(New York) Souvent accusé de se comporter comme un chef de la Cosa Nostra, notamment en raison de ses demandes incessantes de loyauté inconditionnelle aux membres de son entourage, Donald Trump doit désormais se battre avec 18 de ses alliés contre une loi créée pour lutter contre la mafia et d’autres organisations criminelles.

Suprême ironie : Rudolph Giuliani, l’un des principaux lieutenants de l’ancien président, pourrait également se retrouver derrière les barreaux à cause de cette loi dont la version fédérale lui a permis d’écrouer des parrains de la mafia new-yorkaise à l’époque où il était procureur.

Après une enquête de deux ans et demi menée par la procureure du comté de Fulton Fani Willis, un grand jury a approuvé lundi soir à Atlanta l’inculpation de Donald Trump et de ses alliés en lien avec leur présumée « entreprise criminelle » pour inverser les résultats de l’élection présidentielle en Géorgie et subvertir la volonté des électeurs de cet État clé.

Outre Donald Trump et Rudolph Giuliani figurent parmi les personnes inculpées l’ancien chef de cabinet de la Maison-Blanche Mark Meadows, l’ancien haut responsable du ministère de la Justice Jeffrey Clark, les avocats John Eastman, Sidney Powell, Jenna Ellis et Kenneth Chesebro, de même que le conseiller politique Mike Roman.

David Shafer, président du Parti républicain de Géorgie, fait également partie des alliés de Donald Trump visés par un acte d’accusation comportant un total de 41 chefs d’accusation.

Fani Willis accuse le groupe d’avoir orchestré une vaste opération visant à perturber l’élection présidentielle de 2020, notamment en soumettant de fausses listes de grands électeurs au Congrès, en faisant de fausses déclarations aux tribunaux, en abusant du pouvoir du ministère de la Justice et en faisant pression sur le vice-président de l’époque, Mike Pence, pour qu’il annule lui-même l’élection.

PHOTO CHRISTIAN MONTERROSA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Trump et les autres personnes inculpées dans cet acte d’accusation ont refusé d’accepter que Trump ait perdu, et ils ont sciemment et délibérément participé à un complot visant à modifier illégalement le résultat de l’élection en faveur de Trump.

Extrait du document rendu public en fin de soirée

Donald Trump et ses alliés ont tous été inculpés en vertu de la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations) de Géorgie. Cette loi permet de regrouper un grand nombre d’éléments différents en une seule accusation pénale. Pour monter un dossier, il suffit d’au moins deux délits potentiels sous-jacents dans le cadre d’une entreprise. Ces délits n’ont pas à être tous commis dans le comté de Fulton ou même en Géorgie.

Une personne déclarée coupable en vertu de la loi RICO de Géorgie est passible d’une peine d’emprisonnement minimale de 5 ans et maximale de 20 ans.

Après avoir qualifié Fani Willis de « raciste » au cours des derniers jours, Donald Trump a publié lundi soir sur Truth Social une déclaration de sa campagne accusant la procureure afro-américaine d’être une « partisane enragée ».

« Reprenant une page du manuel de Joe Biden, Willis a stratégiquement retardé son enquête pour essayer d’interférer au maximum avec la course présidentielle de 2024 et de nuire à la campagne dominante de Trump. Toutes ces tentatives de corruption démocrate échoueront », a affirmé la campagne de l’ancien président.

Il s’agit d’une quatrième inculpation pour Donald Trump après celles de New York, de Floride et de Washington. Mais elle diffère de façon importante des inculpations approuvées par les grands jurys fédéraux de Miami et de Washington dans l’affaire des documents classifiés et dans celle du complot postélectoral.

Si Donald Trump était déclaré coupable en Géorgie après son élection à la présidence en 2024, il ne pourrait pas s’autogracier, comme cela pourrait être le cas dans les deux autres affaires. Si le procès de Géorgie n’était pas terminé après son retour à la Maison-Blanche, il ne pourrait pas non plus forcer les procureurs à classer l’affaire.

Les caméras de télévision pourraient également retransmettre en direct un procès tenu à Atlanta, ce qui est déjà exclu dans les trois autres endroits où Donald Trump devra faire face à la justice.

Même sa mise en arrestation présentera des aspects inédits. Le shérif du comté de Fulton, Patrick Labat, a indiqué que Donald Trump serait traité comme n’importe quelle autre personne s’il était inculpé, c’est-à-dire qu’il sera soumis à une photo d’identité qui pourrait être rendue publique.

« À moins que quelqu’un ne me dise le contraire, nous suivons nos pratiques habituelles », a-t-il déclaré.

Fani Willis a donné aux personnes inculpées jusqu’au 25 août pour se rendre à la justice.

PHOTO JOHN BAZEMORE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La procureure Fani Willis

Élue à son poste sous la bannière démocrate le 3 novembre 2020, la procureure a annoncé l’ouverture d’une enquête criminelle sur une potentielle interférence dans l’élection présidentielle de 2020, le 10 février 2021.

Elle s’est d’abord intéressée à un appel téléphonique entre Donald Trump et le secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, survenu le 2 janvier 2021, soit au lendemain de son entrée en fonction. L’ancien président avait alors demandé au responsable républicain de lui « trouver » assez de voix pour renverser la courte victoire de Joe Biden en Géorgie.

« Je veux juste trouver 11 780 voix, soit une de plus que nous avons. Parce que nous avons gagné l’État », avait déclaré le 45e président à Brad Raffensperger, un des responsables républicains qui ont refusé de céder aux pressions de la Maison-Blanche.

Fani Willis s’est également intéressée à la création d’une fausse liste de grands électeurs composée de républicains qui devait être présentée au vice-président Mike Pence pour le convaincre de bloquer la certification de l’élection de Joe Biden par le Congrès, prévue le 6 janvier 2021.

Et elle a examiné une opération qui aurait été orchestrée par des membres de l’entourage de Donald Trump pour obtenir les données électorales du comté de Coffee. L’opération est survenue le 7 janvier 2021, au moment où des membres de l’équipe juridique du président cherchaient désespérément des preuves d’une fraude électorale.

Fani Willis a exprimé le souhait lundi soir que le procès de Donald Trump et de ses complices présumés commence au cours des six prochains mois.

Comme d’habitude en pareilles circonstances, la Maison-Blanche n’a pas fait de commentaire après l’inculpation de l’adversaire potentiel de Joe Biden en 2024.

D’autres démêlés avec la justice

Donald Trump fait l’objet de l’attention de la justice américaine dans d’autres dossiers de nature criminelle. Survol. — Bruno Marcotte et Vincent Larin, La Presse, et l'Agence France-Presse

PHOTO BRENDAN MCDERMID, ARCHIVES REUTERS

Donald Trump avant sa comparution dans un tribunal de New York en lien avec l'affaire Stormy Daniels, en avril dernier

L’affaire Stormy Daniels

Donald Trump a été inculpé par la justice de l’État de New York et accusé d’avoir « orchestré » des paiements en vue d’obtenir le silence de trois individus dont les révélations auraient pu lui être dommageables pour l’élection présidentielle de 2016. En cause notamment, 130 000 $ US versés à l’actrice pornographique Stormy Daniels pour qu’elle taise une relation extraconjugale supposée remontant à 2006. De tels paiements ne sont pas illégaux en soi, mais M. Trump les a inscrits comme « frais juridiques » dans les comptes de son entreprise. L’ancien président a plaidé non coupable – un procès est également attendu.

PHOTO DU DÉPARTEMENT DE LA JUSTICE DES ÉTATS-UNIS, FOURNIE PAR L'ASSOCIATED PRESS

Donald Trump est accusé d’avoir mis la sécurité des États-Unis en péril en conservant des documents confidentiels dans sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride.

Archives de la Maison-Blanche

Donald Trump a été inculpé cet été par la justice fédérale dans le cadre d’une enquête portant sur sa gestion négligente de documents confidentiels. Il a comparu mi-juin devant un tribunal de Miami, où il a plaidé non coupable aux 37 premiers chefs d’accusation retenus contre lui. Inculpé fin juillet de chefs supplémentaires, il a de nouveau nié en bloc. Donald Trump est accusé dans ce dossier d’avoir mis la sécurité des États-Unis en péril en conservant des documents confidentiels dans sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride. Un procès est prévu en mai 2024.

PHOTO ALEX BRANDON, ASSOCIATED PRESS

Donald Trump s'apprête à reprendre l'avion après son passage devant un tribunal de Washington, le 3 août dernier.

Résultat de la présidentielle de 2020

Quatre chefs d’accusation ont été retenus par un grand jury contre l’ancien président à l’issue d’une longue enquête sur ses efforts pour s’accrocher au pouvoir après sa défaite contre Joe Biden lors de l’élection présidentielle de 2020. « Non coupable », a-t-il déclaré, en personne, le 3 août dernier, devant une juge à Washington, à chacune de ces accusations soit : complot visant à frauder les États-Unis, complot visant à menacer les droits d’autrui, complot visant à entraver une procédure officielle devant le Congrès et entrave à une procédure officielle.