Comment diable un plat qui prend son nom d’un serpent venimeux s’est-il retrouvé sur nos tables du temps des Fêtes ? Fasciné lui aussi par l’improbable aspic, Jean-François Girard, du Beaufort, nous propose sa version.

La petite histoire

Un voyage dans le temps ? Les origines de l’aspic remontent au Moyen Âge – on l’a appelé ainsi en raison de son apparence gélifiée, dont la texture rappelle un peu la peau d’un serpent. Les cuisiniers de l’époque avaient découvert qu’un bouillon de viande épaissi pouvait être transformé en gelée, les galantines et autres graisses de rôti de nos grand-mères étant justement faites à partir de fond de viande.

L’exode rural a toutefois créé une brèche temporelle qui a bouleversé les traditions culinaires du Québec.

« Ça a été oublié dans le temps, nous explique Michel Lambert, auteur des cinq volumes de L’histoire de la cuisine familiale du Québec. Les gens qui ont quitté les campagnes pour aller peupler les villes partaient à un jeune âge sans avoir acquis le savoir-faire de leurs parents. Ils ont perdu leurs traditions. »

La résurgence de l’aspic au Québec au milieu du XXsiècle est donc le résultat d’une campagne publicitaire de l’entreprise Kraft, qui cherchait à faire mousser la notoriété de sa gelée en poudre Jell-O. « Dans les années 1950 et 1960, l’entreprise américaine a décidé de diffuser des recettes à la télé, nous apprend M. Lambert. C’est donc entré dans les mœurs par le petit écran, même si on pouvait en acheter au Québec dès les années 1930. »

Voyez une vidéo d’une recette de Kraft à la télé

Au fil du temps, les recettes d’aspic se sont multipliées, certaines prenant racine dans de nombreuses régions de la province. « J’ai rencontré plein de gens partout et j’ai noté toutes les sortes d’aspics que l’on faisait, nous dit Michel Lambert. La plus populaire était celle aux tomates, avec gélatine neutre, feuilles de céleri et olives vertes – on la servait avec la dinde pendant le temps des Fêtes. Une autre variété très populaire était faite avec de la salade de chou hachée, des carottes et du céleri, parfois des pommes, que l’on mélangeait avec du Jell-O au citron. »

IMAGE WIKIPEDIA COMMONS, TIRÉE DU BETTER HOMES AND GARDENS, SEPTEMBRE 1954

Les recettes d’aspic popularisées dans les années 1950 et 1960 provenaient souvent de publicités d’abord publiées dans des magazines américains, où l’aspic avait été rebaptisé « Jell-O salad ».

Parmi les autres recettes d’aspics trouvées, notons celle à la salade de carottes et à la gelée à l’orange ou bien aux betteraves râpées et à la gelée aux framboises – cette recette était particulièrement populaire en Gaspésie. D’autres encore y ont ajouté du jambon haché, des morceaux de poulet et de la soupe poulet et nouilles, ou encore du saumon et du concombre, etc. !

« Jusqu’aux années 1990, les gens ont créé d’autres variétés, soutient M. Lambert, qui a été chef au Saguenay dans les années 1980 avant de devenir professeur de littérature. J’ai aujourd’hui 80 ans et j’ai connu plusieurs époques culinaires. On est arrivé à un moment où on a trouvé bien kitsch toutes les recettes d’époque. Il y a notamment eu une coupure qui est venue avec l’époque du flower power, où on s’est par exemple tourné vers les cultures asiatiques. Mais je vois aujourd’hui des jeunes dans la vingtaine et la trentaine qui trouvent ça triste que l’on ait perdu nos traditions, et ils veulent les retrouver. J’ai l’impression que l’on va bientôt retrouver nos racines culinaires. »

La version du Beaufort

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jean-François Girard, propriétaire du Beaufort, a décoré son restaurant avec plusieurs meubles et trouvailles rétro comme des radios des années 1940 et 1950 ou des tables en stratifié des années 1960. « Le devoir de mémoire est important à tous les niveaux, dit-il. Ces choses sont belles et ont une raison d’être quand elles sont mises en valeur. »

Un aspic Bloody Ceasar à l’apéro du repas des Fêtes ? Pourquoi pas !

« Les recettes d’aspic, c’est comme les sauces à spaghetti, il y en a de toutes les sortes, nous explique le restaurateur de 52 ans, Jean-François Girard. On a pensé en créer une que l’on pourrait servir accompagnée d’un shooter de vodka. Comme un Bloody Caesar, mais vraiment déconstruit. Ce n’est pas une grande découverte sur le plan du goût, mais ça marche et pour le voyage dans le temps, je trouvais ça important. Et ça demeure spectaculaire dans la présentation, c’est très ludique comme plat. »

« On voulait rappeler les années 1950, l’époque où ça groovait sur la Plaza Saint-Hubert, nous dit le restaurateur, installé depuis 2022 sur la fameuse artère commerciale montréalaise. Et l’aspic, on trouvait ça bien drôle, on voulait l’avoir au menu. »

Pour Montréal en lumière l’an dernier, Jean-François Girard et son équipe ont donc revêtu des habits d’époque dénichés auprès de troupes de théâtre, on a même poussé l’immersion jusque dans le service aux tables – M. Girard s’est amusé en cirant les chaussures des clients ! Quant à l’aspic, offert en apéro, on l’a préparé avec du jus de Clamato, des poivrons rouges et du céleri, et coiffé d’une olive verte.

Aspic Bloody Ceasar

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’aspic Bloody Caesar de Jean-François Girard rappelle celui aux tomates et au céleri, très populaire au Québec dans la période des Fêtes au milieu du XXsiècle.

Préparation : 10 minutes
Cuisson : 5 minutes
Rendement : 6 portions

Ingrédients

  • 2 sachets de 7 g de gélatine DOetker
  • 500 ml de jus de Clamato
  • 1 branche de céleri, coupée en brunoise
  • 1 demi-poivron rouge, coupé en brunoise
  • Huile d’olive, pour faire sauter les légumes
  • 3 c. à thé de vinaigre de cidre

Préparation

  1. Faire le mélange comme indiqué sur le sachet de gélatine, en utilisant le Clamato.
  2. Faire sauter rapidement (3 minutes maximum) le céleri et le poivron dans un peu d’huile d’olive.
  3. Déglacer avec le vinaigre de cidre.
  4. Mélanger le tout et verser dans le moule ou les moules choisis.
  5. Mettre au réfrigérateur pendant quatre heures ou plus.
  6. Démouler et tremper dans le sel de céleri.
  7. Garnir avec des olives Manzanilla au goût.
  8. Déguster, si désiré, avec un shooter de vodka.
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