antimafia utilisant la loi RICO bien avant d’être maire de New York), sont eux-mêmes d’ex-avocats de Trump. Ils ont tous un peu trop obéi à leur client et risquent de voir leur carrière anéantie.

On pourrait parler de ceux qu’il a congédiés ou qui sont partis d’eux-mêmes en courant. Ceux qui s’occupent aujourd’hui de tous ses ennuis juridiques sont déjà trop nombreux pour tenir dans un seul autobus.

Ça va faire de belles réunions.

Il est absolument fascinant, en passant, de voir les commentateurs américains noter placidement que si jamais Trump est condamné en Géorgie, il ne pourra pas « se » pardonner lui-même, puisque le président n’a pas compétence pour les condamnations relevant du droit d’un État. Le gouverneur républicain non plus d’ailleurs, puisqu’une commission indépendante a été mise sur pied pour gérer les pardons en Géorgie.

Autrement dit : on tient déjà pour acquis qu’il utiliserait le pouvoir arbitraire de pardon pour lui-même, advenant le cas où il serait condamné dans les trois dossiers fédéraux et où il serait réélu en 2024.

Bref, on présume – il l’a dit – qu’il abuserait de son pouvoir pour annuler ses dossiers criminels, comme n’importe quel autocrate.

Qu’en disent la majorité des électeurs républicains ?

Bof !