(Paris) Le « geste en salle », savoir-faire et spectacle très français du maître d’hôtel qui vient flamber, dresser, saucer et parfois presque cuisiner devant le client, reprend du service dans la gastronomie, après avoir été longtemps ringardisé par la mode du service dit « à l’assiette ».

Au restaurant de Christopher Coutanceau à la Rochelle, doublement étoilé dans le prestigieux guide Michelin, le premier geste en salle est « initiatique » : une gelée de plancton posée sur l’intérieur de la main du client, près du poignet.

« Comme on déguste le caviar, à même la peau, pour éviter toute l’oxydation avec un couvert », explique à l’AFP le chef de salle, Nicolas Brossard, fier de l’avoir imaginé.

Lointaine, dans cette vieille maison, l’époque à laquelle on attendait le client « en ligne, les mains dans le dos façon un peu militaire », sourit M. Brossard.

Dans de nombreux restaurants gastronomiques français, le geste en salle revient comme un spectacle vivant exhausteur de la fameuse « expérience » qu’attendent les clients de leur repas à plusieurs centaines d’euros.

Au Taillevent, institution parisienne aux deux étoiles Michelin, le chef Giuliano Sperandio a été jusqu’à appeler le menu en cinq services « Gestes », du caviar « quenellé » à la cuillère par le serveur à la découpe de la volaille au guéridon et jusqu’à l’emblématique crêpe Suzette flambée.

Pour le homard « à la nage », le maître d’hôtel décortique la carapace dans un « mélange de brutalité et de délicatesse », avant de le faire flamber au whisky tourbé.

« Créer du lien »

PHOTO CHRISTOPHE ARCHAMBAULT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Au Taillevent, institution parisienne aux deux étoiles Michelin, le chef Giuliano Sperandio a été jusqu’à appeler le menu en cinq services « Gestes », du caviar « quenellé » à la cuillère par le serveur à la découpe de la volaille au guéridon et jusqu’à l’emblématique crêpe Suzette flambée.

« Il ne s’agit pas seulement de créer du lien avec nos hôtes », élabore le chef. « C’est surtout l’assurance de finaliser le plat à la juste température ».

Cette tradition du service au guéridon, dite « à la russe » et conçue au XIXe siècle, a longtemps été associée au haut de gamme, avant de péricliter soudainement dans les années 1960.

« Les agenceurs de salles de restaurant ont voulu augmenter les places assises et les chefs de la vague appelée “nouvelle cuisine” voulaient réduire la distribution des mets à l’assiette, assiette qui devient alors un support artistique », raconte à l’AFP le maître d’hôtel et historien Gil Galasso, auteur d’une thèse sur le sujet.

Le maître d’hôtel et son savoir-faire ancestral se sont effacés, devenant, au tournant des années 2000, « directeur de salle » et bien souvent réduit à communiquant du restaurant.

« On a perdu la gestuelle et les découpages », abonde Hervé Parmentier, chef de salle chez Pierre Gagnaire (trois étoiles) depuis 30 ans et nostalgique de « l’âge d’or », lorsqu’il fallait savoir faire « 10 bouchées (morceaux, NDLR) d’un pigeon ou d’un tourtereau ou même d’un gigot ».

Théâtre, danse… magie ?

PHOTO GEOFFROY VAN DER HASSELT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La chef Stéphanie Le Quellec, doublement étoilée, à son restaurant La Scène à Paris

« Puis, il y a une dizaine d’années, les chefs sont revenus en salle », à la faveur de leur grande médiatisation, estime-t-il.

Le top chef doit être vu. Mais, malgré la mode des cuisines ouvertes, il ne peut pas toujours l’être.

Le service, pensé comme une extension du spectacle télévisuel et théâtral, s’est donc imposé, le maître d’hôtel devenant « une extension de la main » du chef, explique le chef de salle chez Stéphanie Le Quellec (deux étoiles), Joseph Desserprix.

« Stéphanie est une fervente défenseur du geste, et du beau geste, et a envie de le remettre au centre, comme avec notre préparation de langoustine piquée à cru, terminée en bouillon très chaud face au client, sur le chariot », explique à l’AFP cette figure du métier.

Joseph Desserprix, qui a obtenu la haute distinction « Meilleur ouvrier de France », spécialiste de l’impensable « découpe à la volée » (à une main) de la volaille, est un obsédé du geste de service, influencé jusque lors de ses voyages, par exemple pour un très post COVID-19 lavage de mains au broc parfumé à l’eau de rose marocaine.

Le geste du futur pour cette tradition du passé ressuscitée ? « C’est celui qui n’existe pas encore », dit-il d’un air inspiré, confiant travailler à l’élaboration d’un « fromage minute », un caillé réalisé devant le client.

Pour la mémoire française du service, Gil Galasso, il faudra puiser du côté des arts, « théâtre, danse » et pourquoi pas… la « magie » ?