La réponse est « plus maintenant » et « pas encore » ! Ce petit fruit à coque, qui se présente comme une friandise servie grillée ou glacée au sucre, fait partie des plaisirs d’automne qui sont une gracieuseté du terroir… en Europe, du moins ! L’époque où on se régalait du goût des châtaignes d’Amérique appartient au passé, mais pour combien de temps ?
Combiner les mots « châtaignes » et « Québec » sur l’internet se solde par une bien maigre récolte. S’ils furent un jour appréciés dans les rues de New York et se récoltaient dans les forêts de la côte est américaine jusqu’au sud du Québec et de l’Ontario, les marrons locaux ont pratiquement disparu au tournant du XXe siècle, sous l’assaut d’un insecte porteur d’une maladie fongique qui a décimé les populations de châtaigniers rustiques en quelques décennies.
Ces grands feuillus, pourtant majestueux, sont alors tombés dans l’oubli pendant un siècle avant qu’on ne s’y intéresse à nouveau. Des recherches visent maintenant à les réintégrer sur le territoire, notamment dans les zones tempérées du Québec où ils n’ont pas à craindre les grands froids.
Bernard Contré fait partie de ces explorateurs qui s’intéressent à leur réhabilitation. En 2008, il fondait le Club des producteurs de noix comestibles du Québec en s’inspirant d’autres regroupements amateurs américains. Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour envisager de cultiver des noix et des fruits à coque au Québec ? peut-on se demander. « Question d’efficacité », répond le pépiniériste en émettant cette hypothèse : « C’est une culture qui prend son temps. On ne peut pas espérer remplacer les noix d’importation rapidement. Ce n’est pas une question de goût ou de qualité, mais de volume et de prix. »
Planter pour l’avenir
En héritant de la terre familiale – 35 acres de luzerne et de foin –, les frères Alain et Yvan Perreault ont cherché des façons de l’exploiter tout en innovant. « Rapidement, on s’est intéressés à la production de noix [et autres fruits à coque], qui commençait tout juste à susciter la curiosité », raconte le premier.
Avec son sol semi-argileux, la terre de Saint-Ambroise-de-Kildare, dans Lanaudière, offrait un terrain propice à la culture d’arbres fruitiers. Ces conditions réunies, l’aventure du Jardin des noix a pu débuter avec des plantations de noisetiers, de caryers, de chênes et de noyers qui se sont révélées probantes pour la plupart… ce qui nous ramène aux châtaignes.
C’est en se laissant porter par son enthousiasme que le duo a planté une vingtaine de châtaigniers d’Amérique et de châtaigniers hybrides dans un coin de la noiseraie. « On voulait voir s’ils pouvaient survivre à nos hivers et ils nous ont étonnés », explique Alain Perreault. Non seulement les candidats se révèlent vigoureux, mais ils produisent assez rapidement et de manière constante. Il serait toutefois prématuré de vouloir en tirer des conclusions. Malgré 15 ans d’enracinement, une épée de Damoclès pend au-dessus de leur cime : rien ne permet de prédire qu’ils échapperont aux ravages de la brûlure du châtaignier.
« Beaucoup de recherches se font en génétique ou en hybridation pour arriver à les rendre plus résistants. La culture de la châtaigne exige malgré tout un certain investissement pour un faible rendement. L’arbre produit cinq fois moins qu’un noisetier, tout en étant beaucoup plus imposant. Pour le moment, on ne le cultive pas dans l’espoir d’en faire le commerce, mais par curiosité et pour la diversité », enchaîne Alain Perreault.
Châtaignes et compagnie… d’ici
Les noiseraies sont rares au Québec. Leur ambition est d’inscrire leurs productions dans l’éventail des possibilités agricoles et d’arriver à les commercialiser. Certains arbres à fruits à coque laissent déjà entrevoir un certain potentiel sur ce plan, comme le noisetier ou le noyer, qui aspire à concurrencer la noix de Grenoble.
Le cas du châtaigner laisse cependant perplexe. L’arbre met environ huit ans à donner des fruits. Le triple à produire en « bonne quantité », quoique modeste pour sa taille. Ajoutez-y une incertitude quant à sa survie, et on comprend que le jour où on pourra déposer une dinde aux marrons locaux sur la table n’arrivera pas de sitôt. « Si on avait planté des arbres à noix il y a 40 ans, ce serait peut-être une culture établie aujourd’hui. Le noyer, par exemple, devient de plus en plus commun. Mais je crois qu’il faut penser autrement qu’en termes de temps ou de rentabilité et viser plutôt l’objectif. Ce qu’on fait est un investissement dans l’avenir et la survie de l’espèce », estime Bernard Contré.
Un jour, peut-être, les verrons-nous apparaître sur les étals des marchés : un portrait aguichant sous une lorgnette commerciale. Il existe toutefois une version plus champêtre, propose le cultivateur. « Faire pousser ses châtaigniers est une façon de combler sa propre consommation à petite échelle. » Chaque spécimen produit de 15 à 25 livres de châtaignes à maturité. De quoi combler ses envies !
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